Première partie
Tout cela fait bien entendu partie du jeu des festivals, arguant à cors et à cris que les films sélectionnés méritent tous (et plus encore) d’être visionnés. Des pépites, des chefs-d’œuvre, au moins des trouvailles chaudement recommandées. La mesure ne saurait faire partie du mandat, il faut bien manger. Quand vient donc l’heure de dresser un premier bilan de l’édition 2020 de Plein(s) Écran(s), festival de courts-métrages diffusé en ligne gratuitement (ou presque, car…) sur Facebook, on ne peut s’empêcher de repenser aux effets d’annonce, aux louanges et aux lauriers tissés avant même que les spectateurs n’aient pu en juger. Tout cela fait bien évidemment partie du jeu des festivals, mais lorsque le ratio de bons films au regard des passables (sinon mauvais) s’avère à ce point déséquilibré, la pilule passe tout de même assez mal.
Le constat est bien sûr un brin péremptoire. Mais il n’en reste pas moins qu’une fois éliminés les films aux forts relents de déjà vu, ou ceux se regardant filmer un rien pompeux, le nombre de vraies belles propositions se comptent sur les doigts d’une main. Allez, en étant plus magnanime, deux… Sur trente-deux films (vingt-quatre québécois, huit français), ça fait tout de même bien peu. Néanmoins, mettons pour quelques temps de côté notre esprit chagrin. Après tout, plutôt que de relever le mauvais, autant valoriser le méritant et le (très) bon.
Parmi ces belles surprises, commençons donc par le plus inattendu du lot : Jeep Boys d’Alec Pronovost. Le prototype de la comédie absurde un peu bêta, pas bien finaude au rire un peu gras, mais dont la bonhomie et la candeur pleinement assumées finissent par nous emporter dans un délire que l’on prend plaisir à partager. Un buddy movie exploitant presque exclusivement la logique du huis-clos (dans un bar, dans la jeep du titre, ou encore dans un bureau) gravitant autour de deux, trois personnages maximum. Jeep Boys fait simple, mais le fait bien. Au regard de nombre de métrages bien prétentieux offrant trop peu, le film de Pronovost a le mérite, lui, de divertir tout en faisant plaisir. A l’opposé du comique de situation (et, disons-le tout net, de personnages un rien couillons), Mahalia Melts In The Rain de Carmine Pierre-Dufour et Emilie Mannering n’a, pour ainsi dire, pas du tout le cœur à rire. Une tristesse pesante qui, néanmoins, n’empêche pas douceur et quelques sourires. Les thématiques y sont de toutes façons plus sérieuses : racisme ordinaire dès le plus jeune âge, l’intégration de personnes racisées (notamment les jeunes filles) au sein de milieux traditionnellement blancs (ici une école de danse classique), et l’acceptation de soi dans un cadre aussi oppressant. Dans Mahalia Melts In The Rain, les dialogues se font rares, et l’émotion du film passe principalement par le jeu et les expressions de Mahalia (Kaiyonni Banton-Renner), très bien dirigée (et c’est à souligner).On ne peut certes pas en dire autant des autres enfants, mais l’usage du format carré (visiblement populaire au sein de la sélection de cette année), recentrant le cadre et les enjeux sur son personnage principal, permet aisément d’outrepasser ce bémol. Bien tenu, joliment filmé et éclairé, ce court-métrage a le bon goût d’éviter toute complaisance pour son sujet, et tout misérabilisme préjudiciable à sa pertinence. Seuls restent la tristesse tout comme la joie pures d’une fillette, la bienveillance maladroite d’une mère aimante, et la liberté au spectateur d’interpréter lui-même les signes, les messages, et le propos. Ou quand la seule mise en scène suffit exprimer ses idées avec un certain brio.
Plus loquace mais non moins touchant, Des fleurs de Baptiste Petit-Gats joue lui aussi la carte du format 1:1. Être au plus près des personnages, une nouvelle fois. Et pour cause : drame mettant en scène une mère monoparentale et son fils, jeune adolescent en plein émoi amoureux, Des fleurs axe l’essentiel de sa narration sur la relation tendue entre ses deux protagonistes, où l’incompréhension de la première vis-à-vis des tourments du second s’ajoute à son désarroi et à un vide affectif la rongeant, au point de lui faire perdre pied avec la réalité. Le film de Baptiste Petit-Gats embrasse le cinéma du réel avec une acuité étonnante, rappelant par moments le cinéma des frères Dardenne période Rosetta, dans cette capacité à capter la profondeur des tourments au détour d’un simple regard filmé en gros plan, de gestes anodins mais signifiants, et surtout, à nous faire éprouver une réalité sociale complexe à partir d’un scénario, sur le papier, relativement simple dans ses enjeux et sa finalité. En résulte un métrage maîtrisé, à l’interprétation et à la réalisation soignées, qui, au sein de la sélection, fait sans nul doute partie du haut du panier. Après deux films à l’atmosphère pesante, enchaîner sur une proposition plus légère peut avoir bien des vertus. Parmi lesquelles, celle d’expier le méchant, face à un récit cathartique des plus grisants. Avec Fuck les gars d’Anthony Coveney, dès son titre on-ne-peut plus explicite, le ton est donné. Avec lui, la promesse d’un film frontal, sans grandes nuances mais jubilatoire. Sans verser dans l’allégresse la plus totale, et se rapprocher d’un ton grinçant et désabusé à la Rules of Attraction, Fuck les gars n’en demeure pas moins un coup de gueule salvateur à l’encontre d’un patriarcat omniprésent dès l’enfance, où son personnage principal (Anaïs, interprété par la toujours très juste Émilie Bierre, notamment vue dans Genèse de Philippe Lesage) finit par littéralement envoyer promener tous ceux qui se permettent de l’humilier sous prétexte qu’elle est femme. Adolescente forte tête, Anaïs ne s’en laisse pas compter, et porte sur ses épaules un récit féministe qu’il fait bon regarder : la subtilité n’est certes pas la première de ses qualités, mais il faut aussi (oui !) ce genre de film pour asséner au marteau l’évidence, et faire enfin comprendre l’absurdité d’un fonctionnement social définitivement rétrograde.De quoi également se consoler d’une première salve de courts-métrages globalement décevante en dehors des exemples sus-nommés, et partir à l’assaut de la suite du festival plus optimiste et le coeur léger. Soyez rassurés : il reste encore (bel et bien) six doigts à évoquer…