1001 pattes

Publié le 20 janvier 2020 par Taupo


Voici la transcription et les notes de l'émission 396 de Podcast Science. Cette émission m’a permis de mettre à jour un vieux billet de SSAFT paru en 2012 ainsi qu’une vidéo réalisée dans le cadre du festival en ligne Head Bang, en 2016.

Les auditeurs qui, comme moi, sont nés dans les années 80, reconnaîtront probablement la célèbre pub suivante :

Texte:
On ne combat pas les insectes qui font "bzzzz" comme les insectes qui font "crr crr crr crr crr". Alors contre les insectes qui font "bzzzz" y'a baygon jaune, et contre les insectes qui font "crr crr crr crr crr" c'est baygon vert. Baygon jaune, Baygon vert, en droguerie.

Comme vous pouvez le constater, c’est très daté, et un condensé de tout ce dont on peut avoir honte de la France des années 80 : l’usage sans réflexion des insecticides, l’emploi du mot droguerie et surtout... Michel Leeb.
Mais au visionnage de cette vidéo, ce qui irritera plus d’un adepte d’entomologie, c’est le fait que l’animation d’un pulvérisateur de baygon vert marchant tel un insecte aura été réalisé en dotant le dit pulvérisateur de 8 pattes au lieu de 6! Horreur!

Ainsi, vous propose-je ici, d’une pierre deux coups, de tourner définitivement la page des embarassantes années 80 (en cela je suis bien content de constater que la mode des années 80 semble mourir de la mort lente qu’elle mérite) et d’enterrer par la même toutes vos idées erronées sur la locomotion des insectes.
Emboitez-moi le pas et déambulons ensemble à la découverte des appendices locomoteurs des hexapodes, à commencer par ceux qui font donc “crr crr crr crr crr”, à savoir les pattes.

Des pattes, cela n’a rien d’exceptionnel chez les arthropodes, le groupe dans lequel on retrouve les insectes, mais aussi des crustacés, des araignées ou encore des experts ès pattes : les myriapodes (nos fameux centipèdes et mille pattes).

Par contre, les pattes des insectes ne se retrouvent pas n’importe où sur leur corps. En effet, le corps d’un insecte est divisé en trois grandes parties, qu’on appelle les tagmes pour faire stylé, et qui sont successivement la tête, le thorax et enfin l’abdomen.

Chacune de ces parties, chaque tagme est composé de plusieurs segments : plusieurs segments abdominaux, plusieurs segments de la tête et bien entendu plusieurs segments thoraciques. Or, seul le thorax porte des appendices locomoteurs de type patte chez les hexapodes (le groupe qui contient les insectes). Le lecteur attentif aura donc déduit que chez les hexapodes, on dénombrera 6 segments thoraciques. Et oui, hexapodes signifiant 6 pattes, donc 3 paires de pattes, et sachant que chaque segment thoracique ne porte qu’une seule paire de pattes, cela fait que les hexapodes sont caractérisés par un tagme central comportant 3 segments thoraciques qu’on nomme, partant de la tête, le prothorax (pro signifiant à l’avant), le mesothorax (meso- signifiant au milieu… comme dans mésopotamie, le royaume au milieu des potames… les fleuves) et enfin le meta-thorax (meta- signifiant après).

On nommera donc les paires de pattes selon le segment thoracique qui les porte : pattes prothoraciques, mesothoraciques et metathoraciques. Et à quoi ressemblent-t-elles ces pattes de mouches? Et bien, comme chez tous les arthropodes, il s’agit de pattes articulées, ce qui signifie à vrai dire qu’elles sont composés de plusieurs articles, de plusieurs parties en somme. Et pour désigner l’anatomie d’une patte d’insecte, les entomologistes se sont amusés à leur fournir des noms évoquant l’anatomie des jambes d’humains.

En partant du thorax et en s’éloignant du corps, on retrouvera donc une hanche (ou coxa en latin), prolongée par un trochanter, un fémur, puis un tibia, suivi de plusieurs segments formant un tarse qui se termine par des griffes (ou pretarse)... Pour info, un humain a aussi des trochanters puisqu’il s’agit de structures qui se trouvent à l’extrémité du fémur, du côté de la hanche, juste avant le col et la tête de l’os.

