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Les vœux de la Bibliothèque malgache pour 2020 ne peuvent être autre chose qu’une incitation à la lecture. Avec, dès aujourd’hui, l’exhumation d’un roman oublié (à tort) d’Edmond Jaloux, Le reste est silence, paru en 1909.
Edmond Jaloux (1878-1949) a été un critique littéraire ouvert et écouté. De l’art du roman, il disait ceci :
On critique quelquefois le roman, Messieurs, parce que ses règles sont plus souples que celles des autres arts. On le critique aussi parce qu’il appartient peu à notre âge classique. Cependant Don Quichotte et Pantagruel ont quelque droit à passer pour des œuvres classiques ; ce qui donne au roman moderne un certain droit à revendiquer, lui aussi, de véritables lettres de noblesse. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que ce code soit indécis ; un beau roman suit les lois d’une construction intime aussi fatales, quoique moins visibles que celles du sermon, de la fable ou de la satire, genres qui passent pour conserver le canon des modèles qu’ils ont imités. Mêler dans une œuvre d’art l’épopée et la science, la philosophie et le mouvement, l’homme et la nature, la chair et l’esprit, le temps et l’éternité ; étudier l’individu dans sa vie secrète et dans ses rapports avec autrui, analyser l’évolution de la société et les mystères de la conscience, nous éclairer sur nous-mêmes, donner une âme aux choses, une physionomie vivante aux maisons, une volonté agissante aux cités, baigner chacun de nos actes, chacun de nos conflits. dans ce vaste monde qui nous enveloppe, nous éclaire et nous permet de communier à tout instant avec l’esprit universel, poursuivre l’inconnaissable et révéler le quotidien, faire sentir ce qui dure sous les apparences de ce qui passe, retrouver la magie du Cosmos et se faire l’annonciateur de sa poésie, tout cela, Messieurs, c’est l’art du roman. Mais il n’est possible, il n’est acceptable que si l’on soumet à cette vue générale des cas particuliers, si l’on respecte ces deux règles inflexibles, qui sont la soumission des faits aux caractères, et ceux-ci à l’observation du réel et à la connaissance de l’homme.
Il parlait alors de Paul Bourget, dont il faisait l’hommage en 1937 lors de son discours de réception à l’Académie française. Il pensait peut-être aussi à lui-même puisqu’il a pratiqué le genre avec un certain succès. Le reste est silence… a reçu en 1909, l’année de sa publication, le prix Vie heureuse, l’ancêtre du Femina. Marcel Ballot avait accueilli l’ouvrage avec enthousiasme dans Le Figaro (son article est donné intégralement en préface de notre édition). Voici un extrait de son texte :
Vous lirez donc, j’espère, cette très simple histoire où beaucoup de vie réelle et de frémissante humanité tiennent en peu de pages et en de menus événements. Vous y verrez avec quelle fine sobriété nous sont peints la vieille cité maritime et commerçante, l’intérieur bourgeois et provincial qui fournissent à chaque scène du roman un décor si approprié. Vous ne pourrez vous empêcher de plaindre et d’aimer la frivole Mme Meissirel, petite « Bovary » marseillaise aux inconsciences et aux grâces de créole, « maman » adorable, mais intermittente, s’occupant de son enfant avec excès quand elle ne le néglige pas tout à fait pour se passionner ailleurs. Vous aimerez et plaindrez aussi son lourd mari, prodigieusement maladroit, timide ou énergique à contre-temps, docile aux suggestions d’une sœur acariâtre et, malgré tout, plein de tendresse, de débonnaire indulgence. Vous ne vous étonnerez pas que le petit garçon prenne d’instinct parti pour sa mère, pour la grande amie enjouée, capricieuse, futile dont il se sent presque l’égal ; et, quand cette mère impulsive aura déserté la maison, vous trouverez non moins naturel qu’il se découvre solidaire de l’humiliation, de l’angoisse paternelles. Toute psychologie exacte paraît, en effet, facile et un peu élémentaire, mais celle-ci est plus compliquée qu’on ne le croirait à première vue et M. Edmond Jaloux en a très fidèlement noté les moindres nuances. La longue veillée du père et de l’enfant, les brefs colloques de ces deux abandonnés ne songeant qu’au retour de l’absente et n’ayant garde d’y faire allusion, leur joie folle, désordonnée lorsque, le lendemain et faute d’avoir trouvé un autre asile, elle vient reprendre sa place auprès d’eux, ont très heureusement inspiré le talent du romancier. De tout cela il a dégagé une sorte de poésie familière, mélancolique, désabusée qui ne manque pas d’un certain charme.
Edmond Jaloux. Le reste est silence… 2,99 euros ou 9.000 ariary ISBN 978-2-37363-084-8