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(Les Disputaisons) À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ?, Françoise Favretto

Par Florence Trocmé


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publie aujourd’hui la première contribution d’une nouvelle série de disputaisons autour du thème « A quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? ». Remerciements à Jean-Pascal Dubost qui en a eu l’idée et qui en a assuré la réalisation.

Disputaison n°2
« À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? »

La poésie (contemporaine s’entend), et c’est presque devenu un poncif que le dire, est un genre ignoré du grand public, dédaigné par les médias, fait de petits tirages, peu vendeur, et seule lue par une minorité de lecteurs (souvent eux-mêmes poètes) ; on pourrait entrer dans une longue litanie de ses carences. Quant aux poètes édités, selon une estimation non officielle mais qui fait autorité, ils seraient plus nombreux que les lecteurs de poésie.
Pourtant, un certain nombre d’obstinés s’acharne à en publier, et d’autres (plus rares) (libraires), à en vendre. Comment expliquer cette opiniâtreté ?

Françoise Favretto (Atelier de l’Agneau éditeur / revue l’intranquille)

Depuis les années 80, l’édition de poésie - dans plusieurs revues et dans une maison d’édition - me concerne, et je n’ai jamais pu m’arrêter de pratiquer cette activité, que ce soit parallèlement au professorat ou à part entière. Je la vois englober toute ma vie. Pourquoi ?
Un tissage de relations humaines se crée ainsi, des croisées d’auteurs en revues et dans les Marchés ou Salons du livre, Associations d’éditeurs, résidences d’auteurs, librairies, lectures publiques aussi. Ces réseaux qui ne sont pas les mêmes exactement que ceux d’Internet, permettent aux poètes comme aux éditeurs de rencontrer des lecteurs de visu et de discuter.
La publication d’un livre, si elle se prépare par échanges de fichiers, demande de vraies rencontres. Une revue, encore davantage, du fait du nombre d’auteurs, illustrateurs, et critiques aussi (à ne pas oublier car même si souvent ils sont poètes, ils donnent beaucoup plus d’intensité et de durée aux publications). On les choisit, on attend leurs articles, ce sont les lecteurs privilégiés.
Je ne pense pas que le nombre de lecteurs soit égal à celui des poètes. Ils sont plus nombreux, les deux ensembles ne se superposent pas.
On peut aussi penser qu’un poète peut donner envie d’écrire à un lecteur, il lui fait du moins découvrir un rapport au langage différent de la prose quotidienne dont nous sommes abreuvés. Ou qu’un critique peut parler de poésie alors qu’il ne connait pas ce domaine, par exemple les blogueurs qui ont souvent une idée conventionnelle du poème, découvrent des formes d’écriture qu’ils ignoraient et s’en réjouissent. Je pense à celles et ceux de Babelio par exemple.
Par ailleurs, les universitaires lisent les poètes, français comme étrangers, organisent des colloques, des rencontres. Les étudiants aussi, et même les classes de bac étudient les poètes contemporains puisqu’ils ont des présentations libres pour les oraux. Leurs professeurs ont la possibilité de sortir des sentiers battus du programme. Appel d’air salutaire…
J’ajoute que des bibliothèques tiennent à cœur de faire connaître les poètes par des rayons très fournis, la bibliothèque municipale parisienne Marguerite Audoux par exemple à Paris.
Il faudrait également voir du côté des traducteurs. Je ne connais pas le nombre de livres de poésie traduits dans un sens ou dans l’autre mais les traducteurs de ce domaine ont une exigence supérieure, les difficultés à contourner sont très nombreuses et prêtent à l’invention (le paroxysme étant pour la poésie dite « expérimentale ». Allez traduire Ernst Jandl, par exemple…)
Et l’on retombe sur le traducteur poète, le seul selon beaucoup, à pouvoir traduire la poésie de façon nuancée, possible, acceptable, etc.
Ces deux rôles ne sont guère distincts dans ce domaine…
Continuer à publier, c’est donc pour moi créer et fortifier des collectifs et des réseaux, mettre en relation, favoriser cette mise en relation. Un autre monde qui n’a rien à voir avec les constructions politiques et sociales habituelles, qui essaie aussi de se séparer des questions financières. Ce qui étonne quand on en parle à des béotiens en la matière : tiens, ça existe, on peut trouver des milliers d’amateurs de poésie ici ou là réunis ??? Et « ça » se vend ?
C’est la circulation du pur texte qui compte pour moi.
©Françoise Favretto


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