Romain Torres est né le 9 mai 2001 à Strasbourg. Il grandit à Reichstett en Alsace entouré de ses parents et ses deux sœurs aînées. C'est très jeune que son amour pour la nature et plus particulièrement pour la forêt se développe. " Il a toujours été dehors à jouer en forêt ou à construire des cabanes " explique Sabine, sa mère. Très vite, il indique à ses parents ne pas vouloir passer sa vie enfermé dans un bureau ou dans une usine. Lors de ses séjours au refuge du Grukert, lieu associatif tenu par " Les amis de la nature " qui œuvre pour la protection de l'environnement et des pratiques de loisirs enrichissantes, il apprend le bénévolat, la vie en communauté et la serviabilité. Sa passion pour la nature passe aussi par les randonnées qu'il effectue autour du Mont Sainte-Odile en Alsace ou encore en Corse. Romain profite de chacune de ses expériences pour apprendre au contact de professionnels (gardes forestiers, guides de montagne...). Au fur et à mesure des balades et des rencontres il devient évident pour lui que son avenir sera lié à l'activité forestière.
" Comment on devient bûcheron ? "
Alors que son projet mûrit dans son esprit, il décide de partager ses réflexions avec son père et sa mère dont il est très proche. Un soir, il se lance et demande " comment on devient bûcheron ? ". Accompagné par ses parents et ses enseignants, Romain commence à construire son projet d'orientation. Il effectue son stage de 3 ème auprès des agents d'entretien des espaces verts de la commune de Reichstett. Pour sa première expérience sur le terrain, il observe un chantier de coupe et d'élagage. Déterminé, il se rend en mars 2016 aux portes ouvertes du Lycée agricole et forestier de Mirecourt (EPLEFPA). " J'ai vu s'illuminer le visage de Romain au fil de la découverte des possibilités offertes par cet établissement " raconte sa mère.
Plus motivé que jamais, il met toutes les chances de son côté pour pouvoir obtenir l'une des 25 places de l'unique classe en Bac Pro Forêt. " Il s'est mis au travail comme jamais pour avoir un excellent dossier. Il a même accepté de prendre des cours d'anglais à la maison pour que toutes les matières soient bien notées ". Le futur lycéen conclut son année de troisième avec les " félicitations " du conseil de classe. En septembre 2016, il intègre le lycée de Mirecourt dans les Vosges. Malgré l'internat et l'éloignement avec le reste de sa famille, Romain s'accroche. En classe, il s'épanouit pleinement et enchaîne les bons résultats. Alors que bien des jeunes de son âge angoissent face à l'avenir et subissent leur orientation, le chemin pris par cet amoureux de la nature apparaît comme une évidence pour ses proches. Sa maturité, louée par ses enseignants, n'y est probablement pas pour rien.
Romain fier de montrer à son père ce qu'il a appris durant ses premières semaines d'apprentissage.
(Toussaint, 2016)L'apprentissage du métier
Au cours de l'année de seconde, le jeune apprenti effectue plusieurs semaines de stages. Sur les chantiers, il observe les élagueurs effectuer leurs coupes. Il s'intéresse et questionne les ouvriers qui l'accompagnent mais n'est pas encore autorisé à abattre. Il se charge cependant du broyage et apprend à utiliser les machines. Son sérieux est particulièrement mis en avant par son maitre de stage. " Il lui a donné 10 euros, son premier pourboire. Romain était tellement fier, pour lui cette reconnaissance était énorme ". Quelques semaines plus tard, il reçoit son premier chèque de gratification. " J'avais un jeune cabri dans la maison tellement Romain était heureux et fier. "
L'année suivante, l'élève de première effectue ses premiers stages en forêt pour des travaux de bûcheronnage. " Enfin Romain avait accès au graal ". Il se perfectionne dans l'utilisation de sa tronçonneuse et apprend à entretenir l'outil. " Les cours d'agro-equipement le passionnaient également, ainsi que la formation pour apprendre à conduire tracteurs et débardeuses. Il s'était déjà renseigné sur les formalités pour pouvoir passer le permis poids lourd qui est un plus chez les forestiers pour postuler à un emploi. " Au fur et à mesure des formations, son projet d'orientation évolue. Romain annonce à ses parents qu'il envisage de s'inscrire dans un BTS gestion des forêts afin de devenir garde forestier. Lorsque sa mère lui demande pourquoi donc être passé par un apprentissage en bûcheronnage, il lui répond : " comme ça je saurai de quoi je parle lorsque je demanderai aux hommes de faire leur travail en forêt ".
Le 4 juin 2018, il débute un nouveau stage chez un bûcheron indépendant de Russ dans le Bas-Rhin. Pour lui permettre de travailler dans les meilleures conditions, ses parents lui payent une chambre dans une maison d'hôte à quelques kilomètres de là. Pour ses 17 ans, ils lui offrent même un scooter. " Je lui disais que je voulais lui éviter de monter une pente de 8 km à l'aube avec tout son équipement et qu'il arrive déjà fatigué physiquement au travail. Il savait que j'essaierai de voir si mon budget me permettrait de lui trouver un scooter ".
