Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV
Photo de Simon Woolf
Le 43, épisode 28 : Hamsa
Quand on passe la porte du 43, tout de suite à droite, à la première table du rade, on débusque Hamsa. Haut comme trois crêpes, il est toujours en train de lire le journal, seul dans son coin, là où les mouches suspendent leur vol. Y s'lave les chagnottes à la kro, lentement mais sûrement, dans un sérieux zarbi de crocodile. Le corps de Hamsa est une lame de couteau, les traits de son visage sont saillants et pour le reste... chuis un peu dans la flouzaille. Des cheveux courts incolores... un teint mat et pas vraiment... des vêtements passe-partout... gris ? Rien ne tombe sous le sens avec ce mec. Y s'fait fantôme chinois : même quand on l'a sous le nez tous les jours, c'est comme s'il était à l'autre bout du monde. Tu voudrais bien casser les murs de sa cellule, mais c'est pas de la tarte. De prime abord, Hamsa est froid comme un glaçon, il a facilement tendance à faire son Ours et à te répondre en marmonnant deux trois baragoins grognards vite fait bien fait. Pour résumer, l'animal est plutôt ronchon... car il n'aime pas être dérangé dans ses pensées. Quand il voit la vie en rose, il sort des vapes et ressemble à un gars normal. La bonne humeur de Hamsa, c'est comme l'humeur naturelle chez les autres. On peut tailler une bavette avec et se rendre compte qu'il n'a pas du mou de veau à la place du cerveau. Jusque-là, on a laissé pisser l'albinos, car le gars n'est pas du genre à se flanquer des coups de pieds dans les gencives. Quand j'tombe en frime avec Hamsa, y crèche dans un nid à punaises appelé « la cohab ». Un bouibouis chié de débris humains de jour comme de nuit, puis des carrées vides et déglinguées, où les murs dégueulent parfois leur papier peint sur un matelas qui a coûté cher à mettre en couleur. Et y'a toujours un foutu western de fracadéfoncés. Hamsa transperce à la papa le beurre des bacchanales de Nono et se dirige dans un « allez voir là-bas si j'y suis » pour réfléchir à ses projets du moment. Puis tandis que ça part en vrille avec les voisins, qui menacent de tout faire péter ou d'appeler la condaille (aux risques et périls des teufeurs chargés à bloc), il sirote sereinement sa binouze en taffant sur son burlingue. Au milieu de tout ce délire toxico-éthylique, Hamsa réfléchit. Un soir, j'parviens à taper la discute avec le Penseur de Rondin. La tchatche vaut son job et j'me mets dans le coco de régaler mon cochon d'une relique africaine qui traîne dans ma caisse depuis des lustres. On continue de jacter sur le chemin qui mène de la rue Versot au parking Saint-Marc, et de fil en aiguille, le siège de la « cohab » est résolu. Je charge son biclou dans l'coffre de ma bagnole et nous v'là partis au Disneyland des toxicos bisontins... devant lequel je pipe une colline de terre aussi haute que la maison. Le cul cousu, j'demande à Hamsa : - Keske c'est ? - De la terre. - Y'en a des tonnes ! et t'as eu ça comment ? - Par un copain, qui voulait s'en débarrasser... - Et tu comptes en faire quoi ? - Je sais pas.Le 43, épisode 29 : Le joueur de PMU
Il m'est complètement sorti de la tête ce mec, alors qu'il est là tous les soirs. C'est qu'y s'bat les fesses de ma présence et que je me fous de la sienne comme d'avaler un paquet d'aiguilles. En fait, y se frictionne le coquillard du 43. Les seuls bidules qui le branchent sont la téloche au fond du rade et le barman avec qui le gars maquignonne. Il a son petit salon pour lui, avec quelques dossières orientés vers les chiottes, et parfois un pote avec lequel il s'enfile... un café. Ce torche-cul doit garder la tête froide afin d'engraisser ses picaillons. Quand j'vais à la pisserie, j'mirave juste une boule à merde au-dessus d'épaules et des râteaux qui serrent un bout de papelard, comme s'il se retenait de chier. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le joueur de PMU n'aboie pas ses victoires et ne brait pas ses multiples déculottées. Toujours à carreau, ce chien de voirie s'embusque à l'ombre et boucle ses égouts pour tous les rats du monde. Peut-être qu'il croit en connaître un rayon et qu'il ne veut pas débiner ses trucs et astuces. Peut-être qu'il ne veut pas lâcher le chiffre de son flac, des fois qu'on essayerait de le lui taper. Ou peut-être bien qu'il a une bite de cheval à la place du cerveau et qu'il y pense jour et nuit. Car le joueur de PMU n'a que les courses en tête. Les rares fois où le coyote sort de sa boîte à lutin, c'est pour des affaires réservées, des échanges de