Des leaders comme Thomas Jefferson et James Madison ont lu l'historien Polybius, qui a exposé l'une des descriptions les plus claires de la constitution de la République romaine, dans laquelle des représentants de diverses factions et classes sociales contrôlaient le pouvoir des élites et celui de la foule.
Et, jusqu'à ce jour, la république de Rome qui a duré 482 ans, encadrée par plusieurs centaines d’années de monarchie et de 1 500 ans de règne impérial, est toujours la plus longue république que le monde ait connu.
Tiberius et Gaius Gracchus. (Wikimedia Commons)
Certains aspects de notre politique moderne ont rappelé à Edward Watts, historien de l'Université de Californie à San Diego, le dernier siècle de la République romaine, à peu près entre 130 avant JC et 27 après JC. C’est pourquoi il a jeté un nouveau regard sur cette période dans son nouveau livre: "Mortal Republic: How Rome Fell into Tyranny" (République mortelle: comment Rome est tombée dans la tyrannie).
Watts raconte les manières dont la république, avec une population autrefois vouée au service national et à l’honneur personnel, a été déchirée en lambeaux par l’inégalité croissante de la richesse, les impasses partisanes, la violence politique et les politiciens complaisants. Il soutient que le peuple de Rome a choisi de laisser sa démocratie mourir en ne protégeant pas ses institutions politiques, se tournant finalement vers la perception de stabilité d'un empereur au lieu de faire face à la violence persistante d'une république instable et dégradée.
D'ailleurs, les messages politiques lors des élections américaines de mi-mandat en 2018 étaient axés sur bon nombre de ces sujets.
Bien qu'il ne compare pas directement Rome aux États-Unis, Watts affirme que ce qui s'est passé à Rome est une leçon pour toutes les républiques modernes. "Par-dessus tout, la République romaine enseigne aux citoyens de ses descendants modernes les dangers incroyables qui accompagnent l'obstruction politique et le recours à la violence politique," écrit-il, "L'histoire romaine ne pourrait pas montrer plus clairement que, lorsque les citoyens détournent les yeux quand leurs dirigeants adoptent ces comportements corrosifs, leur république est en danger de mort".
Les historiens sont prudents lorsqu'ils tentent d'appliquer les leçons tirées d'une culture à une autre, et les différences entre les États-Unis modernes et Rome sont immenses.
Rome était ainsi une cité-état de l'âge du fer avec une religion parrainée par le gouvernement qui prenait parfois des décisions en regardant dans les entrailles des moutons. Les romains avaient un système de classes rigide, s'appuyaient sur le travail d'esclave et avaient une grande tolérance à la violence quotidienne.
Cependant, d'autres aspects de la République romaine sont plutôt familiers. Le fort sentiment de patriotisme du peuple romain était unique dans le monde méditerranéen. Comme les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, Rome, après avoir remporté la deuxième guerre punique en 201 avant JC, est devenu une hégémonie mondiale, ce qui a entraîné une augmentation massive de leurs dépenses militaires, un baby boom, et a donné naissance à une classe d'élites très riche qui a pu utiliser son argent pour influencer la politique et favoriser leurs propres programmes.
Ces similitudes rendent les comparaisons valables, même si les togas, les combats de gladiateurs et l'appétit pour les loirs semblent complètement étrangers.
T. Cullen Murphy, dont le livre sorti en 2005, "Are we Rome" (Sommes-nous Rome?), compare davantage la chute de l’empire romain aux États-Unis. Il soutient que les changements survenus dans la politique et la société à Rome découlaient d’une source unique: sa complexité croissante.
Rome, à l'époque de la République et de l'Empire, avait des responsabilités croissantes et en évolution autour de la Méditerranée, que son gouvernement avait constamment du mal à gérer.
