La vie intérieure, une simplification :
"Dieu est infiniment simple, en ce qu'il est dépouillé de toute composition et multiplicité. Sa puissance est lui-même, sa sagesse est lui-même, son amour est lui-même, la jouissance est infinie qu'il a de soi-même, est lui-même, et les trois Divines Personnes ne sont que la même très simple et infinie essence.
Au premier degré, nous nous occupons en plusieurs et directes méditations, prises sur des sujets tous différents, et par ainsi nous agissons beaucoup et sommes dans une grande multiplicité.
Au second, nous restreignons et recueillons notre esprit à une sainte méditation qui est celle de Dieu, et encore pour le regard de sa seule immensité, de son existence et de sa sainte présence. Et par ainsi nous commençons à nous simplifier.
Au troisième, nous ne recherchons plus comme Dieu est présent et nous ne nous évertuons plus grossièrement de produire des affections en la sainte présence. Mais par l'abondance de la grâce et opération de Dieu en nous, et par une sainte habitude nous possédons le sentiment de sa sainte présence, et nous conservons une vue intérieure de lui tout présent dans laquelle nous formons nos affections, non plus activement et grossièrement, mais passivement et intimement, de sorte que nous devenons encore plus simples et détachés de nous et de nos actes.
Au quatrième, non seulement nous retranchons les méditations, mais encore les diverses affections sur Dieu présent : et communément nous nous contentons d'une élévation simple, amoureuse et respectueuse de notre esprit sur Dieu tout présent. Et par ce moyen nous sommes rendus encore plus simples.
Au cinquième, comme plus passif et surnaturel, Dieu nous fait perdre notre propre activité et tout notre effort grossier du quatrième degré, avec lequel nous tâchions d'élever notre esprit à lui. De sorte qu'il nous fait faire cette élévation d'une manière plus passive et surnaturel. Et par même moyen il nous rend plus simples et plus intimes.
Au sixième, Dieu nous prive du regard de notre entendement sur lui tout présent et il ne nous laisse que le seul amour, amour sans aucune connaissance actuelle, et par conséquent obscur et ténébreux, dont nous restons tous désolés, craignant de retourner en arrière et de devenir oisifs et moins spirituels, quoi que pourtant nous devenions plus simples, plus intimes et plus élevés, en ce que nous sommes très noblement occupés au meilleur, qui est l'amour.
Au septième, Dieu nous laisse bien son amour, voire même il nous l'augmente, mais il nous prive de tout sentiment de lui, voire même il nous en donne un sentiment tout contraire, par les diverses rebellions de la partie inférieure et par le peu d'action et de résistance sensible de la partie supérieure, dont nous restons encore plus troublés et angoissés, mais en vérité plus simples, plus éloignés de nous et de nos actes, plus purgés de nous-mêmes et de nos imperfections et plus déiformes.
Et au huitième, non seulement nous pratiquons toutes les vertus les plus excellentes, mais encore nous n'opérons plus imparfaitement, bassement, activement et humainement, mais très parfaitement, hautement, passivement et divinement, en ce qu'en toutes nos œuvres nous sommes comme continuellement mus et agis de Dieu. Et par même moyen nous vivons dans une très bonne simplicité, nudité et aliénation de nous-mêmes.
Et par cette simplification de nous-mêmes, nous acquérons une union et si j'ose dire, une unité très admirable avec Dieu."
Les Huit Degrés de l'oraison, par Simon de Bourg-en-Bresse, moine capucin du Grand Siècle, à paraître bientôt chez Arfuyen
Notez que tout ce qu'il y a à faire est de se laisser faire. In-action divine, action intérieure qui détermine une vie intérieure, par l'intérieure, qui flue de l'intérieur vers l'extérieur. Notez aussi que l'individu est simplifié, qu'il ne cesse pas, et que son libre-arbitre est toujours respecté. Enfin, l'accès à Dieu est directe, car Dieu est le seul moteur efficient. De plus, comme il n'y a pas de parties en Dieu tout simple, il n'y a pas de parties de la connaissance de Dieu. Dieu est connu d'un seul coup, tout entier en une présence immédiate. En revanche, mon être a des parties, des parties de mon corps, de mon âme et de mon esprit. L'inaction de Dieu sur elles a donc des parties. Les effets de la connaissance immédiate de Dieu sont donc progressifs. Voilà une voie simple : s'ouvrir instinctivement à Dieu, c'est l'éveil instantané. Puis se laisser faire peu à peu, dans toutes les parties de son être.