On peut lire ici des extraits de ce livre et simultanément, cette note de lecture d’Alain Lance.
Vieux forestier
Nous descendions sous le soleil en guerre
comme Orphée pas à pas
ce n'était pourtant pas l'enfer
je te revois de pierre en pierre
j'entends ton cœur le tremblement
White horse Old forester
et le bruit que fait près des tempes le sang
« Cada sol » écrivait Luis de Gongora
« Cada sol repetido es un cometa »
tu avais les mains pâles moi les yeux d'Homère
ni soleil-lyre pourtant ni Orphée ni enfer
mais nous deux peu à peu dans la combe du temps
nous nous taisions nous descendions dans tout ce jour
autour de nous
vers un fleuve opaque et vert
je n'entendais que cet écho dans la colline de ton pas
« Cada sol repetido es un cometa »
comme à reculons la lumière blanche ou noire
amicale ou complice
comme on s'en va
comme l'on dit bonsoir
« Bonsoir Eurydice ! »
à la Havane une grande baie vitrée
tout d'écume accablante
il ne reviendra pas
et nous dans cette faille en plein rocher en pleine terre
à sonder quoi ?
le ciel est du genièvre blanc Contreras
le reste atroce
« las horas que limando estan los dias »
« los dfas que royendo estan los atios »
plus nous irons la nuit sera
ce bruit de drague dans le coeur
un désordre de nerfs
une main devant toi pour connaître le noir
où allais-tu que j'avais peur
pensant partout mauvaise passe
est-ce nuit simplement
ce point dans l'ombre brillant clair
fracas des eaux ciment qui casse
une étoile ou un repère ?
de tout mon corps tendu dans cette écoute de ton pas
quand ce n'était qu'ombre ordinaire
avec l'été avec les voix
White horse Old forester
les ouvriers qui fumaient des farias
(p. 72 et 73)
/
L'hiver noir sur blanc
J'aime ces journées trop courtes, l'apparition du ciel dans les flaques et le parfum des ronciers quand la pensée poursuivie se méjuge Ô la route d'automne un autre jour en d'autres temps
Le soir me mettait un goût de thé dans la bouche
Je savais lire
Je savais voir
un miroir dans une main nue le verre
d'eau des voix dans l'ombre
Cœur écureuil au bord du bois d'enfance
On fait de tout des feux au fond du parc
On clame
- les magazines glacés -
la découverte d'un insecte près du pôle
mais l'âme
les musiciens demain se mettront au travail
vous dites que ma tête fait ombre à l'étoile aujourd'hui
vous riez comme dans les salles sombres
Je suis pourtant de vous si près
Je vous regarde
les mots sans nombres
un coude sur le ciment frais
(p.48)
Pierre Lartigue, Des poèmes comme des îles, Sous le sceau du tabellion, 2019, 132 p., 15€.
Lire cet article de Claude Adelen au moment de la mort de Pierre Lartigue.
La fiche bio-bibliographique de Pierre Lartigue dans Wikipédia
Pierre Lartigue est un poète, romancier et essayiste français, né le 24 avril 1936 et décédé le 16 juin 2008. Il a été membre du comité de rédaction de la revue Action Poétique.