Beaucoup de choses ont été dites, écrites, filmées sur Auroville. Alors il m’a semblé vain de rajouter une contribution personnelle, surtout venant d’une personne qui n’y est restée que 15 jours, avec une mission bien spécifique. Une sorte de prisme réducteur pour étudier ce drôle de joyau. Je n’ai vu de cet objet insolite qu’une facette parmi bien d’autres. Et, pour filer la métaphore de l’observateur, est-il tout simplement possible d’avoir une vue d’ensemble où simultanément, nous pourrions voir toutes les facettes en même temps ?
Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, rappelons qu’Auroville est une cité « idéale » fondée en 1968, à côté de Pondichéry. Auro est un hommage au gourou indien Sri Aurobindu (un philosophe spiritualiste qui a développé la notion de yoga intégral). Les plans et les principes ont été édictés selon les préceptes de sa principale collaboratrice Mirra Alfassa nommée aussi The Mother.
Je vous recommande de prendre 5 minutes pour lire le billet de Laurence qui est un bon résumé pour les néophytes.
La Charte d’Auroville commence ainsi :
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Auroville n’appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l’humanité dans son ensemble. Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine.
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Auroville sera le lieu de l’éducation perpétuelle, du progrès constant, et d’une jeunesse qui ne vieillit point.
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Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s’élancer vers les réalisations futures.
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Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète.
La Forêt
50 ans plus tard, c’est une « ville » de 2 500 habitants (50 nationalités et un tiers sont indiens !) Si vous vous imaginez, en lisant ces concepts new age, croiser des esprits illuminés, des fakirs et des yogis, vous serez déçus… Ici tout est anormalement normal…
Le problème, déjà mentionné en liminaire, c’est qu’il est très compliqué de décrire cet endroit unique parce qu’il ne ressemble réellement à aucun autre. Prosaïquement, je me sentais parfois comme dans un « village vacance » où l’on prend son vélo pour se perdre dans la forêt en cherchant désespérément une adresse (sachant qu’il n’y a pas de panneaux, pas de numéro et pas de nom de rues… juste des entités aux noms évocateurs : Imagination, Charité, Solitude, Certitude, Santé…)
Je me suis perdu mille fois dans la jungle qui a absorbé les maisons éparses. Et avec le plan officiel, c’est pire !
Par ailleurs, je logeais sur le toit d’une maison, immergé dans les bruits de la forêt. Des oiseaux (surtout des paons…) et des insectes. Parfois des chiens. Des crapauds qui m’épient sous la douche solaire…
La luxuriance végétale m’a littéralement émerveillé. Moi qui suis passionné d’arbres, j’étais fasciné par les banians (ces arbres qui replongent leurs branches dans le sol au point de les prendre pour des troncs) et par de majestueux congénères qui épousaient les contours des terrasses. On aurait dit une forêt séculaire… alors qu’elle a été planté par les pionniers. En 1970 donc !
Les Hommes
Pour aller vite, je dirai que, comme pour n’importe quelle utopie, il y a des trucs qui ne marchent pas bien. Citons par exemple le débat sur la gratuité de l’électricité. Certains étaient pour, d’autres contre, d’autres proposaient un compromis (gratuit mais payant au-delà d’un certain quota). Au final, la démocratie et le consensus ont débouché sur la gratuité. Ce qui a laissé une certaine amertume aux partisans du payant qui ne manquent pas de faire observer que cela a entraîné une surconsommation liée à du gaspillage (surtout air conditionné).
J’ai pu échanger avec l’ingénieur à l’origine du réseau électrique d’Auroville (la ville produit en renouvelable 160% de sa demande !) qui a une approche de l’énergie 100% compatible avec le triptyque négaWatt ! Sobriété, efficacité, renouvelables !
Je suis toujours dépité quand j’entends des critiques sur Auroville insistant sur les dysfonctionnements (que l’on prend alors soin d’appeler hypocrisies…). Un peu comme si on disait que la France était une sinistre farce parce que tous les jours elle prétend Liberté Egalité Fraternité alors que dans les faits nous en sommes bien éloignés…
Ce qui compte c’est le chemin. On n’a jamais demandé aux utopies d’être des paradis !