Ces défis ont imposé des changements dans l’économie et dans la société, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire. De manière générale, il voit beaucoup de ces mêmes luttes dans l’histoire récente des États-Unis. "Je pense que les États-Unis vivent la même situation. Nous n’avons jamais complètement récupéré de notre victoire dans la Seconde Guerre mondiale, ce qui nous a laissé le monde sur nos épaules; et les implications de cette responsabilité ont faussé les choses dans chaque partie de notre société et de notre économie, et ont mis nos vieilles structures politiques (et autres) sous une pression énorme," dit-il, "De nouvelles sources de pouvoir et de nouvelles formes d'administration et de gestion comblent le fossé, créant un malaise et parfois aussi une injustice, tout en créant de vastes nouveaux secteurs de richesse."
Ces types de changements sociaux et économiques ont également secoué la République romaine, ce qui a conduit à ce moment en 130 av. J.-C. où la politique est devenue violente. L’introduction d’un scrutin secret empêchait les politiciens et les factions romaines de surveiller (ou de corrompre) des électeurs individuels.
Aussi, les politiciens ont dû créer des marques politiques attrayantes pour les masses, ce qui a abouti à une campagne semblable à la campagne américaine moderne avec de grandes promesses et un langage populiste visant les classes pauvres et moyennes.
Les réformes de l'armée signifiaient également que le service n'était plus réservé aux élites, qui utilisaient pendant des siècles leur privilège pour démontrer leur fidélité à Rome. Pour les soldats les plus pauvres, cependant, le service est devenu une voie vers la richesse. Ils ont commencé à compter sur le butin, les bonus et les dons de terres reçus de leurs commandants souvent fortunés, ce qui signifie qu'au fil du temps, la fidélité des légions romaines est passée de l'empire à leurs généraux.
Ces changements ont ouvert la voie à un nouveau type de politique, une situation dans laquelle il est devenu habituel d'attiser les ressentiments des classes inférieures et de menacer des ennemis politiques avec des armées semi-privées.
Ces tendances ont atteint leur apogée en 134 avant JC., lorsque Tibèrius Gracchus, un tribun élu par le peuple, proposa un projet de loi sur la réforme agraire qui profiterait aux romains les plus pauvres et à la classe moyenne. La façon dont Gracchus procéda à sa réforme fut cependant un affront aux normes et traditions de la République. Il a présenté sa loi à l'Assemblée Plébéienne sans que le Sénat ne se lève. Lorsque son compagnon de tribune, Marcus Octavius, a menacé de mettre son veto au projet de loi, ce qui était son droit, Gracchus a manipulé les règles pour le démettre de ses fonctions.
Il y a eu également d'autres incidents, mais l'aspect le plus préoccupant de Gracchus a été son langage fougueux et populiste, qui a poussé ses partisans au bord de la violence politique.
Au fur et à mesure que son pouvoir grandissait, il commençait à se déplacer dans les rues, entouré d'une foule de partisans en délire, une sorte de milice personnelle jamais vue à Rome auparavant. Des rumeurs se sont répandues, affirmant que Gracchus voulait devenir roi ou dictateur, et certains membres du Sénat estimaient devoir agir.
Lorsque Gracchus s'est présenté pour un second mandat comme tribun, ce qui n'était pas illégal mais contrevenait à une autre norme, un groupe de sénateurs et de leurs partisans ont battu à mort Gracchus et 300 de ses partisans. Cela n'a été que le commencement.
Au cours du siècle à venir, le frère de Tibèrius, Gaius Gracchus, entrait en conflit avec le Sénat après une confrontation populiste similaire. Le commandant Sulla fit défiler des légions qui lui étaient fidèles sur Rome même et affronta son rival politique, Marius. C'était la première fois que des troupes romaines se combattaient. Et il punira ses ennemis politiques.
Au cours de la génération suivante, Pompée et César allaient régler leurs comptes politiques à l'aide de légions romaines, Octavian et Marc Antoine allaient opposer une armée au Sénat avant de finalement se battre l'un contre l'autre, mettant ainsi près de 500 ans de la République dans une conclusion déroutante et sanglante.
