Bien sûr, il n'est pas ici question de prises de participation majoritaires et les jeunes pousses s'empressent de se montrer rassurantes face aux Cassandres qui prédisent l'envahissement d'entreprises technologiques étrangères avides de capturer les données personnelles des consommateurs. Sur ce sujet, il faut être clair : le risque n'est probablement pas aussi critique qu'on l'imagine généralement et un danger autrement plus imminent et tout aussi stratégique transparaît derrière ces annonces.
En effet, la véritable question que soulève l'arrivée tonitruante de Tencent sur la scène FinTech française est, en creux, la place que lui abandonnent les acteurs locaux du capital-risque (y compris à l'échelle européenne, incidemment). Car, si Lydia et Qonto se tournent vers le géant de l'empire du milieu, c'est certainement parce qu'elles rencontrent des difficultés à convaincre des investisseurs plus proches d'engager les dizaines de millions dont elles ont besoin pour poursuivre leur développement et leur expansion.
La triste réalité est que, dans un pays qui se gargarise de grandes intentions (portées, entre autres, par le mouvement de la French Tech), les lacunes de l'écosystème entrepreneurial sont toujours aussi béantes, sans aucun espoir d'amélioration à court ou moyen terme. L'envie de créer n'a jamais été aussi répandue parmi nos compatriotes, les (bonnes) idées germent à un rythme soutenu, les aventures aux premiers résultats prometteurs sont visibles… mais les sources de financement continuent à manquer.
N'exagérons rien. La situation a tendance à s'améliorer et quelques transactions significatives au cours des derniers mois le confirment. Il subsiste toutefois dans le milieu de l'investissement hexagonal une aversion au risque délétère. Ainsi, les projets qui ont le plus de chances de lever des fonds sont avant tout ceux qui adoptent un modèle B2B, de préférence à destination des grands groupes, dans lequel les cycles de vente sont longs mais qui est aisé à appréhender car résolument classique et maîtrisé.
Selon cette logique, les éditeurs de logiciels se trouvent particulièrement privilégiés et le récent panorama du secteur publié tout récemment par l'association France FinTech illustre clairement leur prépondérance dans le paysage. On peut d'ailleurs noter que la plus grande facilité (relative) à trouver de l'argent dans ce domaine conduit mécaniquement les entrepreneurs à s'orienter vers celui-ci. C'est, par exemple, une raison de l'explosion du nombre de solutions « RegTech » ou assimilées.
En revanche, les startups qui visent les clients finaux (consommateurs ou entreprises, PME en tête) sont ignorées. Leurs visions trop incertaines (peuvent-elles vraiment séduire leurs cibles ?), trop lointaines (elles seront peut-être rentables dans 5, voire 10 ans), trop dépendantes d'une logique d'hyper-croissance (leur potentiel ne se concrétisera qu'avec des millions de clients)… demandent un effort de projection, d'imagination et de confiance dépassant les capacités de la plupart des investisseurs nationaux.
Tant que cet aspect n'aura pas évolué, toutes les tentatives de promotion de la scène entrepreneuriale française resteront stériles : les meilleures initiatives et les meilleurs talents finiront par alimenter les économies où la culture de l'aventure (comme dans l'expression « venture capital ») est mieux implantée. Et les acteurs chinois, redoublant de prudence aux États-Unis en raison des tensions politiques actuelles, vont certainement accélérer leurs intrusions en Europe en profitant des opportunités ainsi offertes.
Les conséquences à long terme de cette dérive peuvent être dramatiques. Si la créativité de nos compatriotes persiste à se consacrer prioritairement aux besoins des grandes institutions financières, il est à craindre que, quand celles-ci s'effondreront (ce qui paraît inévitable), la relève ne puisse venir que des États-Unis ou de Chine, sous une forme ou une autre. Le schéma qui a vu émerger la domination sans partage des GAFA il y a 20 ans semble bien parti pour se reproduire demain dans la FinTech…