A l'exception de quelques déséquilibrés, d'une poignée de terroristes en guerre contre l'Occident, ou de complotistes d'extrême droite, personne ne réclame la mort de l'actuel président de la République. Le récent anniversaire de la décapitation de Louis Capet a fait l'objet de quelques allusions sur les réseaux sociaux français et même lors des manifestations hebdomadaires contre la réforme des retraites. Peu nombreuses, elles ont toutefois suffit à provoquer l'ire et l'inquiétude des soutiens officiels et des contributeurs officieux du Macronistan. Les mêmes se rallient aux accusations d'appel au meurtre et aux cris d'orfraie de la droite. "Dans l’idéologie d’extrême gauche, la violence doit s’exprimer ; la mort doit en résulter" écrit un chroniqueur du Figaro à ce propos. "Avec Jean-Luc Mélenchon et d'autres ils escomptent le drame." renchérit un député macroniste.
Il n'y a plus de mesure en Macronistan.
Emmanuel Capet
Quand Macron est dépeint en Louis Capet, et que la rue s'amuse de lui, la haute bourgeoisie s'inquiète. Elle vise à faire croire que ces "radicalisés" sont des violents."En face", chez ces opposants qui, quoiqu'ils fassent et quoiqu'ils portent, sont toujours décrits par les suppôts du Macronistan comme de dangereux personnages, on ne peut pas en dire autant. Ce sont bien des forces de l'ordre qui, sur ordre du ministre Castaner, ont blessé, mutilé, humilié, traumatisé des gens par centaines. Quand une main est arrachée, on peut appeler cela une bavure détestable. Mais quand il y en a 5, quand 25 manifestants perdent un oeil car la police tire ses grenades à l'horizontal en visant les visages, quand 600 civils sont blessés, dont 300 à la tête (un bilan "sidérant", dixit le Canard Enchaîné), on appelle cela une politique, une doctrine.
Pour rassurer leur socle électoral, les officiels du Macronistan mettent sur un pied d'égalité les tags de peinture sur des permanences d'élus macronistes et les frappes de CRS sur des civils sans défense.
Cette journée de grève et de manifestations fut joyeuse, mais le Macronistan a besoin de se faire peur pour consolider son socle. La caricature est une arme facile.
Depuis le début de son quinquennat, Macron force la main au pays. Il souffre d'un procès en illégitimité (relayé dans les colonnes de ce blog) car il mène un programme radical pour lequel il n'a pas été élu par une majorité absolue des citoyens. Ni le barrage contre le Front national au second tour de l'élection présidentielle (appel suivi par la moitié des électeurs insoumis du premier tour, l'autre moitié choisissant l'abstention ou le vote nul), ni les 60% d'abstention aux élections législatives offrant une majorité écrasante d'élus à la Macronie ne valaient blanc seing pour des contre-réformes dont les détails n'avaient d'ailleurs ni été débattus ni même présentés pendant la campagne.
Pour l'essentiel, Macron a menti par omission.
Cette absence de respect de la diversité des électrices et électeurs qui ont voté pour lui est le premier poison de ce quinquennat. Elle ruine la confiance dans la démocratie. Elle encourage l'abstention, ce qui est l'un des objectifs macronistes. L'absence d'enquête sur les financements douteux de sa campagne (alors que pour des sommes moindres, ces opposants sont encore sous le coup d'enquêtes), les barbouzeries de Benalla à l'Elysée (jusqu'aux révélations de la semaine sur comment deux membres du staff présidentiel ont fait disparaitre le coffre fort du domicile de l'ex-garde du corps de Macron)
"Aujourd’hui s’est installée dans notre société, et de manière séditieuse, par des discours politiques extraordinairement coupables, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie. Qu’il y a une forme de dictature qui s’est installée, (...) la dictature c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois (...) où l’on ne change pas les dirigeants, jamais (...). Si la France c’est ça, essayez la dictature et vous verrez! La dictature, elle justifie la haine. La dictature, elle justifie la violence pour en sortir. Mais il y a en démocratie un principe fondamental: le respect de l’autre, l’interdiction de la violence, la haine à combattre”.Macron s'agace car des journalistes pourtant prudents, et souvent déférent à son égard, commencent à grogner et s'inquiéter du délabrement démocratique du pays. En sus du climat de violence policière (jamais jugée, jamais inquiétée, toujours encouragée), de quelle avancée démocratique Macron peut-il se targuer depuis qu'il a été élu ? La réduction drastique du nombre de représentants des salariés pour "améliorer le dialoguqe social" ? La réduction prévue du nombre de députés pour "accélérer les lois" ?
Le régime politique français est techniquement et légalement une autocratie. Que des contre-pouvoirs empêchent le Macronistan d'en abuser est un fait, et un fait heureux.
Gouvernement d'incapables, réforme anti-démocratique
Prenez la réforme des retraites, bel exemple anti-démocratique: elle a été travaillée dans le secret pendant des mois par un groupe désigné non par un vote mais par le monarque, sous la direction d'un gars plus tard convaincu d'une quinzaine de conflits d'intérêts qui, en démocratie, auraient du le conduire en procès.Cette réforme est pourtant majeure puisqu'elle concerne la totalité des générations du pays. Pourtant, elle ne fut pas présentée ni a fortiori débattue pendant la campagne présidentielle de 2017. Elle n'était pas dans le programme présidentiel. Il y a moins d'un an, alors que son contenu n'avait pas été révélé, Macron lui promettait l'inverse de ce qui fut finalement présenté sur l'âge de départ. ce projet de réforme a un objectif, réduire le coût des pensions. Au passage, grâce à la simplification par le passage au système de points, le Macronistan se dote d'un outil plus simple pour réduire les retraites en cas d'austérité dans le futur.