ticsons à la muette, des passages de biff en loucedé... avec le serveur. Un soir, y a une jolie caille qui vient s'acheter son paquet de Malbac au 43. Tout droit sortie du Poème, le fameux trocson bobo voisin dont je vous ai maintes fois parlé, la nana ne fait que passer. Le 43 est le seul rade où tu peux trouver des tiges by night. Et vu qu'y a lorgnerie de part et d'autre, j'me dis que j'pourrais lui faire du rambin. Du coup, j'commence à l'embrouiller et la nénette est sympatoche, elle a l'air d'accrocher à mon vinaigre. Sauf qu'un gars me dit d'arrêter de l'ampaumer parce qu'elle est maquée avec le foutrasson du PMU. J'en pique une telle merde que j'épluche la cruche dégénérée qui se cache derrière une croûte de minette. Une daubée du cerveau qui chouille avec des blaireaux de bobos tandis que son jules en carton se fait cartonner le cul par une machine à couillons. Cerise sur le gâteau, y a cette foutue téloche à canassons... ça me donne envie de gerber. Le coin du joueur, au final, c'est un peu le cimetière du 43. Le champ des clamsés du bulbe. Un macabra qui rapporte un peu d'oseille à Linda... et qui fait passer les alcoolos givrés comme Émilie, Gérard, Éric, Enora, Malti, Momo, Karl et mes trois petits cochons pour de gros balèzes... des fiers-à-bras... des héros... les seuls et véritables héros du 43.Le 43, épisode 30 : Épisode final
Foutre bite de dimanche soir. Une marcassine de déprime en perspective... et quand on vit seul dans un tout petit appart' à Montrapon, ça fout trop les boules de rester chez soi devant la téloche ou dans un bouquin. Du coup j'prends ma caisse et j'vais faire un tour rue Versot, direction le 43. Il est vingt heures et j'ai rien dans l'bide. À mon arrivée, Fredo me saute au cou tel une médaille et me claque une bise fraternelle. Y a déjà Malti, accoudé au comptoir qui détronche sa propre kro. Y a Clara aussi, qui chatouille de l'Amigo en s'engouffrant des chasse-d'eau de bibine et de cacahuètes. Et la stéréo scie le bois du Love Symbol, qui te met direct à l'aise. Puis y a une potence du diable, qui roule des épaules en me lorgnant d'un air de tueur. Et c'est avec ce loubard cuirassé que je commence à tchatcher. Un petit SMS au passage à Dédé pour qu'il rameute le maximum de vieilles branches disponibles... et en attendant, la vieille canaille me sort sa vie. Un ancien légionnaire reconverti dans le grand banditisme à Marseille et qu'a fini aux Baumettes. Le zig est une armoire à trois portes avec une tronche défoncée de matou non castré. Y cherche à me refourguer une bagnole à deux cents euros certifiée volée conforme... et se liche les babines à me broder une chiée d'anecdotes sur le bon vieux temps de la vraie pègre au paradis du pastis. Je l'écoute une plombe sans moufter, en bon enfoiré d'écrivain que je suis, et le gonze en déduit que je suis un brave gars. Il me gratifie d'une tape de grizzli dans le dos. À la douce, Karl, Enora, Momo, Layla et Dédé nous rejoignent. Fredo pousse le son à gogo en accrochant le rythme des consommations. À vingt-deux heures, on est déjà à la remorque, bien arrachés, dans cet instant d'avoine où tu te sens immortel. Dédé fait son karaoké Halliday, Momo sort sa guitouze, un fumet d'encens pakistanais se répand depuis la terrasse. Le temps défile à la vitesse de nos souliers à bascule, et Fredo décide de capitonner le 43 dans une bulle coupée du monde. On s'met tous la gueule en chocolat, à coups de kro, de shots et de tout et n'importe quoi pourvu ksa beurre. À minuit, Fredo se bidonne et fait le zouave, on s'en paye une bonne. On sent nos barbes repousser tandis que les cheveux de la ville ensommeillée tombent un par un. C'est la crise de la dinguerie jouasse. It never ends. L'enfer existe, je l'ai vu. Mais le paradis existe aussi, un foutre bite de dimanche soir au 43 (mais ne le répétez à personne...). À une heure, on ferme les rideaux et la porte à clé. Tout le monde fume en salle. La succession frénétique des tournées de shots irradie chaleur et lumière. Et Fredo, qui concocte les potions magiques de brûlots, n'est guère épargné. Tard... Très tard.... Déglingué comme une terrine de cochon, j'le ramène chez lui en bagnole et sur le chemin, y m'propose d'aller contempler la ville du haut du Fort Chaudane. On s'installe dans la verte et on s'en prend plein les mirettes. Un chien aboie et la caravane des flicaillons passe. On laisse tout pisser. Les foutres bites de dimanche soir au 43 n'ont pas de lendemain.Richard Palachak
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