Cela ne devrait pas vous surprendre, le mode de locomotion privilégié quand on est doté d’autant de pattes, c’est bien entendu la marche.

Mais alors attention, la marche pourrait tout à fait être subaquatique ou terrestre. Pour vous en convaincre, observez la fière marche d’un homard sur le fond marin, qui devait grosso-modo ressembler à celle des premiers arthropodes qui déambulait sur le sol océanique, il y a près de 540 Ma de cela. Plus de 100 Ma d’années plus tard, d’aventureux arthropodes s’aventuraient sur la terre ferme. Ce sont donc eux les premiers animaux colonisateurs des continents émergés, il y a 423Ma, et non les vertébrés dont le plus vieux fossile trouvé qui avait trainé sa bedaine sur le sol était Tiktaalik, il y a 375Ma. Le plus vieil arthropode terrestre retrouvé est un myriapode et sa marche repose donc sur de nombreuses pattes.
Mais comment un insecte ça marche au juste? Avec 6 pattes, quelles sont celles qui se lèvent et celles qui touchent le sol pendant leurs balades? [... à ce moment de l'émission de Podcast Science, j'ai été victime d'un sabotage félin dont je vous invite à découvrir la teneur ici] Et bien je vous invite vous approcher de plus près la prochaine fois que vous croiserez des fourmis et de vous placer juste au dessus de l’une d’entre elle : vous pourrez constater qu’en marche, elles ne reposent chaque fois que sur 3 pattes : les deux pattes pro et meta thoraciques d’un côté (gauche ou droite) et la patte mesothoracique de l’autre.

Cela fait qu’il y a une alternance de trois points d’appuis, leur conférant une marche par succession de position en trépieds. Mais dans de très rares cas, vous pourrez trouver des insectes qui, pour changer d’allure et courir plus vite, se mettent à n’utiliser que leurs 4 pattes arrières, voire, pour un cas assez surprenant documenté chez les cafards, démarrer une course bipède.

Mais ce ne sont pas les seules prouesses athlétiques dont sont capables les insectes car, du fait de leur succès évolutif et leur incroyable diversité, la nature a doté certaines espèces d’insectes de capacités pour devenir experts fouisseurs, sauteurs ou encore nageurs! Allez hop, on va aller voir ça au pas de course.
Je ne sais pas si vous avez récemment maté les guibolles que se paient les grillons, criquets et autres sauterelles, mais le moins qu’on puisse dire c’est que le galbe des pattes arrières de ces bestiaux est autrement plus impressionnant que celui des pattes de mouches ou de cafards. S’ils ont des jambonneaux à faire verdir d’envie Richard Virenque, c’est qu’il s’agit de puissantes pattes métathoraciques (les pattes arrières si vous avez bien suivi) adaptées aux cabrioles.

La forme en Z et la longueur des pattes vont offrir à l’insecte une détente du feu de dieu, ce qu’on peut notamment observer en détail lorsqu’on filme le saut de ces insectes au ralenti.

Ses pattes métathoraciques hypertrophiées constituent d’ailleurs une des caractéristiques du groupe des orthoptères, le groupe dans lequel on retrouve les espèces apparentées des sauterelles, criquets et grillons. Mais ce ne sont pas les seuls adeptes du mode de locomotion saltatoire (le fait de se déplacer en sautant) et l’on retrouve des pattes de compet’ chez les amateurs de saute mouton que sont les puces, mais aussi certaines sortes de punaises comme les fulgores ou les membracides.

