Après plusieurs articles sur la réforme des retraites en France, je souhaite consacrer ce billet de début d'année à l'avenir de la zone euro. En effet, alors que des vents contraires soufflent très fort sur l'Europe, d'aucuns prétendent que l'avenir de la zone euro serait radieux et en veulent pour preuve les sommets atteints sur les Bourses. Un tel optimisme, injustifié comme je vais le montrer, m'apparaît plutôt comme un aveuglement...
Les problèmes structurels de la zone euro
Il ne s'agit pas ici de faire un inventaire à la Prévert des problèmes structurels de la zone euro, mais juste de pointer quelques éléments importants :
* le partage des revenus au sein de la zone euro se déforme structurellement en faveur des entreprises et donc au détriment des salariés :
[ Source : Natixis ]
* la faiblesse des compétences de la population active ainsi que son vieillissement, la désindustrialisation, l'insuffisance d'investissement dans les technologies pèsent lourdement sur la croissance potentielle de la zone euro :
[ Source : Natixis ]
* les politiques économiques nationales sont peu ou mal coordonnées au niveau de l'UE, ce que perçoivent très clairement les Européens :
[ Source : Flash Eurobarometer on the euro area (October 2019) ]
* de nombreux États de la zone euro, comme l'Italie, ne doivent leur survie financière qu'à l'action de la Banque centrale européenne sur les taux d'intérêt ;
* les capitaux allemands ne financent plus la zone euro ;
* depuis le Traité de Rome, en 1957, la concurrence est érigée en maître principe du fonctionnement économique de l'Europe économique, trop souvent pour le pire ;
* en ce qui concerne l'endettement, c'est moins celui des États qui m'inquiète que l'endettement total des pays membres de la zone euro :
[ Source : Natixis ]
L’hétérogénéité structurelle de la zone euro
Mais le principal problème structurel de la zone euro est que, conformément aux travaux d'économistes comme Paul Krugman, l’hétérogénéité d’une Union monétaire augmente après sa constitution. C'est clairement ce qui s'est passé avec la zone euro, puisque l'introduction d'une monnaie unique a conduit à une spécialisation productive différente des pays, à la divergence des niveaux de productivité et de revenu, à une recomposition de la géographie industrielle, etc. Tout cela a pu durant un temps être caché par la hausse de l'endettement, mais la crise de 2008 a fait tomber les masques...
Dès lors, l'UE se devrait d'être fédérale, afin d'assurer la redistribution de revenus des régions plus riches vers les régions plus pauvres à la faveur d'un budget fédéral autrement plus fourni que l'actuel budget communautaire qui ne pèse guère qu'un pourcent du PIB de l'UE. On ne peut d'ailleurs pas dire que la proposition française de créer un budget propre à la zone euro ait été mieux accueillie, d'autant qu'après de multiples rinçages politiques il n'en reste plus grand-chose de tangible. Mais même si ce budget était conséquent, je suis de moins en moins convaincu que l'on pourrait réussir à corriger le haut niveau d'hétérogénéité atteint au sein de la zone euro...
L'impossibilité de corriger les différentiels de compétitivité-coût au sein de la zone euro
Avant la mise en place de la monnaie unique, les problèmes de compétitivité-coût pouvaient se régler par un mécanisme de marché simple : le taux de change. Mais depuis, puisque par définition toute dévaluation monétaire est impossible, les gouvernements utilisent d'autres moyens :
* la dévaluation interne : également appelée ajustement nominal, elle consiste en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d'améliorer la compétitivité d'un pays. Selon la théorie, comme les prix et les salaires baissent parallèlement, les salaires réels ne varient pas et la compétitivité s'améliore à l'export. Mais, ce remède de cheval conduit le plus souvent à l'effondrement de la demande des ménages en raison de la baisse des salaires réels. Cela débouche alors sur une compression de l'activité à court terme et donc sur une hausse du chômage.
* la dévaluation fiscale : il s'agit d'une substitution d'impôt censée produire les mêmes effets qu'une dévaluation monétaire. On pense notamment à la TVA sociale (qui n'a de social que le nom), qui consiste à basculer sur la TVA une partie des cotisations sociales patronales, de sorte que la TVA augmenterait et le coût du travail baisserait. Or, en pratique, lorsque la TVA augmente c'est le pouvoir d'achat des ménages qui est amputé, car les vases communicants ne fonctionnent jamais aussi parfaitement...
Bref, l’ajustement de la compétitivité-coût repose surtout sur les pays en difficulté, à qui l'on enfonce encore un peu plus la tête sous l'eau, ce qui rejaillit sous forme de conflits sociaux et d’extrémismes politiques... Rien d'étonnant alors de voir resurgir des formes de nationalismes économiques (et politiques), comme je l'ai expliqué dans ce billet. Face à la colère sociale qui gronde partout en Europe - et dans le monde -, la réponse des gouvernants semble se résumer à un détonant cocktail de libéralisation et de répression ! La violente réponse apportée par le gouvernement Macron à la crise des gilets jaunes en est d'ailleurs la preuve patente !
Après les élections européennes de 2019, qui n'ont au fond rien apporter d'autre que des postes à ceux qui en demandaient, il est désormais de bon ton de laisser croire que tous les problèmes de l'UE - et partant de la zone euro - vont se régler par un green deal... Hélas, au vu du degré d'exaspération des citoyens, la seule inconnue reste le moment où la révolte générale se déclenchera. À moins qu'une crise économique ne coule la zone euro avant...