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La disparition bien commode de l’Observatoire de la Délinquance

Publié le 22 janvier 2020 par H16

À moins d’être Bruno Le Maire qui, dans sa confusion, est cette montre arrêtée qui n’indique que le sud, une horloge à l’arrêt, même lourde, même moche, indique normalement l’heure exacte deux fois par jour. C’est ce qui vient de se produire avec Caroline de Haas lorsqu’elle s’est ouvertement inquiétée, dans un tweet, de la prochaine fermeture de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

L’ONDRP, c’est cet organisme d’une discrétion remarquable – peut-être due à son acronyme imprononçable – dont la mission consiste à rendre compte des évolutions des phénomènes délinquants et criminels en France ainsi que des réponses pénales qui y sont apportées. Ces compte-rendus, essentiellement statistiques, sont régulièrement utilisés pour essayer de mesurer l’état général du pays en matière de délinquance et de criminalité.

On comprend assez vite que le principal souci de ces statistiques officielles, publiques et généralement assez fiables, c’est qu’elles peuvent être récupérées par tout ce que les médias et les intertubes comptent d’agitateurs politiques, de militants louches, voire – osons les mots forts – d’horribles fachisses de drouate qui n’hésitent alors pas à brosser d’affreux tableaux dépeignant non pas le vivrensemble chaloupé qui – comme chacun sait – règne partout en France mais plutôt les soucis croissants de violences, de récidives, de dérives visibles et quantifiables de quartiers très très émotifs ou de réponses pénales si visiblement inadaptées qu’elle font des grosses bosses statistiques sous les tapis du politiquement correct qu’on s’emploie pourtant à déployer dans tous les lieux importants de la République.

Et ça, forcément, ça ne passe plus.

La disparition bien commode de l’Observatoire de la Délinquance

On se souviendra par exemple de l’accueil, oscillant entre l’outré et le paniqué, de livres utilisant ces statistiques, notamment Orange Mécanique de Laurent Obertone (dont j’avais fait la recension ici) et qui ne laissent aucun doute possible sur l’état lamentable de nos prisons, de nos institutions judiciaires, de notre police, sur le taux de récidives invraisemblable, …

Chaque année, lorsque sort l’un ou l’autre rapport de l’ONDRP, on peut voir la presse ne pas s’emparer du sujet, ou l’évoquer rapidement, ou tourner autour du pot. Chaque année, lorsqu’une statistique désagréable refait surface, les politiciens s’emparent rapidement de la question pour la faire disparaître, la minimiser ou la détourner de son sens pour arriver à la conclusion que si les choses ne sont pas roses, ce n’est pas vraiment la catastrophe, qu’il est bon de relativiser et que, comparé aux pires bouges de la planète, on s’en sort finalement plutôt pas mal.

Il n’est qu’à voir la façon dont le pouvoir a sciemment fait disparaître le nombre de voitures brûlées aux fêtes de fin d’années pour comprendre où se situe le problème : pour les politiciens, ce ne sont pas les voitures qui brûlent, ce ne sont pas les fusillades qui s’accumulent, ce ne sont pas les nombres ahurissants de récidives de l’un ou l’autre couteau fou, non, le problème se situe dans l’existence de ces statistiques, de ces nombres qui, apparemment, inciteraient les uns à commettre encore plus de crimes et délits (par jeu) et les autres à romancer un pays soi-disant à feu et à sang alors que, m’ame Ginette, tout le monde sait que ça n’arrive pas, voyons, et qu’en France, tout se termine par des chansons et des lendemains qui chantent sifflotent.

La disparition bien commode de l’Observatoire de la Délinquance

Dans ce contexte, il n’est donc pas trop étonnant que le premier ministre ait finalement décidé d’en finir avec cet enquiquinant appendice dont la mission s’apparente plutôt à une épine dans les fesses gouvernementales : l’Office fermera ses portes à la fin de cette année, et on pourra à nouveau pousser un petit soupir de soulagement. En outre, rassurez-vous puisque cette suppression s’accompagne, youpi tagada, du transfert d’une partie de ses objectifs vers l’Insee et les services statistiques des ministères de l’Intérieur et de la Justice.

Si l’Insee devrait être capable de faire des statistiques, on reste dubitatif sur la qualité des données qui lui seront fournies, celles-ci venant alors de ces deux ministères régaliens dont les moyens sont actuellement mobilisés pour nettement autre chose…

Sans compter que remettre dans le giron de l’État des données qui prouvent essentiellement que l’État ne fait pas son travail, c’est garantir que ces données seront traitées avec le plus grand respect : comme une vieille tantine qui délire et qui ne sent pas bon, on peut garantir qu’elles seront posées religieusement sur un joli fauteuil bien confortable, avec une petite camomille et des mots croisés, loin du regard gênant de tous ces gens qui veulent en savoir plus (trop ?) sur leur pays, et qu’on présentera plutôt rapidement la jolie petite infirmière qui s’occupe de la tantine grabataire. C’est nettement plus vendable, en réalité.

Ceci posé, il faut bien comprendre que rien de ce qui se passe ici n’est dû au hasard ; oui, je sais en écrivant ceci que je ne choquerai que les plus naïfs de mes lecteurs. Eh oui : il est loin, très loin le temps où les ministres décidaient de la disparitions de comités Théodules pour de simples raisons budgétaires (la dernière tentative en date s’est soldée par une augmentation du nombre de comités, je vous le rappelle).

Non, on est ici véritablement dans un mouvement d’ensemble qui vise à redéfinir le discours ambiant sur la sécurité en France : tout va très bien, il n’y a aucune raison de s’inquiéter, arrêtez de paniquer niaisement, continuez de payer vos taxes et vos impôts et surtout, taisez-vous.

Pourquoi cette conviction qu’une fois encore, on casse le thermomètre pour ne surtout plus entendre parler de la fièvre ? Eh bien parce que cette disparition de l’ONDRP n’est pas unique.

Elle intervient avec la fermeture de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (l’INHESJ), pourtant jugée regrettable par le Sénat.

L’indépendance de ces organismes vis-à-vis des ministères régaliens devait gratouiller un peu trop.

Cela vient aussi après le vote de cette loi inique qui, au contraire de tous les autres pays occidentaux, interdit la tenue de la moindre statistique sur les juges en France (que j’avais relaté ici).

Autrement dit, toutes les statistiques sur l’état général du pays et sur la façon dont l’État s’acquitte de ses fonctions régaliennes, lourdement payées avec vos impôts, seront entièrement dans les mains de ceux qu’elles sont censées évaluer.

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On pourra certes se rassurer en se disant que des chiffres un peu trop bidouillés finiront par se voir. Les réseaux sociaux ont par exemple fait un travail de fond notable pour obliger le pouvoir à tenir compte des violences policières dans la crise des Gilets jaunes ; difficile de nier les images, les témoignages, les vidéos qui se sont accumulées. La tentative d’étouffer le nombre de voitures brûlées cette année n’aura pas fonctionné (finalement, 1457 sont parties en fumée, ce qui est à nouveau un triste record).

Néanmoins, pour un pays comme la France dont les administrations et les politiciens se gargarisent bruyamment d’être le phare moderne des Droits de l’Homme et tout le tralala, s’affranchir de toute objectivité dans ses statistiques sur sa Justice et sa Sécurité intérieure n’indique absolument rien de bon.

Au contraire, même.

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