Encore un coup de la convergence évolutive! Chez toutes ces espèces, on peut établir une règle empirique selon laquelle les pattes qui propulsent l’animal (les pattes arrières hein donc, pour éviter de sauter à reculons) mesurent au moins deux fois la taille des pattes avant, qui sont elles utiles pour réceptionner l’animal en fin de bond. Pour décupler leur sauts, la plupart de ces insectes accumulent une substance élastique dans leurs pattes, la résiline, qui permet de stocker de l’énergie mécanique à relâcher au moment du saut, un peu comme un système de ressort. Mais toutes ces espèces ne sautent pas exactement de la même manière et pour déterminer quel est la partie de la patte qui propulse l’animal, les chercheurs doivent réaliser des films avec des caméras ultra-rapides, à l’instar de ces chercheurs de Cambridge qui ont analysé des films de sauts de 51 puces de hérissons pour déterminer que celles-ci utilisent leurs bouts de pattes (leurs tarses) pour appuyer sur le sol et bondir à plus de 18cm en hauteur (soit 180 fois leur taille, le record absolu du saut le plus haut du règne animal).

Cela représente une accélération énorme et mieux vaut que cette propulsion soit contrôlée pour éviter de sauter n’importe-où!

Chez les larves des cigales-bossues (des insectes qui portent le nom de planthopper en anglais, donc sauteur sur plante), il est impératif que les pattes propulsives s’étendent de manière synchronisée et une étude anatomique détaillée a révélé que cette synchronisation était permise grâce aux trochanters de leurs pattes postérieurs qui présentent des sortes de rangées de dents, capables de s’imbriquer les uns dans les autres et donc de constituer une sorte de système d’engrenage biologique.

Mécaniquement, quand une patte initie le mouvement, elle embarque avec elle sa voisine pour une acrobatie à la synchronisation digne des jeux olympiques!

Donc d’un point de vue évolutif, la nature n’a pas attendu les humains pour inventer l’engrenage… qu’il fallait chercher sous la jupe des insectes… Après, cette structure est transitoire car uniquement présente chez les larves qui régénèrent les dents de l’engrenage à chaque mue. Chez l’adulte, c’est l’adhérence entre les hanches (ou coxae) des pattes qui assure la synchronisation des détentes au moment du saut.
Mais pour sauter, certains insectes font leurs intéressants et n’utilisent pas leurs pattes.

C’est par exemple le cas des collemboles qui ne sont, pour être parfaitement exact, pas des insectes. Comme je vous l’expliquais dans le premier épisode de cette série, les insectes sont un sous groupe d’hexapodes et on les reconnaît au fait que leur bouche est composé d’appendices qui sont situés à l’extérieur (et ce n’est pas le cas des collemboles). Non seulement les collemboles ne sont pas des insectes, mais en plus ils accomplissent des saltos arrière triple axel à l’aide d’appendices abdominaux et non des pattes. Ils possèdent en effet un petit levier à 2 branches sous leur abdomen qui porte le nom de furca (fourche en latin). Au repos, celle-ci est soigneusement maintenu par un second appendice abdominal nommé rétinacle (qui retient donc la furca).

Lorsque le rétinacle est retiré, un coup de ce levier suffit à les catapulter à 15 cm de haut dans les airs.

C’est l’équivalent d’un humain sautant au dessus de la tour Eiffel. Et s’ils atterrissent à l’envers, ils ont aussi une façon originale de se remettre sur pattes: ils utilisent un appendice, le tube ventral, qui d'ordinaire leur fournit du liquide de nettoyage, et qu’ils peuvent utiliser ici pour leur permettre de se retourner à l’endroit.

Mais parmi les insectes, le digne détenteur du titre de sauteur à la méthode la plus chelou revient au taupin. C’est un coléoptère en forme de fuseau et qui a la particularité de sauter en étant allongé sur le dos.

En anglais, ils sont connus sous le nom de “click-beetles” parce que leur saut est accompagné d’un son qui évoque un “clic” :

Ce son qu’ils produisent est uniquement dû au mouvement qui succède la contraction entre leur abdomen et leur thorax. Quand ils sentent un danger, ils plient leurs pattes et leurs antennes le long de leur corps, et relèvent leur thorax vers le haut. Une épine présente sous le thorax qu’on appelle la "pointe prosternale" (on reconnait le mot sternum comme chez nous) vient se placer dans une encoche située sous l’abdomen. Si le danger persiste, le taupin appuie sur sa pointe à telle point qu’elle peut céder comme une gâchette et entraîner la production d’un clic retentissant. Mais cela est souvent aussi accompagné par un bond prodigieux, qui fait partir l’insecte en vrille dans les airs.

