C’est le titre du livre, mais il a été choisi après l’écriture. Il dit exactement ce à quoi on assiste en le lisant : Voir venir, ce n’est pas tout à fait regarder, ce n’est pas analyser ou juger ce qui vient ou ceux qui viennent ; c’est le fait même de venir qu’on voit. Le dictionnaire des synonymes Crisco propose trois verbes pour « voir venir » : attendre, s’attendre, deviner ; on pourrait ajouter « pressentir ». Et il y a un sous-titre à ce livre : Écrire l’hospitalité. Il ne s’agit donc pas d’être passif mais d’accueillir.
C’est un dialogue d’une sorte particulière : Marie Cosnay, écrivaine, et Mathieu Potte-Bonneville, philosophe, écrivent sur un « fichier partagé ». C’est plus qu’une correspondance où l’un répondrait à l’autre et réciproquement. C’est un texte en cours d’écriture, c’est simplement écrire avec l’autre. Chaque fois que l’une ou l’autre écrit, elle ou il précise le lieu, l’heure, le temps qu’il fait, l’urgence. Et les deux nous invitent donc à accompagner leurs réflexions concrètement, dans l’action même.
Parce que Marie et Mathieu sont tous deux, l’une au Pays basque (à la frontière entre l’Espagne et la France), l’autre à Paris (près de la Porte de la Chapelle), engagés dans les réseaux d’accueil des personnes venues de nombreux pays et traversant, séjournant , survivant et souffrant dans ces lieux.
Leurs propos évoquent, bien sûr, des situations concrètes, et ils s’interrogent sur le provisoire, sur tout ce qui lie leur parole à la pensée de l’avenir, citant parfois Derrida ou Foucault, revenant aussi à Ovide, Virgile, Jack London, ou Michaux. C’est qu’à travers leur action, leur quotidien, ils rencontrent la question du récit : « il y a toujours plus d’une histoire », et celles et ceux qui arrivent, après avoir subi les ruptures et les épreuves qu’on ne sait pas, doivent raconter, dans une langue nouvelle, d’où ils et elles viennent et pourquoi. Et quand il s’agit de mineurs, c’est encore plus difficile.
Comment écrire alors ? Nourris des histoires d’avant, attentifs à celles du présent : « Écrire, c’est prévenir ».
Et moi, lecteur, j’avance avec eux deux, avec leurs tentatives, leurs hésitations (faire un plan ? trouver un titre). Et voici que le « je » des auteurs n’est plus le même à dernière page qu’au début. Il est encore plus singulier, chamarré de celles et ceux qui sont venus dans ce texte.
« Cette épopée est humble et elle est des grands espaces. »