C’est toujours délicat quand un ami vous demande ce que vous avez pensé de son film. La bienséance prime sur une mauvaise séance !
En général on a la chance de ne pas connaître personnellement celui ou celle qui est derrière le stylo, la caméra, le micro. Or donc, comme indiqué par cette entrée en matière, Anne-Sophie Novel est une amie depuis bientôt 10 ans. Quand elle m’a annoncé le financement participatif sur Kisskissbankbank pour son projet de film, j’ai tout de suite contribué. Par amitié d’abord. Mais aussi parce que le sujet m’intéresse au plus haut point et que je savais que son point de vue « immergé » ne pouvait être que pertinent.
Mais il faut être lucide, un projet de film a une double exigence de fond et de forme ! Pas évident de réussir son premier film ! Eh bien ouf ! C’est réussi et je n’ai même pas eu besoin de me forcer à le lui dire
De quoi ça parle
On dit souvent que « journaliste » est la profession la plus détestée des Français, avec « politique » et « banquier »… Cela en dit long sur le rapport que nous entretenons avec les médias.
Fake News, infobésité, rejets des médias, défiance à l’égard des journalistes, etc. La presse a du plomb dans l’aile, et le public semble en avoir ras le bol des informations déversées du matin au soir sur les ondes. Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ? Est-il possible de renouveler le métier journalistique ? D’adopter une autre posture entre producteur et consommateur d’info ? A travers cette enquête, la réalisatrice, elle-même journaliste, partage son expérience, ses questionnements, et investigue les effets de la fabrique de l’information sur notre conception du monde.
Le film commence sur la métaphore du marché où Anne-Sophie vend des « salades », des « feuilles de chou » et du « Poivre d’Arvor » à côté de vrais vendeurs de légumes. Et l’on réalise qu’effectivement l’alimentation de l’esprit devrait exiger le même souci que l’alimentation de l’esprit. Il y a de la junk food comme il y a de la junk news.
Le film est un road trip mêlant de nombreuses interviews avec des journalistes plus ou moins connus. On est forcément touché par les témoignages d’abord enthousiastes des fondateurs de la revue XXI, qui se lancent dans une autre aventure avec Ebdo… et que l’on retrouve bien déconfits un peu plus tard. Anne-Sophie ayant eu la « chance » de vivre cet épisode du début à la fin; de l’effervescence à la déception.
Il y a une belle séquence avec Stéphane Paoli (madeleine France Inter) qui est lucide sur sa profession et semble avoir beaucoup d’espoir sur le journalisme à ré-inventer. Là où on sent plutôt la narratrice dans un labyrinthe de questionnements ?
Quelles solutions pour faire du journalisme de qualité et surtout réinstaurer une relation de confiance ? Du journalisme positif (Danemark), du journalisme « social » (Philadelphie), du journalisme en coopérative (Nice-Matin), du journalisme qui va dans la rue (coucou les amis de #DataGueule !), du journalisme de youtubeurs (et le phénomène Thinkerview au fait ?)
A la manière de Demain, film des solutions de Cyril Dion et Mélanie Laurent, on explore des exemples concrets, des « solutions locales » plus ou moins reproductibles. Mais à la fin du film, la question reste largement en suspens.
Sur la forme c’est très réussi (infographies, mises en scène, mises en abîme, autodérision…) et me sont venue à l’esprit seulement deux critiques.
D’abord l’absence d’exemples en dehors de la sphère occidentale. Asie, Russie, Afrique, Amérique du Sud… là-bas aussi il doit y avoir des pannes et des solutions ? Bon après on ne peut pas tout traiter non plus !
Puis le taboo de l’argent, du modèle économique dans ces médias à ré-inventer. Or, ce n’est pas un scoop, ayant pas mal d’amis journalistes indépendants et consciencieux, c’est plutôt la galère et la précarité ! Difficile de trouver une rédaction qui traite bien ses reporters. Il ne reste donc que des médias alternatifs et confidentiels avec des conditions économiques intenables.
Voilà donc deux critiques dont je sais pertinemment que c’est par manque de place et peut-être aussi parce que l’on risque de perdre le spectateur, qu’elles n’y figurent pas.
Une fois digéré, repensant à ces scènes sur le marché aux fruits et légumes, je me suis rendu compte d’une inversion bizarre. Quand j’explique à mes amis ce qu’est une AMAP, je dis en résumé que c’est un abonnement sauf qu’au lieu de s’abonner à un journal, on s’abonne à un panier de légumes bio et locaux.
Eh bien qui sait, peut-être qu’il est temps d’expliquer ce qu’est un média : « c’est comme une AMAP mais on reçoit de l’information bio et locale » !
Est-ce pour cela que j’ai décidé de m’abonner subitement, malgré un peu de pub, à Alternatives Economiques ?
PS : à tout hasard, Flo Laval et Anne-Sophie Novel cherchent à diffuser très largement le film Les Médis, le monde et moi donc si vous avez des contacts, aidez-les !