Il serait long de recenser tous les petits trucs qui ne vont pas sans mettre en balance tout ce qui fonctionne bien. D’autant que dans ce qui fonctionne (école, eau, énergie, démocratie…) il y a des sources d’inspiration prodigieuse !
Un salon Primevère à ciel ouvert
Etant venu bien plus pour la partie « expérimentation durable » que pour la partie « pleine conscience universelle », j’ai délaissé Auroville rechargé à bloc !
La comparaison peut paraître étonnante aux pilliers aurovilliens, mais j’avais la sensation de me balader dans un salon des alternatives, comme Primevère à Lyon.
Pour infos ce que j’ai vu, visité, testé…
- Au CSR (centre de recherche) on bricole des scooters électriques
- Solar Kitchen, on cuisine 1 000 repas par jour juste grâce au soleil !
- eco-femme, on confectionne des serviettes hygiéniques lavables écolo et équitables
- Svaram on trouve des instruments de musique oniriques et sociaux
- Sadhana Forest, on fait de l’éco-volontariat vegan et zero déchet
- Auro-orchad, on convertit la plus vielle ferme en ferme régénératrice (agroforesterie ? permaculture ? un mix ?)
- FreeStore on donne et on prend gratuitement des vêtements (testé !)
- Foodlink, la « centrale d’achat » locale pour les produits des fermes
- Pour Tous Distribution Center une « biocoop » sans prix réservée aux aurovilliens. Petit bonus : pour faire la bonne quantité de pain, on dépose son cabas la veille en précisant sa demande.
- eco-service : la « déchetterie » collectrice
- Botanical Garden pour cultiver la biodiversité d’origine…
- Last School : une des 4 écoles à pédagogie alternative.
- Upasana : marque de mode éthique !
- Swadharma : un programme pour les jeunes (Indiens et ailleurs) pour faire un pas de côté durant leurs études…
- Etc etc…
Et Dieu dans tout çà ?
On connaît la réponse du mathématicien Laplace quand Napoléon lui demanda pourquoi il n’avait nullement fait mention du Créateur dans son ouvrage.
« Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse dans mon système ! »
Selon moi, tout le malentendu sur Auroville réside dans cette cohabitation entre d’un côté la recherche du divin et de l’autre la recherche de l’humain. Je pense que dans l’esprits des fondateurs, il était assez clair que l’expérience spirituelle était étroitement liée à l’expérimentation matérielle.
Aujourd’hui cette complémentarité est toujours présente. Personnellement, même si j’ai une certaine attirance pour le spirituel (que j’appellerais sagesse…) la méditation au sein du MatriMandir m’a profondément détendu mais pas vraiment transformé…
Toutes les sagesses ne disent-elles pas qu’il faut savoir s’éloigner des maîtres ? (« Si tu vois Boudha, tue-le ! » – Maître Lin-Tsi )
Générations spontanées
Si vous avez le temps, je ne peux que vous conseiller de jeter un oeil au documentaire Auroville : Histoire d’une utopie parce que l’on y voit des protagonistes de 2008 face à eux même en 1968. C’est réellement émouvant et réconfortant de voir toutes ces personnes en quête de sens et d’utopie, constater lucidement le chemin parcouru. Le film se termine sur un témoignage qui parle justement de la « nouvelle génération » qui vient dans un autre contexte, pour d’autres raisons.
Et pour le résumer grossièrement, c’est comme si les nouveaux arrivants pensaient en terme d’écologie quand les pionniers arrivaient sans tous nos concepts modernes de changement climatique, d’OGM, d’effondrement de la biodiversité etc… Deux générations qui ont tellement à apprendre l’une de l’autre.
Le nouveau responsable de la ferme, Christian, a transformé en quelques années cette culture conventionnelle en culture régénératrice. Et çà marche !
Pendant que Christian nous dessinait sur le sol rouge des explications biochimiques sur le cycle du vivant, et qu’il nous explique les problème d’eau de la région, il y a cette employée indienne en train de laver une voiture…
Je fais remarquer le côté absurde à nous parler du caractère précieux de l’eau tout en constatant ce gaspillage tellement années 70…
Et Christian de dire « Ah ! ca c’est Gérard qui tient toujours à avoir sa voiture bien propre« .
Avec un ton écologique et spirituel à la fois. Mêlé de dépit et de tendresse.