Les grandes (et bonnes) causes peuvent bénéficier de l'efficacité du storytelling, à condition que ce storytelling soit conçu et exécuté de manière adaptée à leurs spécificités. Quand on parle de bonnes causes, c'est tout ce qui touche à la solidarité, l'humanitaire.
Ce n'est pas parce que le storytelling est beaucoup utilisé par les entreprises et les marques que les ONG et autres associations ne peuvent pas l'utiliser à leur avantage et de manière éthique en même temps.
Quelles précautions d'usage les bonnes causes doivent-elles prendre pour utiliser le storytelling en toute efficacité ?
Cet article est inspiré d'un travail de l'organisme américain Wilder Research, publié en novembre 2019.
Déjà, pourquoi ces organisations devraient-elles faire du storytelling ?- Pour obtenir une meilleur empathie de la part des publics qu'avec des faits et/ou des statistiques
- Une immersion du public dans le discours de l'organisation : l'histoire le transporte
- Une identification à l'histoire : le public se retrouve dans l'histoire racontée
- Une connexion émotionnelle avec l'histoire et les personnages - narrateurs de l'histoire
- Pour motiver le public à s'engager dans des actions vertueuses, du moins positives pour l'association, l'ONG
- Une histoire individuelle est plus efficace qu'une histoire collective :
- Abaisser les barrières (on peut aussi dire résistances) que peut se mettre l'auditoire des messages de l'organisation, l'empêchant de passer à l'action et d'adopter les idées véhiculées au service de la cause
- Un storytelling individuel, oui, mais ciblé :
Ces 3 attributs se combinent entre eux pour une efficacité maximale : ce n'est pas l'un ou l'autre, ce sont tous les attributs, ensemble, qui sont opérants. Et seules des histoires peuvent avoir un tel effet.Enfin, quand je dis ensemble, c'est plutôt l'un qui déclenche l'autre, dans cet ordre : immersion > émotion > connexion-persuasion. Bien entendu, la fait que le storytelling transforme des concepts abstraits en événements relatés concrets joue pour beaucoup.
- Une histoire individuelle peut illustrer des enjeux et des processus complexes :
Les associations, ONG etc. ne sont pas des entreprises mais sont (ainsi que leurs causes) tout de même en concurrence entre elles pour lever des fonds qui leur permettront d'agir. Donc l'efficacité a vraiment du sens pour elles aussi, à travers l'évaluation tangible de leurs performances. Comme des entreprises, en fait. C'est aussi un moyen de motiver encore davantage des bénévoles et autres acteurs clés de ces organisations. Quand on voit que les efforts menés sont importants et contribuent réellement à un changement, on est plus enclin à continuer à s'engager.
- Une histoire individuelle a le pouvoir de pousser la société à se transformer :
On parle ici d'histoires personnelles, c'est à dire d'anecdotes, contrairement à une communication factuelle. Ces anecdotes véhiculent des expériences personnelles et contextualisées. La communication factuelle, elle, est indépendante d'une référence à un contexte.
- Le niveau d'émotion est la clé :
Une personne avec un nom, un visage, un drame personnel inspire plus de compassion et d'envie d'aider que l'histoire de plusieurs personnes plus anonymisée. Donc, si on récapitule... Un chiffre individualisé aura plus d'impact qu'un chiffre global. Une histoire collective sera plus puissante que n'importe quel chiffre. Et une histoire individuelle, est donc plus forte qu'une histoire lus globalisée. Mais ce n'est là que le demi-Graal. Le nec ou Graal plus ultra est l'histoire individualisée qui inclut un chiffre individualisé lui aussi.
- Le storytelling a un effet anti contre-argumentation... à maîtriser :
La règle est 1 histoire = 1 message. Plus d'un message, c'est risquer de perdre l'auditoire, de ne pas lui permettre de prendre la mesure de l'histoire.
En montrant comment des enjeux globaux et des processus opérationnels complexes impactent la vie de personnes spécifiques, cela met en lumière les problèmes mais aussi les solutions concrètes possibles. Ce n'est pas pour rien que les 2/3 des journalistes vainqueurs du prix Pulitzer aux Etats-Unis ont raconté des histoires individuelles de personnes pour étayer le sujet sur des enjeux sociaux qui a concouru pour remporter cette distinction. Je ne cite pas le prix Pulitzer pour rien : pour illustrer efficacement de tels sujets difficiles, l'histoire devra être particulièrement bien conçue, écrite et racontée. C'est tout l'art de rendre la complexité du sujet suffisamment simple sans la rendre simpliste.
