A quelques heures du nouvel an 2020, Carlos Ghosn s'est évadé du Japon comme un vulgaire et banal délinquant.
Ce fait divers interroge sur la duplicité des politiciens et des médias à l'égard de l'élite ainsi que sur la formation.
Des politiques au service des "grands" patrons :
Ghosn fut PDG de Renault, fleuron national, pendant près de 20 ans, grâce à l'état actionnaire et aux partis politiques qui se sont succédés au pouvoir. Il incarne l'archétype du capitaliste qui a mené des fusions-acquisitions et un carnage social - fermetures d'usines, délocalisations, licenciements, recours aux contrats précaires, pression sur les sous-traitants - au nom de l'adaptation à une économie globalisée.
Il a trouvé des interlocuteurs compréhensifs, tant au plan politique - du PS à LR en passant par le RN et LREM - pour changer la loi et imposer aux travailleurs qu'ils travaillent plus sans aucune compensation, qu'au plan syndical - la CFDT - pour signer des accords d'entreprise de régression sociale. Sans ces collaborateurs politiques et syndicaux, un tel massacre social n'aurait jamais eu lieu.
Mais, ce n'est pas tout. Face à un Etat actionnaire démissionnaire ou "je m'en foutiste", il s'est fait attribuer des revenus de nabab, c'est-à-dire complètement disproportionnés et hors de toute raison : à minima 15 millions d'euros annuels, soit 1,25 millions par mois, soit 40 322 euros par jour, soit 1680,10 euros par heure, soit 28 euros par minutes (sommeil inclus). Quand l'Etat a opportunément fait mine de découvrir le pot aux roses, Ghosn s'est fait attribuer des stocks-options pour augmenter ses revenus.
Parce que si son salaire fixe était stratosphérique, une autre partie de ses revenus provenait des stocks-options, quasiment auto-attribués, à l'instar des patrons des entreprises du CAC 40 et des multinationales. Et là, il y a lieu de s'interroger sur les choix industriels. En effet, la finance (stocks-options) et l'industrie obéissent à deux logiques différentes, peu compatibles. L'une se situe dans le court terme pour dégager un maximum de profits en un minimum de temps, généralement supérieurs à 10 % (les dividendes avaient augmenté de 12 % en 2017), tandis que l'autre se place dans le temps long pour investir, faire de la recherche et produire pour des bénéfices inférieurs à deux chiffres. Au vu de l'état du groupe Renault-Nissan, il semblerait que Ghosn ait privilégié la valorisation de ses stocks-options et des dividendes des actionnaires plutôt que la pérennité de l'entreprise.
De plus, cet individu ne payait même plus ses impôts sur le revenu en France depuis 2012 ! Quand il a été demandé s'il y avait un problème avec lui, le ministre de l'économie, M. Le Maire, a déclaré :
« Il n'y a rien de particulier à signaler sur la situation fiscale de Carlos Ghosn en France. »
A l'instar de ses pairs, Carlos Ghosn a profité de l'extrême complaisance des gouvernements successifs. Une attitude synonyme de capitulation et de soumission à l'économie ou plutôt à l'oligarchie. Cela s'est traduit par des lois favorables aux intérêts de ces oligarques et un système fiscal de moins en moins redistributif.
Conséquences : exploitation accrue de l'humain et de l'environnement, revenus des "grands" patrons mirobolants, parachutes en or et retraites dorées pour cette minorité ! Le tout dans un environnement médiatique très favorable...
Des "grands" médias soumis au Capital :
Cette affaire Ghosn confirme aussi que le pluralisme de l'information est mal en point avec des médias dominants aux mains de l'Etat et de quelques milliardaires.
Nulle indignation, nulle consternation, nulle condamnation de l'évasion de ce célèbre taulard !
Le système médiatique a fait preuve d'une extrême compréhension pour ce délinquant en col blanc. La différence de traitement médiatique entre un Christophe Dettinger, gilet jaune en colère qui a donné quelques coups de poings dans le bouclier d'un CRS et qui fut condamné illico presto à une peine de prison ferme, et Carlos Ghosn, évadé fiscal en France, soupçonné d’avoir dissimulé au fisc nippon plus de la moitié de sa rémunération de président de Nissan et fugitif est frappante.
Ainsi, depuis quelques jours, les éditocrates et journalistes économiques se sont révélés des experts du système judiciaire nippon. Ce dernier aurait tel ou tel défaut, les droits des prévenus ne seraient pas vraiment respectés, les prisons seraient inhumaines, le système accusatoire très très limite, voire quasiment nord-coréen... Peut-être, après tout ? Mais est-ce que le nôtre est exempt de tout reproche ? A-t'on lu ou entendu les mêmes s'interroger sur les condamnations expéditives en prison de gilets jaunes et de syndicalistes et les rappels à la loi rendus de manière quasiment systématiques contre eux ?
Aucunement, les journalistes vedettes ont préféré transformer le délinquant en héros, sa vie de prédateur sans foi ni loi en exemple et sa fuite et son exil au Liban en un roman d'aventures !
La faillite des grandes écoles :
Carlos Ghosn est sorti diplômé de polytechnique, célèbre et prestigieuse grande école.
Aussi, ce fait divers interroge sur la formation des élites, la reproduction sociale, l'impunité dont ses membres bénéficient, les passe-droits, l'absence totale de conscience à œuvrer pour l'intérêt général, voire même l'amoralité et l'inhumanité qui caractérisent les actes de ses membres.
Or, théoriquement, les grandes écoles forment les meilleurs éléments du système scolaire, devant faire d'eux les meilleurs d'entre nous, les préparer dans tous les domaines à servir les intérêts du pays et de la population. A devenir des exemples. Leurs étudiants ont reçu la meilleure formation possible. Ils ont bénéficié des meilleures infrastructures, dotées de moyens matériels et humains exceptionnels. Entrés dans la vie active, ils devraient se sentir privilégiés et redevables à l'Etat et à la population qui a généreusement financé leurs études.
Mais, ce n'est pas le cas pour certains (beaucoup ?).
Alors, qu'apprend-on aux futurs éléments de l'élite dans ces grandes écoles ?
A n'être que des bêtes de concours ? A leur faire rentrer dans la tête que seuls les profits doivent guider leur actions ? Que leur vie ne doit être consacrée qu'à accumuler de l'argent, des actions et des biens matériels par tous les moyens légaux et extra-légaux, quitte à détruire des milliers de vies, à exploiter toujours plus durement les travailleurs, à se servir de l'Etat plutôt qu'à le servir ?
Comment en est-on arrivé là, à cette sécession des élites incarnée par Carlos Ghosn ? A cette absence de conscience commune, de solidarité et d'humanité ?
Cette faillite des grandes écoles questionne sur le contenu même de la formation. Sans franchir le point godwin et tirer un parallèle douteux, des historiens et des philosophes se demandent encore aujourd'hui comment des esprits brillants et cultivés ont pu servir, corps et âme, le régime nazi. Et toujours cette question : qu'est-ce qui a failli dans leur formation ?
Alors, à l'heure où un représentant de cette élite s'acharne à détruire l'industrie, les services publics et l'indépendance nationale (privation des aéroports, Alstom, ainsi que les droits sociaux, les classes populaires et moyennes sont en lutte pour mettre un terme à ce massacre.
Mes meilleurs vœux de succès au mouvement social.