Le dernier jour de l’année est arrivé. Place aux inévitables bilans et autres retours sur soi. Du côté des livres lus cette année, je propose une session de rattrapage, comme au Bac ou à la Fac. Pour rattraper tous ceux qui sont passés à travers les mailles du filet ; par flemme, manque d’envie, manque de temps, manque de goût, ou même sans raison objective. Leur qualité littéraire n’était pas (toujours) en cause, ni le plaisir que j’ai pris à les lire, mais ils n’ont tout simplement pas eu l’heur d’un billet à eux (à quoi ça tient parfois), ces livres qui font leur session de rattrapage ici.
Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai
La trajectoire de notre tragédien national, l’immense Racine, auteur notamment de Titus et Bérénice, est abordée par le prisme d’une histoire d’amour contemporaine (qui n’apporte pas grand chose à la compréhension de la vie et de l’oeuvre de Racine). Orphelin très jeune, « Jean » a été marqué par son éducation à Port-Royal-des-champs, haut lieu du jansénisme du XVIIe siècle. Autant dire qu’il n’a pas eu une enfance flamboyante ; mais pas malheureuse pour autant. Ambitieux, virtuose des mots, de la grammaire et des rimes, Jean décide de faire son chemin dans la société parisienne (la cible étant la cour du Roi Soleil) en rédigeant des pièces de théâtre. Il hésite entre comédie et tragédie, mesure la concurrence redoutable que lui opposent ses illustres aînés, Molière et Corneille, et choque ses contemporains par la manière dont il tord la syntaxe pour transmettre toute la folie incandescente de la passion amoureuse. L’amour est la focale exclusive de ses pièces, et leur principal ressort dramatique ; son inspiration puise dans les lamentations de la reine Didon dans l’Énéide de Virgile. Les femmes se pâment, il recueille d’ailleurs leurs confidences et leurs faveurs. Il connaîtra les affres de l’amour avec la comédienne Duparc. Et finalement, pari réussi, il attire l’attention de Louis XIV, en qui il reconnaît un alter ego.
J’aime le parti pris de romancer la vie d’un écrivain, pour nous le faire découvrir et aimer de l’intérieur (comme le si attachant Robert Desnos de Gaëlle Nohant, dans la Légende d’un dormeur éveillé). Nathalie Azoulai nous propose un portrait finement brossé de Racine, serti de détails psychologiques, pris dans une peinture précise de son milieu. Pourtant, la flamme racinienne n’a pas pris chez moi. Peut-être la froideur (paradoxale) du personnage, imprégnant le récit lui-même, m’a-t-elle laissée de marbre… Mais j’ai profondément goûté les vers de Racine, si beaux, disséminés ça et là.
La daronne, d’Hannelore Cayre
Tout le monde a déjà entendu parler de ce roman noir à la San-Antonio en féminin, d’un franc-parler qui dézingue tout, et d’une originalité rare dans ce milieu tellement codé. Patience Portefeux n’a plus la patience de faire le dos rond devant les mauvais coups du sort. Traductrice de la langue arabe dans les coulisses du palais de justice, quand surgit inopinément une montagne de shit dans la nature, hop elle n’hésite pas, elle fait main basse dessus, et roule ma poule ! Il faut dire qu’elle a un sacré passif familial, entre un défunt père pied-noir rompu à la navigation en eaux troubles, et une mère catastrophique rescapée des camps de la mort et désormais résidente dans un EHPAD hors de prix. L’un dans l’autre, collaboratrice de la justice dans la journée, le soir Patience devient la « daronne » dans le milieu néo-orientaliste des dealers de banlieue.
