J’ai trouvé ces deux beaux poèmes dans le recueil Dans les méandres des saisons, paru chez Gallimard en 2014.
Bien qu’on ne puisse parler de poésie classique à leur sujet, puisque le poète n’utilise ni la rime ni les mètres mesurés, on retrouve néanmoins dans ces poèmes une organisation des vers en strophes, parfois même en sonnets, et des rythmes fluides, sans heurts.
J’ai apprécié la présence de la nature et de la nostalgie à travers ces poèmes, le poète nous emmène sur les traces de ses promenades et de sa tendre mélancolie, marquée par les deuils et l’appel aux souvenirs.
Voici deux poèmes qui m’ont particulièrement touchée :
page 20
Il y a autant de brumes sous nos paupières
que sur les jardins d’octobre. Nulle clarté
ne descend des montagnes, les sapins presque
noirs retiennent dans leurs branches le peu
de lumière que le ciel dénoue vaguement sur
le monde. A quelle distance sommes-nous des
précieuses paroles qui nous réconfortèrent
et firent nos beaux jours ? Qui se pencha
sur nous avant de disparaître ? Les souvenirs
sont si fuyants, si fragiles parfois qu’ils
semblent détachés de notre vie – notre vie
que le temps accable peu à peu, ne laissant
de notre présence qu’un tout petit reflet que
le brouillard d’octobre avale sans le voir.
***
page 48
Sais-tu comment tu dois faire pour
ne pas t’abîmer dans les grands trous
de ta mémoire ? Tu le sais. En ne
fuyant jamais la solitude qui éclaircit
pour toi le passage des heures, en
aimant la franchise des pluies matinales
qui taquinent les fleurs sans les
froisser et sans déranger les vivantes
ombres que laissent tes poèmes, parmi
les ombres un peu fanées de tes parents
disparus. Aujourd’hui, parce qu’un
merle vient de se taire, à cause
d’un nuage qui obscurcit subrepticement
le ciel, tu entends s’en donner à cœur
joie tous les merles de ton enfance
qui, eux, comblent à merveille
les creux de ton infidèle mémoire.
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RICHARD ROGNET