Et c’est la même chose lorsque le taupin se retrouve sur le dos, position peu pratique et particulièrement vulnérable. Avec son système, hop, il est dans les airs… et peut retomber encore sur le dos vu qu’il contrôle pas trop le nombre de pirouettes qu’il effectue… M’enfin bon, c’est déjà pas mal pour un insecte sans pattes de sauterelles…
Et en parlant de sauterelles, on va évoquer maintenant une espèce cousine, la courtilière, qui s’est spécialisée dans un mode de locomotion terrestre encore différent : le fouissage.

Pour fouisser, la courtilière, qui est aussi connu sous le nom de grillon-taupe, est munie de paluches antérieures qui ressemblent à des pelles… un peu comme une taupe!

Le bricolage évolutif qui a permis cette ressemblance vient d’un raccourcissement et d’un aplatissement des différents segments des pattes prothoraciques.

Le tout permet au grillon-taupe de se creuser de belles galeries:


 

Ce que cela illustre, c’est bien entendu l’incroyable plasticité de ces appendices qui ont permis d’offrir à différentes espèces d’insectes des modes de locomotions inédits, mais également d’autres fonctions, comme la prédation avec les pattes ravisseuses des mantes religieuses, la “séduction” avec des structures en forme de ventouses que possèdent certains dytiques mâles pour retenir les femelles au moment de la copulation, et même, chez les embioptères, des pattes associées à des glandes leur permettant de tisser de la soie.

Mais après ce rapide survol des locomotions terrestres des insectes il serait de bon ton d’enfin les créditer pour leur mode de locomotion par excellence, le vol battu! Pour voler, contrairement aux vertébrés, les insectes ne sont pas dotés de pattes modifiées mais de structures indépendantes: 2 paires d’ailes dorsales sur le meso- et le métathorax (les deux segments arrières du thorax, pour ceux qui suivent pas).

Les insectes ailés appartiennent tous au groupe monophylétique des Ptérygotes. Ça veut dire qu’ils sont plus proches entre eux que de n’importe quels autres insectes et cela signifie surtout que ces insectes ont hérité les ailes d'un ancêtre commun exclusif et que donc celles-ci ne sont apparues qu’une seule fois au cours de l’évolution des insectes. Qui plus est, ce sont les seuls invertébrés possédant ce genre de structures leur permettant le vol battu. On pourrait évoquer les scénarios évolutifs qui expliquent l’apparition de ces structures, mais ce serait à mon avis l’occasion d’un billet dédié sur ce sujet. En gros, une des hypothèses les plus en vogues, est qu’il s’agit de branchies dorsales modifiées.
Mais attention, ça ne veut pas dire que si un insecte n’a pas d’ailes, il n’appartient pas aux Ptérygotes. C’est comme avec les tétrapodes sans pattes, certains groupes d’insectes peuvent avoir perdu secondairement leurs ailes, comme la puce dont on a parlé plus tôt. Et qui plus est, de nombreux insectes passent la plus grande partie de leur vie sans aile puisque celles-ci ne font leur apparition qu’au stade final de leur vie : le stade adulte (ou imago comme on dit chez les entomologistes, avec le vocabulaire que je vous avais déjà évoqué lors de mes deux précédentes émissions sur les insectes.)
Fondamentalement, les ailes des insectes sont de la cuticule (la structure externe qui couvre l’insecte et dont il se débarrasse à chaque mue). Pour être précis ce sont deux couches de cuticule superposées qui enferment par endroits des tubes creux, les nervures, dans lesquels circulent de l'hémolymphe (l’équivalent du sang des insectes), mais qui peuvent aussi contenir des trachées ou encore parfois des nerfs.

Mais cela signifie donc qu’il n’y a pas d’autres organes dans les ailes, notamment pas de muscles.

En matière de vol, tous les insectes ne sont pas logés à la même enseigne. Déjà, il y a ceux qui ne peuvent pas replier leurs ailes au repos comme les odonates (les libellules et les demoiselles) ou les éphémères. Leurs ailes sont justes disposés selon un axe du corps. Cela n’empêche pas à leur vol d’être particulièrement performant et des libellules peuvent même faire du surplace ou encore voler en arrière (du moonflying quoi).