28 juin 2018 : le jour du drame
Il est 3h40 du matin lorsque le jeudi 28 juin 2018, Romain se réveille. Après s'être préparé, il se rend comme tous les jours chez son maître de stage. A l'aube, les deux hommes arrivent sur un chantier forestier à l'écart de la RD 214, entre le col de Steige et le col de la Charbonnière (massif des Vosges). Après avoir déchargé leur matériel, ils descendent la pente à 45° de la parcelle numéro 10 qui se situe en contre-bas du chemin. La veille, Romain avait ébranché un arbre. Avant de se lancer dans une nouvelle opération de ce type, il écoute les conseils de son instructeur. Puis il enfile ses protections auditives et démarre sa tronçonneuse. Pendant ce temps son maître de stage s'éloigne pour s'afférer à une autre tâche. Mais lorsqu'il se retourne, la grume abattue et ébranchée la veille (45 cm de diamètre pour 7 à 8 mètres de longueur) commence à dévaler la pente. Concentré et tourné de ¾ Romain ignore que le tronc fonce sur lui. Il n'entend pas non plus les cris de son instructeur. Vers 7h20, il est violemment percuté par le tronc et meurt sur le coup selon les constatations de l'autopsie.
Seul au milieu de nulle part, l'instructeur doit remonter la pente pour avoir du réseau et prévenir les secours. Lorsqu'il parvient enfin à contacter les pompiers ceux-ci peinent à le localiser. Le bûcheron indique le point de rencontre forestier correspondant à sa position. Mais l'homme qu'il a bout du fil semble ignorer de quoi il s'agit. Il faudra 1h20 aux secours pour arriver enfin sur place. Pendant ce temps, les parents de Romain sont informés du drame. La Gendarmerie leur demande de rester à leur domicile et promet de revenir au plus vite vers eux afin qu'ils puissent se rendre sur place. Mais aucun appel ne leur sera passé. Ils ne reverront le corps de leur fils que 9 jours plus tard.
Romain en tenue de bûcheron dans le jardin de ses parents (
Reichstett, 2016) puis sur un chantier de TP renforcé ( Saulxures-sur-Moselotte, novembre 2017)" J'ai besoin de comprendre ce qu'il s'est passé "
Comment expliquer un tel accident du travail ? Pourquoi tant de confusion dans l'organisation des secours ou dans l'accompagnement de la famille ? " J'ai besoin de comprendre ce qu'il s'est passé ". Un an et demi après le drame, la mère de Romain n'a que trop peu de réponses. Selon les gendarmes, la pente, les vibrations de la tronçonneuse mais aussi la sécheresse sont probablement à l'origine du détachement de la grume. En effet, dans les Vosges, certains arbres meurent de soif. Ils se dessèchent de l'intérieur et leur masse devient difficile à estimer. Un véritable danger pour les professionnels de la sylviculture.
La mort de Romain a donné lieu à l'ouverture d'une enquête par le procureur de Colmar, dont les conclusions n'ont toujours pas été rendues. Une incompréhension pour la mère du jeune apprenti bûcheron qui n'a eu accès ni au rapport de l'Institut médico-légal (IML), ni à celui de l'Inspection du travail. Sabine Torres a écrit au procureur, contacté l'IML ou encore la gendarmerie pour connaitre l'avancée du dossier. Mais à ce jour, aucune information ne lui a encore été transmise concernant la mort de son fils. Seul un courrier laconique de la Mutualité sociale agricole (MSA) lui a été transmis. Il y est affirmé que son fils a bien été reconnu victime d'un accident du travail. Rien sur les circonstances du drame cependant. Il y a deux mois, elle a donc décidé de contacter un avocat et de se porter partie civile. " Je ne veux pas qu'on l'oublie ".
Beaucoup de question restent selon elle encore en suspens. Son fils était-il assez formé ? Ce chantier n'était-il pas trop dangereux à ce stade de son apprentissage ? La MSA a en tout cas estimé que son maître de stage était lui une victime collatérale de l'accident du travail. Sabine Torres ne comprend par ailleurs toujours pas pourquoi les secours ont mis autant de temps avant d'arriver sur place. Y-a-t-il eu un dysfonctionnement à ce niveau ? Afin de lutter contre les dangers liés à l'isolement et à l'éloignement des professionnels de la forêt, elle souhaite la création d'une application permettant à chaque bûcheron de transmettre sa géolocalisation aux services de secours. Cette idée, elle en a même fait part au député de la circonscription, Bruno Studer, qu'elle a fini par rencontrer après plusieurs mois d'insistance.
Aujourd'hui, elle ressent encore parfois le besoin de se rendre sur place, sur la parcelle numéro 10 de la commune de Steige. Elle continue à remuer ciel et terre pour enfin pouvoir comprendre précisément le déroulement des faits de ce 28 juin 2018 et faire vivre la mémoire de Romain. Une mémoire que ses anciens camarades de classe ont décidé d'honorer lors d'une cérémonie quelques mois après le drame. " Ils ont planté un Ginkgo biloba sous les fenêtres de l'internat, arbre qu'ils ont choisi eux-mêmes avec leur professeur de bio forêt pour le symbole ". Au printemps 2019, le jour anniversaire de Romain, ils se sont pris en photo devant l'arbre qui venait d'ouvrir ses premières feuilles.
- Depuis la mort de Romain il a un an et demi, au moins 3 apprentis bûcherons sont décédés dans des accidents du travail. Ils avaient 17 ans, 22 ans et 44 ans. Plusieurs autres ont été gravement blessés. Méconnue, la sylviculture reste une activité dangereuse pour les apprentis comme pour les professionnels. Une quinzaine de bûcherons et d'élagueurs sont morts dans des accidents du travail au cours de l'année 2019.
Matthieu Lépine