Des histoires individuelles permettent de connecter des problèmes vécus à des injustices plus grandes : ce ne sont plus uniquement des combats individuels. Et quand plusieurs combats individuels se connectent entre eux, cela peut donner lieu à un mouvement collectif, ou au moins à l'expression d'une réalité collective avec une action sociale à la clé. C'est aussi une forme de participation démocratique qui peut voir alors le jour dans la sphère publique. Les grandes causes ont bien une dimension à la fois sociale et politique (ne serait-ce que parce qu'elles nécessitent souvent des changements que les gouvernants doivent activer).
Le storytelling utilise du contenu émotionnel. Dans le cas des causes humanitaires, certaines émotions pourront être connotées négativement : par exemple la culpabilité. Si le niveau d'émotion de l'histoire est mal maîtrisé, cela peut générer d'autres émotions, négatives, qui n'amèneront pas un passage à l'acte vertueux. Tout est question d'équilibre.
- Le storytelling, même bien réalisé, n'est pas une baguette magique :
Le storytelling a pour effet de réduire la propension à émettre des critiques. Certains, tels que Christian Salmon, ont interprété cela de manière négative. Ils ont parlé du storytelling comme d'une machine à formater les esprits, un espèce de nouvel opium du peuple. C'est bien le fait de la nature ludique, divertissante du storytelling. Il installe un climat plus détendu, plus ouvert.
Et peut-être que oui, l'immersion importante dans l'histoire est une absorption qui fait un peu oublier l'envie de contre-argumenter, mais ce n'est pas le diable. Et surtout : toute technique de communication essaie de positiver au maximum, sans cesse. Le storytelling a au moins cette honnêteté de reconnaître l'existence d'un problème et de baser le récit autour de ce moteur. Cependant, l'histoire va partir d'un problème mais ne pas s'y cantonner. Elle ne va pas rester dans le pathos, le problème n'est évoqué que pour orienter vers un changement positif, la résolution du problème.
Traditionnellement, on objectait que le storytelling apportait moins de preuves tangibles que des faits et des chiffres : mais entre temps, l'époque de la vérité alternative est arrivée et la valeur d'une preuve n'est plus ce qu'elle était.
C'est aussi ce qui doit amener les storytellers à la prudence. Etant donné que la responsabilité d'interpréter l'histoire est laissée au public, sans essayer, et ce volontairement, d'être directif, celle-ci va être davantage sujette à de mauvaises interprétations. D'où, encore une fois, la nécessité d'apporter un grand soin à sa confection, en anticipant beaucoup les risques. Risques qui peuvent se retourner contre le storyteller lui-même, du fait des possibilités d'interprétations multiples des histoires.
Certes, une histoire personnelle qui va à l'encontre de préjugés aura toujours plus d'impact qu'une liste d'arguments factuels ou même un exposé sous forme de récit générique. Toutefois, il y a des limites. Lorsque les personnages de l'histoire sont d'un autre milieu que le leur (le mot milieu doit être pris au sens le plus large possible), l'empathie est moins fortes et les stéréotypes persistent de manière plus importante, avec également une moins grande immersion dans l'histoire. Cette particularité reste valable quand l'histoire est une fiction et que cette caractéristique est connue de l'auditoire.
Comment s'améliorer en storytelling :
Evidemment, toutes les compétences de storyteller permettant d'exceller ne sont pas innées. Mais toutes peuvent s'apprendre, sans trop de difficultés. C'est une question d'efforts que vous pouvez, ou non, être prêts à faire. Pour moi, le plus simple que j'ai pu trouver pour progresser dans le storytelling, c'est une formation à distance. Je pratique régulièrement les MOOC, j'en ai même créé un moi-même pour le compte d'un organisme de formation tiers. Mais même quand on est très motivé, je comprends bien qu'il n'est pas forcément facile de passer des heures à visionner des vidéos de formation. C'est pourquoi je préfère souvent des formations à distance, certes, devant écran, mais en direct live, avec une vraie personne de l'autre côté de l'écran. C'est ainsi que toutes les formations au storytelling que je propose peuvent être déclinées, et pour un tarif bien plus bas que les formations classiques en présentiel.