Cela montre juste que ces espèces n’ont pas bénéficié d’une innovation évolutive caractéristique des insectes ptérygotes appartenant au groupe des néoptères : les nouvelles ailes. L’ancêtre de tous ces insectes leur a transmis une invention de l’évolution qui permet à leurs ailes de se replier sur elles-mêmes et de pouvoir les ranger le long de leur abdomen, voire d’en faire des origamis pour certains insectes. À vrai dire, cette innovation évolutive, ça a été comme le coup de sifflet pour que la nature tente plein de trucs chelous sur les ailes des néoptères. En effet, chez beaucoup de lignées, une des deux paires d’ailes emprunte un chemin évolutif altérant drastiquement leur structure et leurs fonctions. Chez les orthoptères (sauterelles, grillons, criquets), les hémiptères (punaises) ou les coléoptères, les ailes avant, les ailes méso-thoraciques, deviennent plus ou moins rigides : on dit qu’elles sont sclérifiées. Chez les orthoptères, c’est assez souples et ça donne ce qu’on appelle des tegmens.

Ces tegmens peuvent intervenir dans le vol, notamment en guise de gouvernail, mais peuvent jouer des rôles inédits comme celui… de réaliser des sérénades.

Chez les coléoptères et la plupart des hémiptères, la sclerification des ailes est autrement plus importante et on passe d’une texture comme du cuir pour les tegmens à une texture comme de la carapace pour les ailes antérieures modifiées des coléoptères et hémiptères : ce qu’on appelle des élytres.

À noter que chez les hémiptères, ce sont des moitiés d’ailes qui sont sclérifiées et les dotent donc d’hémélytres. Cette rigidification leur confère surtout un rôle protecteur.
D’autres insectes ont des ailes de différentes tailles. C’est le cas des hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis) qui ont des ailes accrochées les unes aux autres...

... et les lépidoptères (papillons) qui ont le plus souvent 2 paires d’ailes de formes bien différentes.

Leur vol possède un je ne sais quoi de plus… virevoltant. Et puis enfin il y a les les diptères (mouches et moustiques). Comme leur nom l’indique, les diptères n’ont qu’une seule paire d’ailes. La paire postérieure est toute rabougrie et forme ce qu’on appelle des haltères, et que les diptères utilisent comme gyroscope pour les aider à stabiliser leur vol.

Du coup les diptères réalisent des cabrioles aéronautiques très rapidement, ce qui ne facilite pas leur écrabouillage…
Allez petite compile de vidéos de ces différents types de vol au ralenti:






Et pour les afficionados d’aéronautique, ‘gadez un peu les turbulences générées par le vol de ce cétoine:

Bon on donc vu les insectes qui font “crr crr crr crr crr”, les insectes qui font “bzzzzzz” on a fait le tour, non? Que nenni! Il nous manque les insectes qui font “bllbllblllblll” : les insectes nageurs!
Comme à chaque fois, y’a toujours un groupe d’espèces qui font leur maligne et qui décident non pas de marcher sur la terre ferme, ni de nager dans l’eau mais de… marcher sur l’eau. Miracle crieront certains, mais quand on pèse quelques grammes, on a plus de facilités pour tenter sa chance. Du coup, certaines adaptations évolutives ont permis à des insectes de venir patiner gracieusement sur l’eau. Les insectes patineurs les plus connus sont les gerridés (qu’on appelle, souvent mais à tort, araignées d’eau ou puces d’eau alors qu’elles appartiennent au groupe des hémiptères, au même titre que les punaises, les cigales, etc…).


