Après avoir passé son enfance à Moscou, Paul Valet (il est né Georges Schwartz en 1903) part pour la France à quinze ans et opte pour la nationalité française à vingt-deux. Médecin (il fut un des pionniers de l’homéopathie), poète, pianiste, grand résistant, il voit tous les siens disparaître à Auschwitz. Il vivra après la guerre hors des cénacles littéraires, médecin des pauvres à Vitry et publiera de son vivant treize recueils, principalement chez GLM et au Mercure de France. Il a traduit Joseph Brodsky et Requiem d’Anne Akhmatova. Souffrant de troubles nerveux et cérébraux, il connaîtra l'enfer des hôpitaux psychiatriques avant de s'éteindre k 8 février 1987.
On peut voir sa bibliographie ici.
Jacques Lacarrière a écrit un Paul Valet. Soleils d'insoumission, dans la regrettée collection de poésie des éditions Jean-Michel Place, en 2001
Ma parole d'assaut
Est un désastre en marche
Je traverse mon visage
Ravagé comme une ville
Je traverse mon époque
Fulgurante et débile
Une rigueur sauvage
M'envahit quand j'écris
Le vouloir vivre
Fait ramper la vie
L'espoir et la peur
Pulvérisent l'Esprit
La lâcheté enfante la raison
La raison enfante la folie
La pensée qui se pense
Dévore ses entrailles
Quand tout croule
L'Écroulement se fige
Infaillible est le regard
De l'Oubli qui survit
(p. 28)
*
Je marche sur les pavés, sur le macadam, sur la terre battue, sur l'asphalte, dans les rues sans fin et sans but. Pierres, cailloux, bitume, goudron, goudron solide, goudron liquide, blocaille, et encore et toujours pierres de toutes tailles. Et je marche dessus comme un automate hébété, un guignol difforme, sur le cimetière de la terre, étranger à la terre, où des millions de morts sous mes pieds sont couchés, squelettes depuis des millions de siècles. Des guerriers, des paysans, des chasseurs, des marchands, des vaillants, des puissants et des lâches. Tout un monde dissimulé par les morts, allongés en toute quiétude apparente. Et je marche dessus, avec mon arrogance qui me serre la gorge et qui m'empêche de connaître l'Inconnu. Il faut expier l'Impalpable, partout présent, partout vivant. Et je marche sur le cimetière de la terre, je marche sur la route, et je marche par-delà et je marche par-dessus, en avant, en arrière, à travers. Et je marche quand je dors, et je marche quand je parle. Et je marche sur la route — macadam, bitume, goudron, cailloux, cailloutis, pierres et blocaille. Tout un monde abîmé, embourbé, encrassé, barbouillé, souillé, profané, dans une ville - squelette mouvant - dans ma ville — squelette vibrant, où je marche écrasé mort — béant
(p.29)
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Quand le chaos commence à ployer l'homme du siècle, c'est alors que le poème relève la tête
Les fleurs sont faites pour frémir et la lune pour mourir. Entre les deux, passent les hommes aux idées fixes et croulantes. Chacun porte son destin dans une valise en plastique, cachée dans sa voiture.
Quel est l'adjectif pour dénoncer l'innommable ?
(p.30)
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Scrupule inédit monte au ciel gris de patience — Il faudrait des millénaires pour atteindre le sommet — Et quelle importance pour le temps ? — Rien n'est plus béni que le soleil qui se lève pour jeter son dévolu sur la terre oubliée — il n'y a rien à attendre de l'horaire — Continuer — Continuer — tel est l'ordre de la Nuit qui avance dans son jour encore invisible —Tout au fond de l'espace — dépouillé de matière — les étoiles projettent leurs questions — La réponse est muette comme un souffle suspendu — L'homme déchu demeure à l'écart
Sombrer avec hurlements ? C'est difficile. Le temps n'est pas encore aux typhons
(p. 33)
Paul Valet, Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?, Le Dilettante, 2019, 176 p., 17€ (parution le 8 janvier)
A noter :
La parution en Poésie/Gallimard de La parole qui me porte et autres poèmes de Paul Valet, le 13 février 2020.
Paul Valet dans Poezibao
note de lecture de Jacques Lacarrière, Paul Valet, soleils d’insoumission, JM Place (P. Kobel), extrait 1, extrait 2, in Notes sur la poésie