Watts soutient que même si le Sénat a ordonné son meurtre, c'est Tibèrius Gracchus qui a ouvert la boite de Pandore. "il commence à utiliser ce langage très agressif et menaçant ainsi que des postures menaçantes. Il n’a jamais recours à la violence, mais il y a toujours cette menace implicite. Et c'est différent, ça n'a jamais été fait avant. Ce qu'il présente, c'est cet outil politique d'intimidation et de menace de violence. Les penseurs ultérieurs diront qu'une fois que c'est là, même si d'autres choisissent de ne pas l'utiliser, c'est là pour toujours."
Alors que la vie à Rome était une vie violente (avec des combats de gladiateurs, des crucifixions et une guerre sans fin), pendant des siècles, les romains ont été fiers de leur système républicain et la violence politique était taboue.
"La République a été exempte de violence politique pendant près de 300 ans. Les personnes politiquement engagées ne s'entretuent pas et ne menacent pas de s'entre-tuer. Quand ils ne sont pas d'accord, ils utilisent des moyens politiques créés par la république pour gérer les conflits politiques," dit Watts, "Si vous perdez l'un de ces conflits, vous ne mourez pas et vous ne perdez pas votre propriété et vous n'êtes pas renvoyé. Vous venez de perdre la face et vous passez à autre chose. En ce sens, il s'agit d'un système remarquablement efficace pour encourager le compromis et encourager la recherche d'un consensus et la création de mécanismes par lesquels les conflits politiques seront résolus pacifiquement."
Que signifie donc l'histoire de la République romaine pour les États-Unis?
La comparaison n'est pas parfaite. Les États-Unis ont connu leur part de violence politique au cours des siècles et se sont plus ou moins rétablis.
Les politiciens se battaient régulièrement en duel, et, à l'approche de la guerre civile, ultime acte de violence politique, il y a eu le raid sur Harper's Ferry, Bleeding Kansas et le quasi-meurtre de Charles Sumner dans la salle du Sénat.
Joanne B. Freeman, auteur de Field of Blood, une histoire de la violence au Congrès avant la guerre civile, raconte qu'elle a trouvé au moins 70 incidents de combats parmi les législateurs, dont une bagarre de masse à la Chambre. Bien qu'ils aient souvent essayé de documenter les conflits, tout est caché entre les lignes du dossier du Congrès; cela pouvait être dit «la conversation est devenue désagréablement personnelle». Cela signifiait des défis en duel, pousser, tirer des fusils et des couteaux.
La meilleure comparaison, étonnamment, s'applique à l'Amérique de l'après-guerre. Malgré les périodes où le système politique américain et les normes politiques établies ont été testées et étendues (les audiences de McCarthy, le Vietnam, le Watergate, la guerre en Irak), la violence partisane ou les tentatives de renverser le système ont été rares.
Mais les événements récents, comme les modifications des règles de l'obstruction systématique et d'autres procédures au Congrès, ainsi que la rhétorique politique de plus en plus animée, font dire à Watts que "C'est profondément dangereux lorsqu'un politicien fait un pas pour saper ou ignorer une norme politique, c'est extrêmement dangereux chaque fois que quelqu'un introduit une rhétorique violente ou une violence réelle dans un système républicain conçu pour promouvoir le compromis et la recherche d'un consensus".
La solution pour maintenir une république en bonne santé, si Rome peut vraiment être un guide, est que les citoyens rejettent toute tentative de modifier ces normes, dit-il. "Je pense que la leçon que je retiens le plus profondément en passant autant de temps avec ces documents est essentiellement que, oui, nous devons blâmer les politiciens et les individus qui ont une vision à courte vue de la santé d'une république en essayant de poursuivre leurs objectifs personnels ou des avantages politiques spécifiques à court terme".
L'exemple de la République romaine montre que le fait de ne pas appliquer ces normes et d'utiliser la violence pour contrôler amène à la perte potentielle de la démocratie. "Aucune république n'est éternelle", écrit Watts, "elle ne vit que tant que ses citoyens le souhaitent. Et, à la fois au XXIe siècle après JC et au premier siècle avant J.-C., lorsqu'une république ne fonctionne pas comme prévu, ses citoyens sont capables de choisir la stabilité de la domination autocratique plutôt que le chaos d'une république brisée".
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