Pour patiner ainsi, les gerris profitent de deux phénomènes physiques : la tension de surface de l’eau et l’hydrophobicité des soies qui garnissent leurs pattes. C’est bof clair là, non? Bon alors détaillons un peu:
À chaque fois qu’il y a un plan d’eau, une rivière, un lac, la mer, votre verre à dent, il y a une interface entre l’eau et l’air. A cette interface, les molécules d’eau qui s’attirent entre elles forment une sorte de pellicule du fait qu’elles sont plus attirées vers le reste de leurs petites copines dans l’eau que vers l’atmosphère. Du coup, cela crée une tension (c’est vrai que c’est tendu des molécules d’eau qui restent en groupe comme ça sans vouloir aller voir les molécules gazeuses de l’air…) : une tension superficielle. Cette tension peut exercer une force suffisante pour maintenir à la surface des objets plus denses que l’eau.

Ensuite, les longues pattes des gerris vont leur permettre de répartir au mieux leur poids pour que la tension de surface puisse faire parfaitement effet. Pour ce rendre compte de l’importance de la tension de surface, on peut prendre des Gerris, les déposer sur un bol d’eau et y déposer une goutte de savon (dont les tensioactifs vont diminuer la tension de surface de l’eau): le résultat est radical, les gerris se noient au fond de l’eau (Expérience à ne donc PAS REPRODUIRE A LA MAISON, bande de vauriens!)
En plus, le moindre surplus de poids pourrait compromettre cet équilibre des forces! Et si le gerris venait à être mouillé, ça n’arrangerait pas les choses. Du coup, l’intégralité de son corps est recouvert de milliers de soies hydrofuges par mm² pour éviter de se mouiller (hydrofuge = anti mouillé). En plus, si le gerris venait à être immergé, les soies emprisonneraient des bulles d’air qui permettraient à l’insecte de rejoindre très vite la surface.


Et pour patiner, comment qu’on fait? C’est sioux les amis! Les pattes médianes vont servir d’avirons et les pattes arrières de gouvernail. Les tibias des pattes médianes frappent rapidement la surface de l’eau pour former une mini vague, puis le gerris utilisent ses griffes pour accrocher la crête de cette mini vague et se propulser vers l’avant.



Ça n’a pas l’air efficace comme ça, mais un gerris peut patiner à la vitesse d’1 mètre par seconde! C’est pas Candeloro qui patinerait si bien:


 


Certes, les Gerris sont des patineurs hors pair, mais il n’ont pas l’exclusivité de la patimare! Vous vous souvenez des grillons taupes? Et bien certaines espèces de grillons taupes savent également très bien déambuler sur l’eau! Oui oui, malgré leurs pattes avant en forme de pelles et leurs pattes arrière de kangourous!

Mais alors dans le genre convergence évolutive, je vous raconte pas comment cette espèce, Xya capensis, est un petit bijou paradoxal! Déjà, elle appartient au groupe des Tridactyloidés qui est en fait assez éloigné des grillons-taupes que je vous ai présentés précédemment (qui appartiennent au groupe des gryllotalpidés). Et pourtant, elles ont le même look de sapeurs et creusent des belles galeries quand elles sont sur la terre ferme! Autre paradoxe, cette espèce, qui parfois pose le bout de ses 6 pattes sur l’eau, ne patine pas à la surface: elle bondit, comme ses cousines les sauterelles… mais sur l’eau!

Encore plus surprenant, les fourmis Polyrhachis sokolova peuvent patiner sur l’eau, voire nager en faisant une brasse à 6 pattes!!!