J’ai lu d’une traite cette pochade serrée comme un café bien corsé, qui raconte à la première personne la trajectoire picaresque d’une bourgeoise pas comme les autres. Rien que son histoire familiale recèle de fabuleux morceaux d’humour noir. Et on a droit à des scènes hilarantes et trépidantes, entre quiproquos, course poursuite avec l’amant policier, dialogues qui claquent comme des punchlines et rapprochement avec une impératrice de la mafia chinoise du 13e arrondissement. Mais une ou deux assertions un peu « peau-de-vache » de la part de la narratrice m’ont parfois chatouillée de manière désagréable, d’autant qu’elles semblent tout droit sorties de l’arsenal de certitudes de l’autrice. M’enfin, devant tant de talent, on s’incline sans discuter !
Claudine à l’école, de Colette
Cela faisait longtemps que j’avais envie de découvrir cette grande dame de la littérature française. C’est vrai quoi, on célèbre – à juste titre – les Jane Austen et les Brontë. Pourquoi pas Colette et Sand, de ce côté-ci de la Manche ? J’ai commencé par l’iconique Claudine à l’école, son premier roman, publié sous le pseudonyme de Willy (le nom de son mari) et qui connut un succès tel en 1901 qu’il engendra de nombreux autres Claudine.
Claudine à l’école, c’est un peu les aventures du petit Nicolas en jupons, gorgé d’hormones pubertaires en ébullition. Claudine a une douzaine d’années, elle est belle, vive, aventureuse, et n’a pas les yeux ni sa langue dans sa poche. Elle connaît tout de la vie sexuelle de ses deux institutrices, et ce qu’elle ne sait pas, elle le subodore. Quelques scènes d’anthologie – comme celle du lubrique inspecteur venu constater la « fissure » dans la chambre de la sous-maîtresse, ou le passage de l’examen du certificat d’études – sont narrées dans une langue à la fois classique, gouailleuse et pleine d’une irrésistible drôlerie. En fait d’école, c’est surtout à celle du libertinage que Claudine et ses camarades ont droit. Mais à force, je l’avoue, ces marivaudages d’écolières à nattes 1900 ont eu raison de moi, et j’ai laissé tomber au derniers tiers…
Vango, de Timothée de Fombelle
C’est une pépite de la littérature jeunesse dont je me suis régalée, plongée dedans comme au temps de ma rêveuse adolescence. Vango est un orphelin de 20 ans qui ne sait pas lui-même d’où il vient, élevé par sa nourrice sur une île éolienne, polyglotte, leste comme un chat et traqué par une puissance mystérieuse. Nous sommes en 1934 et Vango s’apprête à être ordonné prêtre sur le parvis de Notre-Dame de Paris (snif ♥) quand il se voit sur le point d’être arrêté par la police. Il s’échappe alors en escaladant la façade de la cathédrale. Dans sa fuite éperdue à travers l’Europe, il retrouve certains vieux amis, comme Hugo Eckener, la commandant de l’immense dirigeable Graf Zeppelin, ou Ethel, la petite aristocrate écossaise. Mais qui est-il vraiment, et qui est à ses trousses, voilà des questions qu’il s’emploie à résoudre, de la Sicile à l’Allemagne, en passant par New-York et Paris.
Que voilà une belle plume, aussi inventive et romanesque qu’historiquement étayée, au service de la littérature jeunesse ! J’ai adopté un nouvel auteur et compte bien lire la suite sous peu.
Tango, d’Elsa Osorio
De Vango à Tango, il n’y a qu’une lettre de différence, mais un monde les sépare. Tango est un pavé racontant l’histoire de deux familles argentines intimement liées au développement du tango, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Au deux bouts de l’échelle sociale, des danseurs et des musiciens et chanteuses passionnés ont fait vivre et propager cette danse sensuelle au destin exceptionnel, née dans l’obscurité des bordels de Buenos-Aires et parvenue jusqu’au palais du pape – véridique ! – en passant par les thés dansants parisiens. Parallèlement, on est plongés dans le bain bouillant de l’Argentine en pleine période d’immigration. Très vivant mais un peu « tele-novela » comme style, avec en détail kitsch, les ancêtres qui observent la nouvelle génération du haut du paradis des danseurs, sobrement appelé « tango ».
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