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Bret Easton Ellis : White

Par Gangoueus @lareus
J’ai pris du temps à lire le dernier ouvrage de Bret Easton Ellis. White. J’ai aussi pris du temps pour écrire cette chronique. Faute de temps. C’est la fin de l’année. Le temps passe. Il y a déjà près de vingt ans que je n’avais pas lu l’écrivain américain. Le fameux American Psycho, son troisième roman. 
Bret Easton Ellis : White
Bret Easton Ellis est un auteur peu prolixe. Sept oeuvres publiés en trente quatre ans de production littéraire depuis Moins que zéro. Avec White, BEE explique son univers de création, la raison de la fréquence relâchée de ses publications et le fait qu’il fasse peu de compromis avec son éditeur sur ces questions. J’ai lu quelque part que White était un essai. Pas du tout. Au mieux, je pense, c’est un récit où l’écrivain nous propose des analyses plus ou moins objectives sur des sujets de société. Au pire une autofiction. Je reviendrai dessus. Mais c’est avant tout une aventure dans l’intimité et l’univers de l’écrivain. Avant de voir l’auteur déployé sa colère, sa frustration sur le climat actuel qui règne parmi les élites « bienpensantes » américaines. Du moins c’est son regard.

Bret Easton Ellis

Je connaissais American Psycho, roman emblématique des années Reagan. Il fait partie de ces textes dont il vous reste l’esprit, dont vous vous souvenez du personnage principal. Patrick Bateman. Mais American Psycho est un peu comme Le Rouge et le Noir de Stendhal pour moi. On n’a pas forcément envie de lire d’autres ouvrages de ce type d’auteur, parce que la rencontre initiale vous semble suffisante. Je ne m’intéresse pas à la vie privée de ces auteurs. Dans White, Bret Easton Ellis met en avant sa vie personnelle sans aucun masque. Du moins, c’est ce qu’il laisse paraître. On le découvre à Los Angeles où il a grandi. Il anime un podcast très célèbre dans lequel il échange avec des artistes d’Hollywood, il commente des films. Anciennes stars, artistes oubliés, producteurs, l’écrivain donne la parole à ce monde depuis de 2013. Et le portrait qu’il fait de ce monde est engageant. Superficiel. En représentation. Dans l’incapacité de délivrer une opinion propre, et surtout clivante. Parce que le comédien est un séducteur qui peut toujours avoir une seconde chance, même quand il a été oublié depuis belle lurette. Cette approche constitue une auto-censure qui va être un axe de la critique de Bret Easton Ellis dans cet ouvrage. L’auteur tient donc un podcast influent et surtout, il s’exprime assez librement sur Twitter sur n’importe quel sujet, souvent dans des postures peu conformistes. Extrait à venir.

Création. Hollywood. Bret Easton Ellis

Toujours dans ces chapitres qui introduisent le lecteur aux mots d’Ellis, le romancier raconte son adolescence de blanc « privilégié » issu de la middle class aisée de L.A. On découvre qu’une certaine forme de cinéma a forgé son imaginaire. Films d’horreur. Il nous parle de films tels qu’on n’en fait plus aujourd’hui. Ce que j’ai remarqué, c’est que j’étais à l’aise avec ses descriptions, les références abordées ne m’étant pas inconnues. Dans cette phase, BEE se positionne un peu en critique de cinéma, prenant le soin d’analyser certains films qui l’ont réellement marqués. L’analyse du film American Gigolo est particulièrement délicieuse. Produisant l’effet d’une très bonne critique, le désir de revoir l’oeuvre en question. American Gigolo, American Psycho. En y réfléchissant, je crois comprendre l’interêt de Bret Easton Elis pour le cinéma et sa critique. Il a été profondément frustré par l’adaptation de son premier ouvrage Moins que zéro au cinéma. Dénaturée. Celle d’American Psycho semble avoir mieux satisfait les attentes du créateur qu’il est. Difficile de juger. Je n’ai pas vu ce film dont le rôle de Patrick Bateman est interprété par Christian Bale. 

