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Nafar

Publié le 06 janvier 2020 par Lorraine De Chezlo
NAFARde Mathilde Chapuis
Roman – 150 pagesEditions Liana Levi – août 2019Sur la rive turque du Meriç (Hèbre antique, ou Maritsa), un jeune homme, un nafar – migrant – rêve de réussir à franchir le fleuve. La dictature syrienne l’a poussé à fuir et délaisser le café qu’il tenait. Le voilà à présent à la porte de l’Europe, en proie à toutes les difficultés que traversent les personnes sans droits, étrangères, seules, cibles.
Avec une narration à la deuxième personne du singulier dans la première partie du roman, Mathilde Chapuis met en scène et en mots le récit d’un syrien qui veut regagner la Suède, dans le regard d’une narratrice secrète mais intime. Par ce biais, elle couve du regard, elle enveloppe de description, elle protège un sujet en lui transmettant toute son affection, son amour, son humanité. Elle regarde avec intimité l’inconnu que le lecteur découvre. Elle distingue parmi la foule une personne aux motivations propres, au désir humain, à l’obsession de l’exilé. Pas de nom pour l'un ni pour l'autre. Des lieux, des endroits du passé, du présent, du futur. Les peurs et les espoirs.
Extrait :
"J’ai rencontré un homme qui échoue. Un homme qui, se regardant dans le miroir le matin, ne se reconnaît plus. Un homme qui évite de se pencher sur son histoire, car la douleur serait trop vive.
T’aurais-je aimé si je t’avais connu avant la guerre ? Aurais-je aimé l’homme solide, l’homme fort ? Celui qui voulait être riche et qui se promenait dans Homs, le torse bombé, les mains dans les poches de sa veste bleue ? Aurais-je ne serait-ce que tourné les yeux sur le patron d’un café, fier, et peut-être même un peu arrogant ?
J’ai rencontré un homme qui jadis savait tout faire. Un homme efficace, énergique et performant. Chaque chose avait une place, chaque chose avait un sens. Malgré l’oppression. Et puis tout s’est voilé d’un seul coup. Il n’est plus le patron, c’est sous les ordres d’un autre qu’il travaille désormais.
Ses ambitions ne portent plus sur la vaste étendue des possibles mais sur le petit terrain infertile d’un destin déchu.
J’ai rencontré un homme que rien n’arrête.
A genoux. Le dos courbé. Le front cabossé.
Dans la nuit, il bute, il trébuche, à tâtons, les bras tendus.
Un homme gouverné par un optimisme aveugle."

On comprend peu à peu que la narratrice a connu le personnage, qu’elle l’accompagne par la pensée, qu’elle nous livre de nombreux instants de leur passé commun ou des errements du Syrien. On peut être déstabilisé en ne comprenant pas dans quel ordre chronologique les faits se succèdent.
C’est un roman magnifiquement écrit, avec l’approche détaillée de l’auteure qui a parcouru Liban, Grèce et Turquie en s’intéressant aux problématiques des exilés.   

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