J’aurais aimé, sans doute, ne pas lire tant d’extraits de ce livre sur les réseaux sociaux avant de l’ouvrir. Cela dit, j’ai souri, pendant ma lecture, devant l’énormité du pompage, parfois au mot près, de ceux qui l’ont fait, souvent sans citer leur source… Remettons les pendules à l’heure, c’est Vanessa Springora, et elle seule, qui a soulevé les lièvres, trouvé les extraits où Pivot apostrophe un certain G., parlé de cette fameuse pétition signée par Sartre et Beauvoir (qui donne envie de vomir), parlé du Lolita de Nabokov aussi et de son ton sans appel, etc… mais son livre n’a rien d’un scandale en soi. Tout d’abord, il est très bien écrit, avec des mots justes, bien posés. Il décrit les émois d’une toute jeune fille (treize ans) pour cet adulte écrivain, fascinant et insistant, enjôleur et beau… appelé tout du long G, trois fois plus vieux qu’elle. On peut même retrouver aux premières pages des airs de Bonjour Tristesse de Sagan primé en 1954 où Cécile, 17 ans, est attirée par les amis de son père (les prémices de ce fameux air du temps ?). Je ne suis personnellement jamais gênée, en tant que lectrice, à l’instar de ce qu’a pu faire Justine Levy ou Laurence Tardieu dans leurs écrits, quand une si belle écriture raconte des faits réels. La réalité est parfois bien plus inventive, plus invraisemblable aussi, plus cruelle, que la fiction. Et je comprends, tellement, qu’il faille attendre si longtemps, que son enfant atteigne l’âge de l’expérience par exemple, que l’énormité de l’événement prenne enfin tout sons sens, pour que l’urgence soudain de raconter advienne. J’ai ressenti avec force le manque d’amour, le manque de repères, l’amour de la littérature, l’admiration, tout ce qui a pu entraîner la jeune Vanessa dans les bras de G. Le prédateur n’avait pas choisi sa cible par hasard. Vanessa vit seule avec sa mère, et cette dernière s’interpose mollement devant la relation des deux tourtereaux, puis laisse faire. Il n’y a pas d’obstacles face aux agissements de G., il y a même un énorme accueil bienveillant face à ses qualités d’écrivain, face à ses livres où tout est raconté, son amour pour les nymphettes et les très jeunes garçons. Tout le monde sait. Et malgré elle, malgré son consentement, Vanessa lance des alertes que personne ne rattrape jamais. Il faudra qu’elle grandisse un peu, qu’elle se rende compte des manipulations de l’écrivain, et qu’elle se sauve elle-même pour que le charme disparaisse… L’attrait qu’elle exerçait sur G. n’aurait de toutes façons pas survécu à la fin de l’adolescence… J’ai lu ce livre avec beaucoup de tendresse pour son auteure, séduite par son écriture, sa sincérité, sa dignité. Je l’ai lu à la fois comme un récit d’expérience, mais aussi comme un ouvrage littéraire. Et loin d’avoir envie d’ouvrir un débat sur l’époque qui a permis à une telle expérience traumatisante de perdurer et de se renouveler, loin d’avoir envie de parler du bien fondé ou non du lynchage médiatique, j’ai envie d’espérer que Vanessa Springora a ainsi débloqué quelque chose en elle, qui lui permettra (entre autres) de continuer sur le chemin de l’écriture.
« Le manque, le manque d’amour comme une soif qui boit tout, une soif de junkie qui ne regarde pas à la qualité du produit qu’on lui fournit et s’injecte sa dose létale avec la certitude de se faire du bien. Avec reconnaissance et béatitude. »
Editions Grasset – 2 janvier 2020
J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…
Une autre lecture chez… Cathulu