Mais le présent recueil de Béatrice Bonhomme, composé de onze suites, n’a rien d’épique. Les textes de chaque suite sont courts, même ceux, rares, qui dépassent les 12 vers, gardent une certaine légèreté formelle par le biais de divisions strophiques. La voix qui propulse cette poésie évite toute stridulence, toute ostentation, préférant en général la délicatesse, la réserve, l’implicite de l’élégiaque auquel résiste presque toujours l’instinct d’une force qui en semble saisir les limites. Et si les blasons du blanc et du rouge semblent voués à l’opposition entre, d’un côté, le pur, l’absolu, le silence, de l’autre, la violence, la douleur, la mort, les équations de l’imaginaire se complexifient, s’entretissent, la pierre blanche d’une tombe étant caressée au-delà de ce qu’elle cache, le rouge restant le symbole d’une chair vécue dans toute sa précaire mais splendide vivacité.
La grâce qui ne cesse de hanter la poésie de Béatrice Bonhomme parvient à fusionner avec un heureux naturel l’intimité d’une voix et une finesse d’adresse qui ouvre larges les portes de sa pertinence sans jamais tomber dans le piège d’une abstractivité. Ce qui permet au vécu de se décontextualiser sans jamais quitter son enracinement dans le viscéral, le sensuel, le visiblement mortel. Toutes les émotions trouvent leur place ici : la perte, la tristesse, le désarroi, mais aussi la détermination, le courage, l’admiration, la douceur, le ‘geste de brandir / Le huit couché de l’infini’ (48). Si l’expérience de la mort continue à marquer l’imaginaire de la poète, la quête d’une ‘intensité’ (60) oriente et élève, tout comme le devoir sacré de l’amour, de sa ‘respiration’ (65). Le sentiment du défi de ‘la main du hasard’ (119) ne quitte jamais ces textes, le précaire, le fragile, l’éphémère étant compris et sentis comme logés au sein de ce qui fonde l’existence. Mais c’est toujours celle-ci dans son implacable ici et maintenant qui finit par énergiser l’acte d’écrire, le sentiment inaliénable d’une chatoyante valeur, d’un sens au centre même d’un souvent pressant ‘non-sens’ (117). C’est sans doute pourquoi les anciens sites méditerranéens – Carqueiranne, Tharros, Tipaza – sont pour Béatrice Bonhomme si émouvants, lieux de ruine, de mort, mais lieux de profonds échos, lieux de dignité, de continuité, d’improbable beauté vivante, lieux de la divinité même de la terre et de ses habitant(e)s. Lieux, enfin, de notre être, de ce qu’elle nomme ‘un être soyeux de limon / Un être de pierre et de miel / Un être de cœur et de corps / Un être d’os et d’amour / Un être de ciel et de mer’ (95).
Un être-au-monde que seule la poésie sait garder intact dans tout son mystère, tous ses soi-disant paradoxes, toute son unité, provocatrice, exigeante, donnante, généreuse.
Michaël Bishop
Béatrice Bonhomme, Les boxeurs de l’absurde, L’Étoile des limites, 2019, 192 pages, 19 euros.
Quelques extraits des Boxeurs de l’absurde :
Oui comment faire le blanc
Dans le visage et sous les paupières?
Trouver ce moment
D’absolu
Où les couleurs veulent se mêler
Pour rejoindre le blanc.
Comment parvenir à cet instant de blanc
Sans avant et sans après?
Faire l’amour comme on fait le blanc
Faire l’amour comme on fait la neige
Peindre le silence.
Dire ce qui ne peut être dit
Peindre ce qui ne peut être peint
Dans l’aporie de la blancheur.
Oui atteindre le blanc
Sans visage et sans nom,
Sans paupières et sans yeux.
Sans. (19)
***
Pourquoi si rouge comme le cœur brillant de la mère
La mère rouge au cœur dans une maison rouge
Pourquoi veinules et artères d’arbres et de maisons
Dans le cœur des contes
Petit farceur violé par le sang des ogres.
Pourquoi posée sur des piliers de fissures et de temps
Avec la blessure et la faille
Et la cicatrice noircie dans le rouge
Pourquoi éclatée de terrasses et de vérandas
Comme des sanglots qui laissent échapper un sang noir.
Pourquoi si rouge la maison du cœur et de l’enfance
Avec au centre son cercueil amarré
Et les morts entourés de linceul
Dans le froid humide des tombes. (p. 178-80)