Si, de manière générale, l’effacement de l’auteur ou du critique -et pourquoi pas du scripteur si vous préférez- me semble plus élégant, aujourd’hui, je vais vous parler à la première personne d’une œuvre qui a véritablement retenu mon attention. Pourquoi ? Parce qu’elle est extrêmement originale. Peut – être unique en son genre. Parce qu’elle s’inscrit à la fois dans la tradition et dans l’inventivité. Parce qu’elle est un parfait exemple de créolisation puisqu’elle associe la technique de broderie de Lunéville, quartier de Nancy en France et l’imagerie haïtienne, déjà elle-même syncrétique puisqu’elle fusionne des représentations de personnages bibliques et du panthéon vaudou. Il s’agit des oriflammes de Myrlande Constant.
Myrlande Constant est une artiste haïtienne et autodidacte, formée par sa mère mais aussi dans le cadre de son emploi dans une entreprise de broderie de robes de mariée. Elle n’utilise donc pas la technique des ateliers de fabrication de drapo vaudou. Elle ne coud pas de paillettes mais pratique le perlage, c’est-à-dire qu’elle fixe de petites perles rondes préalablement enfilées, au moyen d’un crochet. Comme elle travaille le revers de l’œuvre, elle ne voit pas directement l’image se construire.
Son inspiration la rattache cependant à la tradition des drapo vaudou. Les oriflammes brodées font partie du rituel. Dans son article Art du vaudou haïtien entre toiles et oriflammes publié dans le cadre d’une exposition du Centre culturel du Marin en 1993, Michèle Baj –Strobel signale que les premières attestations de l’existence des oriflammes, dans un ouvrage de Paul Reboux, Blancs et noirs carnets de voyage, remontent à 1915. Une photographie d’un autel Agwè, prise en 1930 par Harold Coulander, confirme la présence de peintures murales, d’oriflammes et de chromos dans les lieux de culte. Par la suite, une production non destinée au culte, spécialement conçue pour le marché étranger s’est développée. Puis des artistes contemporains, comme Edouard Duval Carrié, Pierre Barra, Dubreus Lherisson, David Boyer se sont également emparé de cette forme plastique en la reconfigurant.
Dans un numéro du nouvelliste de mars 2018, Gérald Alexis explique que Pierrot Barra (1942–1999), prêtre vodou et président de société secrète, qui fabriquait des drapo vaudou avait voulu développer son travail en trois dimensions et avait créé ce qu’il appelait des reposoirs. Ce sont des assemblages rembourrés de tissus, de rubans, auxquels sont ajoutés miroirs et têtes de poupées. David Boyer, pour sa part, introduit l’usage des boutons.
Les créations de Myrlande Constant sont généralement de très grande taille et ont une composition similaire à celle des tapis. Une bordure principale, décorée de motifs abstraits ou symboliques, entourée de deux bordures plus fines, les bordures secondaires intérieure et extérieure, encadrent une image figurative qui constitue le motif central. Ces scènes sont inspirées du panthéon vaudou ou de scènes bibliques. Il peut s’agir d’un personnage central en majesté ou de scènes plus complexes avec une multiplicité de petits personnages de taille différente et des éléments de décor. L’une d’entre elles présente une amorce de perspective avec ses murs obliques et l’orientation des petits cercueils du fond. Des lettres brodées accompagnent souvent l’image, souvent le nom et la qualification du personnage représenté ainsi que la signature dont le S ou le N se retrouvent parfois inversés en raison sans doute de la réalisation de l’œuvre sur l’envers.
C’est un corpus d’oeuvres très riche, diversifié et original qu’une analyse approfondie contribuerait à mieux comprendre et diffuser.
Dominique Brebion
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