L’Afrique Subsaharienne doit -elle opter pour une politique protectionniste ou un système de libre échange ?

Publié le 30 décembre 2019 par Infoguerre

L’activité économique en Afrique subsaharienne croît plus lentement que la population. Cette machine infernale qui est la démographie aggravera la pauvreté dans une région qui abrite plus de la moitié des 800 millions de personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, soit le seuil d’extrême pauvreté. Malgré l’ouverture de son économie et l’explosion des échanges avec la Chine et plusieurs pays, l’Afrique subsaharienne est la seule région du globe à avoir vu le nombre de personnes en extrême pauvreté augmenter depuis 1990. De nos jours il est primordial qu’elle s’engage dans une croissance économique effective et rapide.

Cette économie avec plus de 70% des biens et services importés, parviennent à être moins chers que les biens et services fabriqués au niveau national, car dans un environnement libéralisé comme celui-ci, les producteurs locaux se heurtent frontalement à la concurrence d’acteurs internationaux établis. Dans de nombreuses filières, industrielles ou agricoles, les acteurs locaux ne peuvent rivaliser, à cause de leurs capacités limitées et de l’absence d’un écosystème de production robuste (fournisseurs d’intrants, acteurs logistiques, moyens de financement, etc.). Dans ce cas précis, la pratique du libre-échange peut être à l’origine d’une destruction massive d’emplois et une balance commerciale déficitaire qui pourront alourdir la destruction de ce cette économie.

Le libre-échange, un frein pour les industries africaines ?

Cependant ce libre-échangisme des pays occidentaux a participé à la prédation de l’Afrique. Le continent doit donc partir d’un nouveau paradigme pour espérer faire fructifier son économie(I) Pour l’Afrique, l’urgence est donc plus que jamais de signaler au monde capitaliste qu’elle n’est pas une marchandise et qu’elle doit compter sur sa production, sa main d’œuvre, ses ressources afin de succomber à une grande partie de la demande territoriale dans le double but de lutter contre les migrations et de participer au développement industriel du continent(II). Une certaine dose de protectionnisme pourrait dès lors aider les pays africains à solidifier leur économie à l’abri de la concurrence étrangère. Un schéma pas si simple mais qui est nécessaire afin de pouvoir protéger les industries naissantes. La protection de ces industries est un élément primordial pour une économie car elle engendrera sans doute des effets positifs. En effet pour permettre cela il faut mettre en place des stratégies de mutualisations des efforts et des coûts, à travers le renforcement de l’intégration économique.

Cela permettra un l’élargissement des débouchés afin de mieux profiter des économies d’échelles dans le sens où un plus grand marché permet aux entreprises africaines d’amortir leurs charges sur un volume de production plus important, faisant ainsi baisser leurs coûts unitaires et améliorer leur compétitivité. De plus, l’intégration économique renforce les pouvoirs des pays africains lors des négociations d’accords commerciaux.

Un protectionnisme équilibré, une carte à jouer pour l’Afrique.

Mais ce protectionnisme doit être intelligent et finement calibré, afin d’éviter que les mesures prises ne finissent par pénaliser les filières concernées et les populations.

C’est à dire que les mesures protectionnistes doivent être accompagnées de politiques sectorielles pour stimuler la production locale mais aussi elles doivent être planifiées et comprises par les acteurs. Cette politique a déjà été mis en œuvre dans plusieurs pays africains est a connu une réussite incroyable. C’est le cas du Nigeria qui a mis en place des barrières douanières sur le riz mais a dû rectifier sa politique fiscale en 2014 pour inciter à l’investissement dans la filière, permettant une production record de 3 millions de tonnes en 2016 (contre 1,9 million en 2013). Cette politique d’incitation continue de porter ses fruits : le groupe Dangote a annoncé en 2017 un investissement d’un milliard de dollars (environ 890 millions d’euros) dans la filière rizicole.

Dans la pratique, de telles mesures fonctionnent : la filière oignon au Sénégal, comme la filière de transformation du bois au Gabon et celle du ciment au Nigeria. Sept ans après l’interdiction d’exportation de grumes du Gabon, ce secteur est devenu l’un des fers de lance de la diversification du pays (première et deuxième transformations du bois, fabrication de meubles), sa contribution au PIB ayant doublé entre 2010 et 2015, accompagnée de la création de plus de 5 000 emplois(III)

Au Nigeria, l’interdiction de l’importation de ciment au début des années 2000 a permis au pays de devenir autosuffisant et au groupe Dangote d’être l’un des fleurons de l’industrie en Afrique. Au niveau des services, force est de constater que cela fonctionne aussi avec l’énorme essor du groupe MTN dans les télécoms, Attijariwafa Bank, Ethiopian Airlines.

Cependant ces mesures doivent être temporaires, afin d’éviter leur confiscation par des groupes d’intérêts agissant dans une logique de rente et pour ne pas aboutir à un renchérissement des produits aux dépens des populations les plus pauvres. En effet, une fois mis en place, les barrières protectionnistes seront défendues par « des groupes d’intérêts ‘’qui souhaiteront conserver leur pré. Pour ce qui concerne le cas des secteurs industriels, ces mesures ne peuvent fonctionner que si elles sont coordonnées à l’échelle régionale, voire continentale. Même s’il est nécessaire de protéger les acteurs locaux, cela ne doit pas se faire au détriment du développement des voisins car la majorité des pays africains n’ont pas la taille critique leur permettant de faire décoller leur industrie sans échanges commerciaux avec les pays frontaliers.

Plus qu’un argument de rejet de la mondialisation dans ces pays, c’est surtout une question stratégique pour faire monter en puissance les entreprises africaines car s’ils veulent vraiment une croissance mondiale partagée par tous, alors il faut créer la possibilité de se protéger.

L’intervention de la ZLEC

C’est ainsi que l’intervention de la fameuse Zone de Libre-Echange Continentale africaine(ZLEC) devient décisive en mettant en place des instruments favorables aux continent afin de permettre la réussite de cette zone. Ce succès dépendra beaucoup de l’élimination d’obstacles dits « non tarifaires », auxquels la ZLEC entend s’atteler, tels que la corruption, la piètre qualité des infrastructures, les pratiques anormales. La ZLEC cherche aussi à jouer sur la spécialisation régionale, et à relever les défis logistiques

Finalement si les gouvernements africains responsables appliquent les principes d’un protectionnisme intelligent à travers une  ZLEC aussi efficace que l’on puisse espérer, il n’est pas interdit de penser que d’ici quelques décennies l’Afrique pourra enfin atteindre un niveau suffisant d’autonomie stratégique de développement pour s’inspirer du mode de développement de certains pays asiatiques.  qui grâce à leurs stratégies et plusieurs normes de protectionnisme ont pu créer des entreprises performantes  qui leur a ainsi permis de bâtir leur expansion économique sur de fortes exportations couplées à de drastiques restrictions sur les importations pour protéger leur marché intérieur.

Jaber Ali

Notes et références.

 

I-Entretien sur France 24 avec l’ancien ministre Togolais Kako Nabukpo sur son dernier livre ’’L’urgence Africaine ‘’.

II-Le Monde Afrique : « La zone de libre-échange africaine ne doit pas être une simple arène pour multinationales’ » publiée le 02 Juin 2019 par Thierry Amougou.

III-Tribune : « pour un protectionnisme intelligent en Afrique », publiée le 15 décembre 2017 par Jeune Afrique.

IV- « La Zlec est-elle vraiment une chance pour l’Afrique ? » publié le 06-07-2019 sur RFI Afrique par Jean-Joseph Boillot.

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