Star Wars : L’Ascension de Skywalker. Et après ?

Par Balndorn

Résumé : La conclusion de la saga Skywalker. De nouvelles légendes vont naître dans cette bataille épique pour la liberté.
{Attention : l’article qui suit contient plus de divulgâchis qu’il n’y a de vaisseaux dans la flotte du Dernier Ordre}
La première trilogie promise par Disney après son rachat de Lucasfilm s’est achevée. Alors que le premier épisode, réalisé par J. J. Abrams, proposait de relire la mythologie Star Wars selon des problématiques sociales contemporaines et que le deuxième, sous la direction de Rian Johnson, se contentait de rejouer la trilogie originale (un défaut qui grevait également l’opus précédent), quel bilan tirer de ce nouveau et dernier volet, qu’Abrams a repris en main en cours de route ?
Progrès et limites des représentations sociales dans la nouvelle trilogie
De la même manière qu’Avengers: Endgame synthétisait dix années de métamorphoses du Marvel Cinematic Universe, Star Wars : L’Ascension de Skywalker concrétise tous les changements opérés par la saga durant cette dernière trilogie. Comme avec sa branche Marvel, Disney a tenté avec sa branche Star Wars d’introduire de nouveaux standards de représentation sociale dans des superproductions états-uniennes toujours très stéréotypées. Force est de constater de nets écarts entre Star Wars et Marvel. La première saga a très nettement minoré ses personnages racisé·es. Parmi les Noir·es, en-dehors de l’historique Lando Calrissian (Billy Dee Williams) qui reprend son rôle de pilote du Faucon Millenium dans le dernier volet et de la très secondaire Jannah (Naomi Ackie), parachutée au milieu de celui-ci, seul Finn (John Boyega) tient la route tout au long de la trilogie. Encore rétrograde-t-il au fur et à mesure des épisodes au rang d’acolyte de Rey (Daisy Ridley), seule figure vraiment consistante de la trilogie. Encore plus anecdotique est Rose Ticco (Kelly Marie Tran), qui connut son heure de gloire dans le huitième épisode avant de quasiment disparaître de l’écran dans celui qui nous intéresse. Observons par ailleurs l’immense gâchis pour un space opera de sous-représenter à ce point les espèces extraterrestres. Hormis le vétéran Chewbacca (Joonas Suotamo) – mais, comme Lando, il sert avant tout de liant avec la trilogie originale – et la marginale Maz Kanata (Lupita Nyong’o), aucun non-humain n’a véritablement d’existence à l’écran.En termes de qualité, la représentation des femmes est certes meilleure que dans le MCU (hormis Captain Marvel), tant la performance de Daisy Ridley se démarque de la platitude des caractères ambiante. Rarement on aura vu un personnage aussi ambivalent (si ce n’est Anakin et Obi-Wan dans la Prélogie) ; malheureusement, comme pour tout le personnel, son étude psychologique n’ose pas aller au bout des choses. Mais en termes de quantité, c’est déplorable : Rey est bien seule dans la trilogie, Leïa (Carrie Fisher), Rose, Maz Kanata et Jannah lui arrivant très loin derrière en temps passé à l’écran et en importance dans l’intrigue. En conséquence, aucun des films de la nouvelle trilogie ne passe le test de Bechdel.Cependant – et c’est une caractéristique de la saga dont je parlerai plus longuement –, la nouvelle trilogie Star Wars se distingue par sa représentation des classes populaires, nettement plus présentes qu’au sein du MCU. Les personnages principaux proviennent tous de milieux marginaux : Rey est une pilleuse d’épaves sur la désertique Jakku, Finn un déserteur des stormtroopers (comme Jannah) et Poe Dameron (Oscar Isaac), comme nous l’apprend ce dernier épisode, un ancien marchand d’épices, dans la lignée du mythique Han Solo. Mais cette fois, c’est la qualité qui manque. Si la première partie du septième épisode brillait par l’attention particulière qu’Abrams portait au quotidien des personnages et à leurs conditions de vie et de travail, toute velléité documentaire s’efface dès lors que commence la sacro-sainte aventure. Tout ce qui faisait la singularité de personnages prolétaires disparaît dans le grand universalisme consensuel de la Nouvelle République.
Pécher par filiation
Passées ces remarques générales, que dire formellement de ce neuvième épisode ? Indéniablement, il est meilleur que le précédent. À la différence de Rian Johnson (et de ce qu’il pratiquait lui-même dans Le Réveil de la Force), J. J. Abrams parvient enfin à s’arracher – en partie tout du moins – à sa fascination pour la trilogie originale. L’Ascension de Skywalker n’est pas une redite du Retour du Jedi comme on pouvait le craindre, même si l’on aurait pu se passer de certains clins d’œil appuyés (le retour de Lando à son poste, un caméo d’Ewoks ou encore la mention d’Endor). À même les ruines du Grand Œuvre de Lucas, Abrams esquisse un scénario et une mise en scène un brin original.Mais l’originalité atteint rapidement ses limites. À force de vouloir rester dans l’ombre protectrice de Lucas, le scénario souffre de lourdes incohérences. J’avais déjà évoqué ce problème à propos du Secret de la potion magique, où j’avais remarqué la difficulté d’un scénario dit « original » à innover en-dehors des créateurs d’un univers. Sans opérer de remake à proprement parler, Abrams n’a de cesse de raccrocher son œuvre à la trilogie sacrée, comme s’il s’agissait là de la seule légitimité possible. En résultent des invraisemblances flagrantes, la plus grosse étant la prétendue filiation entre Rey et Palpatine (Ian McDiarmid), surgi du néant pour les besoins d’un film incapable de se créer un nouveau méchant absolu. Kylo Ren (Adam Driver) aurait pourtant fait un adversaire de choix ; mais là encore, le besoin de construire un parallélisme évident avec son grand-père Dark Vador (Anakin Skywalker sombre dans le côté obscur de la Force tandis que Ben Solo retrouve la lumière) annihile toute profondeur psychologique du personnage. Torturé depuis deux épisodes, celui-ci bascule radicalement du Mal vers le Bien à la lueur d’une insignifiante pensée envers sa mère (les studios n’ayant rien trouvé de mieux pour camoufler la mort de Carrie Fisher l’an dernier). Comme s’il était impossible d’être ni blanc, ni noir, mais gris, alors que la colère de Rey sur Pasaana explorait justement les zones en clair-obscur de l’héroïsme.

