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(Note de lecture) La Monnaie des jours, de Jacques Robinet, par Sabine Péglion

Par Florence Trocmé

(Note de lecture) La Monnaie des jours, de Jacques Robinet, par Sabine Péglion" Arracher à la boue du langage une vraie parole. " Aspiration, souhait ? Quand on commence la lecture du deuxième ouvrage de Jacques Robinet publié par les Editions La Coopérative, cette phrase soudain prend tout son sens. C'est bien ce qui nous retient, une parole qui résonne en nous, si juste, si profonde, qu'elle demeure et nous invite à suspendre notre lecture pour la relire, s'en imprégner, se l'approprier.
Si Jacques Robinet revient sur des épisodes importants de son existence, ceux qui l'ont construit, ou blessé, l'enjeu de ce texte autobiographique va au-delà. A quelle finalité, à quelle nécessité obéit l'écrivain en poursuivant ce questionnement, au soir de sa vie, sur son parcours ? Inévitablement il est conduit à s'interroger sur l'écriture :" Ecrire avec les mots de tous les jours les heurs et les malheurs du monde ". Parvenir à " trouver les mots les plus simples pour traduire des émotions essentielles ". Proche de la recherche de Philippe Jaccottet, poète auquel il rend hommage, il cherche le " mot juste ", et s'interroge sur toute formulation, s'attachant à toujours plus de transparence. Pourtant, ce qui n'est pas antinomique, la forme retient l'attention.
Trois parties structurent le texte.
" Un passé en forme de traces " évoque des instants, des scènes qui surgissent de sa mémoire, qu'il retrace, et pour certains rédige comme de réels poèmes en prose. Kaléidoscope de sons, de couleurs, de gestes sans réelle chronologie, mais qui s'impose et (on peut le supposer) se superpose au temps présent. Celui-ci s'inscrit sous la forme du journal tenu entre 2012 et 2019, avec comme titre générique : " Les jalons du présent ". Enfin le dernier chapitre " Clartés d'avenir " réunit thématiquement des aphorismes, des réflexions, en des phrases brèves parfois un ou deux, trois vers :
Tu retournes à la poussière,
homme - poussière d'étoile :
de quelle lumière, le reflet ?

On réalise alors que l'on tient, entre ses mains, plus que la somme d'une vie. Certes, un homme s'interroge, voyant se dessiner sur le cours de son existence les berges d'une autre rive, sur ce qui reste d'une vie, sur ce qui le retient encore, sur ce qui l'attend. Ce qui fait la force de cet ouvrage c'est non seulement cette voix qui n'hésite pas à se dévoiler ,à livrer ses manques, ses faiblesses ,sans amertume ,sans colère .Car rien n'est occulté " mémoire qui se dégrade, insomnies sans prise sur cette roue du temps devenue folle, fragilité multiple du corps et de l'esprit ", interrogations sur le sens même de l'écriture, celle de poèmes notamment, " insatisfaction que j'éprouve à me relire (...) sentiment d'échec, de facilité ou ...d'imposture ", doute sur ce qui nous attend au-delà " funambule qui avance les yeux fermés sur un fil très fragile ", il ne se permet aucun jugement abrupt, aucune affirmation péremptoire. Comme un aveu il nous livre cette recherche " d'une main qui écarte les ténèbres " tout en confiant : " est-ce mirage de douceur, espérance obtuse opposée à la nuit du monde ? Tout est possible et je ne sais ".
Mais plus encore, c'est cette injonction à célébrer la plénitude d'instants qu'il nous est donné parfois de vivre, car si " Chaque instant est précieux d'être éphémère " encore faut-il en prendre conscience. La seule certitude du sens de notre passage réside dans la perception de la beauté du monde, de la perfection de ces quelques heures, et c'est en poète qu'il nous les livre :
" Qui d'autres que toi pour surprendre ce passage d'aile, rose et or du nuage qui se déchire à l'instant ?
Peut-être ne naissons-nous que pour célébrer la tendresse d'un moment perdu. "
" une lueur rose sur un mur à la fin du jour [...] irruption passagère d'un ange dans l'opacité d'un monde "
Reste ce livre où s'inscrit sur une magnifique illustration de Renaud Allirand, sorte de voile que transperce la lumière, La monnaie des jours, livre que l'on retient, que l'on offre ne serait-ce que pour ces mots : " Ne rien fermer, demeurer ouvert, sans rien exiger, sans rien refuser. Aimer sans retour [...] L'important n'est pas de savoir si Dieu existe ou pas, mais de choisir d'aimer. "

Sabine Péglion
Jacques Robinet La monnaie de jours, Éditions La Coopérative 2019, 240 p., 21€
Sur le site de l'éditeur
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