Partager la publication "[Critique] 1917"
Titre original : 1917
Note:Origine : Grande-Bretagne/États-Unis
Réalisateur : Sam Mendes
Distribution : George MacKay, Dean-Charles Chapman, Mark Strong, Benedict Cumberbatch, Richard Madden, Colin Firth…
Genre : Drame
Durée : 1h59
Date de sortie : 15 janvier 2020
Le Pitch :
En avril 1917, sur le front français, en pleine guerre des tranchées, deux soldats sont envoyés au-delà du No Man’s Land afin de transmettre un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et ainsi sauver de la mort des centaines de soldats britanniques…
La Critique de 1917 :
5 ans se sont écoulés depuis la sortie du précédent film de Sam Mendes, à savoir 007 Spectre, son deuxième James Bond (on lui doit aussi Skyfall). Le réalisateur britannique qui, libéré de ses obligations envers le célèbre agent secret, a souhaité opéré un brutal virage et plonger dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, afin de mettre en images les histoires que son grand-père a ramenées du front. 1917 qui n’est pour autant pas le premier film de Mendes sur la guerre, vu qu’on lui doit également Jarhead, qui traitait quant à lui de la guerre en Irak. En revanche, s’il s’attache là aussi à suivre de jeunes soldats, le mode opératoire est radicalement différent. Le contexte aussi d’ailleurs…
Dans les tranchées
Sam Mendes, épaulé par le mythique directeur de la photographie Roger Deakins (un fidèle des frères Coen et de Denis Villeneuve), a ainsi choisi de raconter une histoire simple. Dans 1917, pas de discussions d’état major ni d’intrigues secondaires visant à offrir un background aux personnages. Pas de légèreté non plus, si ce n’est au détour des rares pauses qu’il a imposé à son récit, alors que les deux jeunes soldats progressent au beau milieu des lignes ennemis, marchant courageusement vers leur destin afin de remplir une mission à haut risque. Non, 1917, se concentre narrativement sur l’essentiel et n’entend en cela pas raconter la grande histoire de la sale guerre mais bien quelque chose de plus intime mais au fond de tout aussi éloquent. Nous ne sommes donc pas ici en face d’Il faut sauver le Soldat Ryan bien qu’on y pense aussi parfois. Les intrigues sont un peu ressemblantes et la scène d’ouverture du Spielberg a visiblement inspiré Mendes, qui à son tour, se montre puissamment immersif quand il s’agit de nous faire ressentir le danger, en collant aux bottes de ces hommes à peine entrés ans l’âge adulte mais pourtant précipités dans un enfer de boue, de sang et de feu. Le truc, c’est que l’immersion totale, chez Mendes, elle dure 2 heures !
Faux plan-séquences, vrai morceau de bravoure
Le fait de vouloir filmer 1917 en un seul et unique plan-séquence comportait son lot de risques. Il convient d’ailleurs, avant de continuer, de préciser que le film ne se compose pas d’un seul long plan mais de deux. Mendes opérant une coupe à mi-parcours, avant de reprendre de plus belle. La prouesse ayant consisté à coller les uns aux autres plusieurs plans-séquences sans que cela ne se voit à l’écran. Car les coutures ici sont invisibles. D’une fluidité exemplaire, la mise en scène est incroyable du début à la fin. Là où d’autres auraient pu verser dans la démonstration de force opportuniste, Sam Mendes, lui, exploite avec pertinence ses compétences qu’il met entièrement au service de son histoire. Même quand l’action se calme, comme durant cette scène dans la maison (nous n’en dirons pas plus), l’absence de coupes contribue à vraiment nous plonger dans une atmosphère oppressante. Le danger est partout. Quand les balles fusent bien sûr, quand les avions survolent les champs de bataille, forcément, mais aussi quand tout semble trop paisible. Avec une intelligence et une sensibilité de tous les instants, comme investi d’une mission qu’il prend avec beaucoup de cœur, Sam Mendes sait utiliser la technologie moderne pour non seulement parfaitement recréer l’époque, bien aidé par de superbes costumes et des décors souvent extrêmement spectaculaires, mais aussi pour servir le cœur de son récit. Entièrement dévoué à traduire à l’écran le courage, la peur et le dépassement de cette dernière, de ces soldats dévoués à leur cause, Mendes réussit alors à véritablement donner corps à des émotions pourtant assez peu exprimées verbalement. En cela, il convient bien sûr de saluer l’extraordinaire travail des acteurs, George MacKay (déjà formidable dans Captain Fantastic) et Dean-Charles Chapman (Tommen Baratheon dans Game Of Thrones). Deux jeunes comédiens parfaits de plus remarquablement entourés par quelques pointures comme Benedict Cumberbatch, Mark Strong et Colin Firth.
Course à l’espoir
Œuvre de pur cinéma, incarnée et dotée d’un cœur qui ne cesse de battre à l’unisson avec celui de ses héros, 1917 s’avère également d’une beauté terrassante à plusieurs reprises. Certains plans mettant en avant le génie de Roger Deakins, qui flirte carrément parfois avec l’expressionnisme. Comme quand MacKay progresse de nuit dans cette ville ravagée. L’horreur est ici croquée par Mendes et Deakins de manière à apparaître sans ambages. Les ruines éclairées par le feu, les ombres que Deakins et Mendes exploitent pour organiser une savante chorégraphie… La poésie est totale. Une mélancolique et brutale danse de mort, traduisant la passion de véritables artisans, qui savent aussi se montrer plus optimistes, lors de passages là encore touchants car symbolisant la résilience d’une forme d’espoir et d’innocence que même cette guerre barbare n’arrive pas à tuer.
On pourrait disserter pendant des heures sur ce chef-d’œuvre bouleversant. Sur cette pièce maîtresse du cinéma contemporain, qui réussit, en l’espace de 2 heures qui filent à la vitesse grand V, à nous précipiter au cœur d’un conflit meurtrier, avec une intensité, une sincérité et une sensibilité rares. Il est toujours délicat de faire ce genre de déclaration en sortant de la salle, encore sous le coup de l’émotion, mais il est fort probable que 1917 soit le plus grand film jamais réalisé sur la Première Guerre mondiale et sans aucun problème l’un des meilleurs films de guerre tout court.
En Bref…
N’exploitant jamais la technique et ses fameux plan-séquences virtuoses pour tomber dans le spectaculaire opportuniste ou dans la démonstration de force outrancière, Sam Mendes reste en permanence dans l’émotion. Sincère de bout en bout, parfaitement maître de son sujet de ses ambitions, il nous offre un authentique survival terrassant d’émotion et visuellement à tomber. Une date dans l’histoire du cinéma.
@ Gilles Rolland