La fabrique d’une oeuvre

Il nous donne plusieurs clés de fabrique et de lecture de son roman American Psycho. Et j’avoue qu’en tant que lecteur, c’est vraiment passionnant. Au-delà de Moins que zéro et American Psycho. Les autres ouvrages ne sont pas de Bret Easton Ellis ne sont pas abordés. Une bonne raison est le motif de sa rogne. Le politiquement correct qui norme les rapports dans les milieux qu’il fréquente. Que ce soit avec son amant appartenant à la génération qu'il traite de dégonflés. Que ce soit avec les élites californiennes, il fustige l’impossibilité de s’exprimer librement sur certains sujets dans l’Amérique de Trump. Donald Trump. Bret Easton Ellis raconte certains aspects de l’écriture d’American Psycho. La fascination que Donald Trump exerçait sur son personnage Patrick Bateman dans l’Amérique de Reagan. Bateman, le golden boy psychopathe. Il nous donne la date et les ingrédients qui ont nourri  son inspiration : des éléments relatifs à sa vie quand il s’est installé à Manhattan. Les rencontres. Les influences. Les golden boys. Tom Cruise. Cette phase du texte est passionnante car je trouve très riche le fait d’écrire sur la fabrique d’un texte ou encore sur la perception d’un auteur sur la réception de son travail. Et corriger certains avis le concernant. J’imagine qu’en tant que chroniqueur de podcast, l’exercice de l’auto-interview est plus simple. D’une certaine manière Bateman est Ellis. Ce qui pourrait expliquer sa volonté à ne pas se positionner au sujet de l'actuel président américain.

Moonlight, Barry Jenkins, Kathryn Bigelow, Trump et Kanye West

Si Bret Easton Ellis prend tant de temps pour se situer, c’est pour mieux justifier son point de vue de «  blanc privilégié » . Cet article décrit l’approche d’un écrivain américain dans le contexte de sa société. Sans langue de bois, il se définit comme un Blanc privilégié. C’est un fait. Et il entend préserver sa liberté de s’exprimer. Liberté de dire que Moonlight ne méritait pas l’oscar du meilleur film, que Barry Jenkins n’avait pas toute la légitimité pour traiter la question de l’homosexualité ou de la sensibilité du personnage principal de Moonlight, qu’il y avait de bien meilleurs films sur le sujet. C'est aussi la liberté de dire que #Blacklivesmatter est un mouvement qui n’est porté par aucune esthétique. La liberté de dire de fustiger les discours de victimisation que l’on retrouverait dans de tels projets, comme lorsqu’il s’attaque à Kathryn Bigelow (Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur 2010 pour Démineurs). S’il reconnaît que la réalisatrice a produit de très bons films sur des thèmes où les femmes étaient peu présentes en termes de réalisation, il souligne que des hommes ont fait mieux sur la même période et que c’est avant tout à son genre qu’elle devrait sa récompense. Une sorte d’affirmative action qu’il abhorre de tout son être. L’art ne saurait s’accommoder de tels raccourcis. Idem, quand ses relations démocrates poussent des cris d’orfraie aux moindres dérapages de Donald Trump, excluent toute forme de non dénonciation du caractère farfelu du mandat du président milliardaire. Certains disent que Bret Easton Ellis est trop long dans cet ouvrage, mais c'est avant tout pour justifier cette posture, cet agacement, cette colère. Il prétend n’avoir pas voté Trump. Mais il ne comprend pas le non-respect du choix de millions d’électeurs américains. Pour un homme tenant un podcast et se lâchant régulièrement sur des réseaux sociaux comme Twitter, le retour de bâtons de ses « amis » n’est pas à son goût. D’ailleurs, et cela me semble assez cocasse, il n’hésite  pas à décrire les postures « convenus » de son partenaire beaucoup plus jeune que lui, mais d’un conformisme effarant. Vivre avec un écrivain, ça doit être quelque chose.
Bret Easton Ellis : White

Victimisation

Le problème de ce texte, c’est l’absence d’empathie, l’affirmation égocentrique d’une liberté de dire, de s’exprimer qui certes peut paraître légitime pour le libéral qu’est Bret Easton Ellis. Mais l’incapacité de sortir de ce moi qui domine American Psycho. La question de l’esthétique du hashtag #blacklivesmatter est de ce point de vue assez révélatrice. Il ne l’aborde que sur le plan artistique. Mais, peut-être faut-il rappeler que ce mouvement concerne beaucoup les violences policières dont les noirs font l’objet de manière systémique. L’opposition de BLM (1) à la forme du BPP (2) des années 70 dont les codes ont été récupérés a quelque chose de déplacer, d’indécent. Il a peu de mots pour analyser ce qui produit, ce qui nourrit ce type de discours sur les réseaux sociaux Il dénonce juste la victimisation. Il reproche l’inélégance de celle-ci. Billie Holliday était meilleure quand dans son blues, elle chantait Strange fruit. En lisant, Bret Easton Ellis j’ai eu le sentiment que l’esthétique ne trouve point d’écoute, d’attention chez celui qui entend préservé son avantage dans un système dont les dés sont pipés. Victimisation est donc le maître mot qui sclérose la société américaine. il confirme chez moi aussi le fait que si la finalité de l’art, c’est l’art, il ne sert absolument à rien... 
«White», de Bret Easton Ellis traduit par Pierre Guglielmina, aux Editions Robert Laffont

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