Traduction:
Les fourmis vivent à peu près partout. L’eau qui descend dans cette mangrove d’Australie expose à l’air frais une fourmilière au sein de la boue. A chaque marée basse, les fourmis doivent réparer les dégâts engendrer par le passage de l’eau. Des entrées effondrées doivent réouvertes, et les tunnels bouchées doivent être dégagés. Maintenant que la boue est déposée, les fourmis doivent collecter la nourriture déposée par la marée. Mais il reste toujours des étendues d’eau à traverser. La tension de surface de l’eau les supporte tandis qu’elles dansent pour la traverser. Parfois, elles nagent! Et il y a eu effectivement un dépôt de nourriture. Mais la marée crée aussi un problème: elle a effacé les traces de phéromones qui délimitent leur territoire et il n’y a donc pas de limite entre leur espace et celui de fourmilières avoisinantes. L’interrogation d’un inconnu est complexe et détaillée. Qui es tu? D’où viens tu? Les réponses sont données rapidement et acceptées. Mais quelque fois, il faut se battre pour régler la question… Elles ont peut être réglées leur désaccord, mais maintenant il y a une menace plus importante et qui les concerne toutes les deux. La marée monte. Elles doivent rejoindre leur fourmilière. Pendant que la marée est haute, les larves et les pupes sont déplacées pour les garder à une température propice à leur développement. Et il faut aussi les déplacer car la fourmilière n’est pas étanche. Plusieurs tunnels sont inondés pendant la marée haute. Il n’y a pas de temps à perdre. Mais l’eau n’atteint pas toutes les parties de la colonie car les fourmis ont construit des chambres en forme de cloche qui stocke des poches d’air et constituent donc des refuges où les adultes et les larves peuvent attendre la fin de la marée.
Dernier type de locomotion de notre série: la nage! Et pas de la brasse comme Polyrhachis sokolova mais de la vraie plongée! Comme je vous l’avais expliqué dans mon article sur la respiration des insectes, le fait qu’ils utilisent un système de trachée restreint leurs possibilités de visiter le monde aquatique. Mais nombreuses sont les espèces qui emportent des réserves d’oxygène et peuvent ainsi rester longtemps sous l’eau. Il y a par exemple la notonecte,

et le dytique qui nage sur le ventre

Encore un coup de la convergence évolutive, ces deux groupes d’espèces possèdent des pattes arrières très développées et munies de nombreuses et longues soies qui augmentent la surface en contact avec l’eau: ce sont de véritables palettes natatoires (j’avais déjà évoqué le mot en parlant des palettes natatoires pour le membre chiridien des tétrapodes). Observez la différence entre les pattes antérieures et postérieures! D’abord chez Agabus didymus:


Et maintenant chez Notonecta glauca:


Par contre leur nage est assez différente:

Bon, il semble prudent d'éviter de vous submerger d'autres exemples de locomotions d'insectes aquatiques... Ce serait ballot de vous noyer sous les détails! J'espère en tout cas que cet aperçu de la locomotion des insectes vous aura plu et que vous en avez pas déjà plein les pattes!
Liens :
Aramel : LE site de l’entomologie!
La magie est dans l'air (CBioNum)
Cosmovisions
Aile de l'insecte, Passion Entomologie
Comment les insectes font-ils pour voler, Science Etonnante
Article Cronodon
Flight deconstructed, Tabletop Whale
Coursera Bugs 101
Des engrenages mécaniques « inventés » par les insectes, Pour la science
Comment le taupin se relève en un "clic" ! Myrmécofourmis
Références :
Burrows, M., & Sutton, G. P. (2012). Pygmy mole crickets jump from water. Current Biology, 22(23), R990‑R991. https://doi.org/10.1016/j.cub.2012.10.045
Burrows, M., & Sutton, G. (2013a). Interacting gears synchronize propulsive leg movements in a jumping insect. Science, 341(6151), 1254‑1256. https://doi.org/10.1126/science.1240284
Full, R. J., & Tu, M. S. (1991). Mechanics of a rapid running insect : Two-, four- and six-legged locomotion. Journal of Experimental Biology, 156(1), 215‑231. https://jeb.biologists.org/content/156/1/215.short
Garwood, R. J., & Edgecombe, G. D. (2011). Early terrestrial animals, evolution, and uncertainty. Evolution: Education and Outreach, 4(3), 489‑501. https://doi.org/10.1007/s12052-011-0357-y
Hu, D. L., Chan, B., & Bush, J. W. M. (2003). The hydrodynamics of water strider locomotion. Nature, 424(6949), 663‑666. https://doi.org/10.1038/nature01793
Ribak, G., & Weihs, D. (2011). Jumping without using legs : The jump of the click-beetles (Elateridae) is morphologically constrained. PLOS ONE, 6(6), e20871. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0020871
Sutton, G. P., & Burrows, M. (2011). Biomechanics of jumping in the flea. Journal of Experimental Biology, 214(5), 836‑847. https://doi.org/10.1242/jeb.052399