Mais voici que le projet de réforme des retraites est gravement critiquée par le Conseil d’État à qui elle a été présenté il y a quelques jours. Cette institution critique la méthode non démocratique de la Macronie.
Primo, le manque d'évaluations: l'étude d'impact est "insuffisante" au regard des exigences de la loi. Le Conseil d’État accuse même le gouvernement d'insincérité: "le Conseil d’État rappelle que les documents d’impact doivent répondre aux exigences générales d’objectivité et de sincérité des travaux procédant à leur élaboration." Il rappelle que "les projections financière ainsi transmises restent lacunaires (...) en particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge moyen plus avancé de départ à la retraite, qui résulterait selon le Gouvernement de la réforme, sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux." Rien que ça ... REt de fustiger plus loin que l'absence d'évaluation de l’impact des mesures d'âge "sur les comptes de l’assurance-chômage, compte tenu du faible taux d’emploi des plus de 65 ans, et les dépenses de minima sociaux". Repousser l'âge de la retraite, c'est d'abord allonger le chômage des seniors...
Tertio, il critique aussi la méthode législative retenue, le recours aux Ordonnances pour 23 des articles de la loi: "s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme."
Ces trois critiques ne sont pas les seules, mais les plus déterminantes sur le sabotage démocratique de cette réforme.
Sur le fond, le Conseil d’État valide que cette réforme est d'abord une arnaque financière: le régime n'est pas déficitaire, mais le gouvernement prédit un déficit de 8 à 17 Mds€ en 2030 "résultant d’une évolution défavorable des ressources liée à de moindres transferts entre entités publiques." Et oui, c'est bien un problème de ressources dégradées par cette présidence des riches. Le Conseil d'Etat conteste même le marketing politique du gouvernement: "le projet de loi ne crée pas un « régime universel de retraite ». Il considère que le gouvernement ment quand il écrit que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous ».
- Il critique "la disparition des solidarités financières internes à chaque régime".
- Les inégalités de retraites hommes/femmes devraient être réduites ... si les gens travaillent plus longtemps.
- Au-delà de 10 000 euros de salaire mensuel, les cotisations retraites tomberont à 2,8% du revenu: en d'autres termes, les très hauts salaires ne cotiseront plus pour la retraite publique et seront incités à épargner ... pour eux. Il y a même des macronistes qui pensent que retirer ainsi 3 milliards d'euros au financement de la retraite socialisée est un progrès social...
- Le projet "pénalise en revanche les carrières complètes pendant lesquelles les assurés connaissent des années d'emploi difficiles".
- Le projet créée une imprévisibilité des pensions futures à cause du système à points: "il retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système."
- Le Conseil d'Etat note une petite saloperie (y-a-t-il un autre terme?): Macron veut supprimer le dispositif permettant aux assurés de partir à la retraite à 58 ans à condition avoir commencé à travailler avant l’âge de 16 ans, "le Gouvernement justifiant la mesure par son caractère marginal, seuls 2 500 assurés en ayant bénéficié en 2017."
- Autre petite économie, le projet de loi exclut les périodes de chômage non indemnisé pour l'accès à la retraite minimum promise par Macron.
- Le projet de réforme reste flou sur la transition des régimes spéciaux: "le Conseil d’État estime, là encore, nécessaire d’expliciter plus clairement que ne le fait le projet qui lui est soumis, la reconnaissance de ces garanties."
La gaffe de Capet
Avec une certaine discrétion, le gouvernement vient de prolonger la convention fiscale avec l'Arabie saoudite, l'une des plus grandes dictatures islamistes. La mesure est passée au Journal Officiel le 22 janvier. Macron fait de grands gestes, prononce de grands mots sur la paix. Les coulisses sont plus sales. Le voici qui cherche à sortir par le haut du bourbier des retraites et de cette crise sociale qui n'en finit pas avec une nouvelle diversion "mémorielle". Aux journalistes-perroquets qui le suivent de près, il lance ainsi que "Les sujets mémoriels sont au cœur de la vie des nations."On se souvient du grand "succès" de l'itinérance mémorielle de l'automne 2018, juste avant la révolte des Gilets Jaunes. Macron avait poussé l'exercice jusqu'à un hommage à Pétain. Cette fois-ci, il pense à l'Algérie. Macron cherche sa place dans l'Histoire, il veut se re-présidentialiser. En voyage en Algérie, où il est resté incroyablement silencieux sur la tentative de révolution démocratique l'an passée, il lâche: "Je suis très lucide sur les défis que j'ai devant moi d'un point de vue mémoriel, et qui sont politiques. La guerre d'Algérie est sans doute le plus dramatique. Je le sais depuis ma campagne. Il est là, et je pense qu'il a à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995."
Vraiment ?
Singer le Chirac de 1995, voilà le projet ?
Cette tentative de re-présidentialisation est surprenante: elle ne change rien à la vie quotidienne de celles et ceux qui manifestent, protestent ou soutiennent les mouvements sociaux. Elle tente de replacer l'attention politique sur le terrain identitaire et historique alors que l'actualité est sociale. Il est pourtant loin d'être acquis que le sujet agisse vraiment comme une diversion, au-delà de l'excitation presque cutanée de la droite furibarde sur laquelle Macron s'appuie pourtant désormais.
Ami castor, où te-situe ?