L’ordre du Mal et l’anarchie du Bien
Ce manichéisme moral des plus convenus s’avère fort dommageable au regard de l’ordonnancement technique qui distingue Bien et Mal tout au long de la saga, dont j’ai véritablement pris conscience avec ce dernier épisode. Une réplique est particulièrement révélatrice à cet égard. Lorsqu’un patchwork de vaisseaux rebelles rejoint la bataille d’Exegol, un officier impérial a ce mot à valeur programmatique : « Ce n’est pas une flotte, mon général. Ce sont juste… des gens ».Appliquée à l’ensemble des films, cette sentence met en lumière la singularité de la saga à penser le Bien, confondu la plupart du temps avec la notion de liberté. Contrairement à bon nombre d’œuvres mythologiques, comme Le Seigneur des Anneaux[1], Star Wars n’envisage pas le Bien comme un ordre idéal opposé au chaos rampant que représente le Mal, mais au contraire comme un amas de bric et de broc, une vraie mosaïque aussi bien technique qu’ethnique de laquelle naît une société libre et démocratique. C’est pourquoi les vaisseaux des rebelles paraissent aussi hétéroclites, à la limite de l’épave spatiale (témoin les blagues récurrentes sur le Faucon Millenium dans la trilogie originale). C’est également pourquoi les personnages principaux proviennent des classes laborieuses, de préférence des métiers liés à la mécanique (Anakin, Luke et Rey) ou nécessitant un solide savoir-faire technique (Han, Chewbacca et Poe) ; on note également quelques transfuges des classes dominantes (Padmé et Leïa) ou de leurs serviteurs (Finn) vers les classes populaires, dans lesquelles ils trouvent l’ingéniosité et la ruse qui faisaient défaut à leur corps d’origine.Inversement, les partisans de l’ordre se retrouvent du côté du Mal. L’Empire affectionne les formes géométriques et les figures homogènes : les superdestroyers triangulaires et les Étoiles de la mort circulaires, les couloirs à angles droits, les armures immaculées des stormtroopers et des différentes troupes impériales, etc. Dans ces milieux en vase clos, parfaitement contrôlés et inaptes à la vie, nul ne peut échapper au regard de l’Empereur, à tout le moins de la bureaucratie impériale, à l’image des courses-poursuites récurrentes qui butent toujours sur une escouade de stormtroopers. De manière rétrospective, on peut lire la chute de l’Ancienne République à la fin de La Revanche des Sith comme une conséquence de son ordre social et politique trop rigide, davantage propice aux coups d’État fascistes qu’aux révolutions populaires. Le gigantisme inhumain de Coruscant s’oppose en tous points à l’aridité de Tatooine : si la planète désertique souffre du banditisme, c’est aussi d’elle, en raison précisément de sa nature bigarrée, que part chaque rébellion. On comprend aussi pourquoi on ne montre jamais la Nouvelle République (hormis quelques plans du Réveil de la Force, qui montrent la destruction d’un système par Starkiller) : pour éviter de reproduire les erreurs de la précédente, celle-ci a choisi l’exil perpétuel, le non-enracinement, l’errance.Tels les océans sillonnés par les pirates du XVIIIe siècle[2], seule l’immensité spatiale et sa richesse infinie de mondes où se cacher vaut comme terre de liberté.Espérons que les prochaines productions tiendront compte de cette vérité profonde.

Star Wars : L’Ascension de Skywalker, J. J. Abrams, 2019, 2h22
Maxime
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[1]Par bien des aspects, le traitement des rebelles dans Star Wars est similaire à celui des Orques du Seigneur des Anneaux et du Hobbit. À la différence près que les rebelles sont du bon côté. Voir à ce sujet l’article « “L’Âge des Hommes est terminé”. Monde et insurrection des Orques dans Le Seigneur des Anneaux ».[2]Pour une comparaison plus étoffée, je vous invite à lire L'Hydre aux mille têtes : L'histoire cachée de l'Atlantique révolutionnaire (Peter Linebaugh et Marcus Rediker). On pourrait mener une étude complète de Star Wars à partir de cet ouvrage.