Les fins d’années sont toujours propices aux bilans et rétrospectives. Et si nous reparlions un peu de la diffusion internationale des plasticiens de la Caraïbe ? Quelles sont les expositions marquantes en 2019 ? Quel impact ont – elles eu sur la reconnaissance internationale et l’insertion dans le marché de l’art des artistes ?
De juin 2019 à Juillet 2020, The Other of Now : Foresight in Contemporary Caribbean Art au Perez Art Miami museum est une exposition collective thématique centrée sur la question « À quoi pourrait ressembler un avenir caribéen? ». The Other Side of Now présente quatorze artistes qui imaginent l’avenir à travers des expériences personnelles, des souvenirs collectifs et des legs historiques. Les peintures, les installations, les vidéos et les sculptures illustrent les idées de survie, de communauté, d’acceptation de soi, d’environnement.
Le Perez Art Miami museum a emménagé en 2013 dans un tout nouveau bâtiment ultra-design installé sur la baie et s’inscrit directement dans la politique d’urbanisation de la ville qui vise à dynamiser le quartier de Downtown. Le musée a été baptisé » The Pérez Art Museum Miami » du nom de Jorge M. Pérez, grand collectionneur d’art latino-américain qui a financé le projet à hauteur de 35 millions de dollars. Ce nouvel espace muséal a succédé en 1997 au Center for Fine Arts, lui-même fondé en 1984. Il se positionne très nettement comme spécialiste de l’art contemporain latino – américain et caribéen.
En 2017 et 2018, Relationnal undercurrents, Contemporary Art of the Caribbean Archipelago, a été inaugurée en septembre 2017 au MOLAA – Musée de l’Art Latino-américain, Long Beach, Californie. Cette exposition itinérante a été présentée ensuite à New-York, Miami, à Portland (Maine) et dans le Delaware. Quatre – vingt plasticiens proposent une lecture de la Caraïbe, une région complexe à définir. Elle est structurée en quatre sections, Conceptual Mappings. (Configurations conceptuelles), Perpetual Horizons. (Horizons perpétuels), Landscape Ecologies. (Ecologies et paysages), Representational Acts. (Actes représentatifs) développe une approche archipélique de l’art contemporain caribéen autour des relations sous-jacentes au sein de la Caraïbe insulaire.
Lors du séminaire sur l’art contemporain de la Caraïbe organisé en 2008 à la Fondation Clément en partenariat avec l’Aica Caraïbe du Sud, l’AMCA et la DRAC Martinique, Philippe Régnier, alors directeur de la rédaction du Quotidien de l’art, et depuis 2018, fondateur et directeur de Art Newspaper France avait clairement affirmé que la Caraïbe restait une terra incognita en matière d’art contemporain et ne figurait pas dans la liste des pays émergents aux côtés de l’Afrique sub-saharienne, le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, les Philippines, l’Inde par exemple.
Douze ans plus tard, c’est encore vrai. Il suffit de consulter sur le site d’Artprice la liste des artistes de la Caraïbe actifs dans les ventes aux enchères.
C’est que seul un faisceau d’actions conjuguées, expositions dans d’importants musées, ventes aux enchères, acquisitions par un collectionneur médiatique ou par un musée , participation aux biennales internationales majeures, publication d’ouvrages critiques favorisent l’accès au graal de la reconnaissance internationale. Mais la Caraïbe n’a pas encore atteint cette reconnaissance.
Certes des plasticiens ont certes franchi le cap individuellement, Lam, Télémaque, Allora et Calzadilla par exemple.
Cependant, il y a de plus en plus d’expositions dédiées à la Caraïbe , d’intérêt inégal en fonction de la renommée des espaces qui les accueillent mais surtout isolées donc incapables jusqu’alors de déclencher une entrée significative des artistes de la Caraïbe sur le marché.
Il est aussi peut – être légitime de s’interroger, en paraphrasant la question provocatrice de Peter Mark sur l’art africain, sur l’existence d’un art de la Caraïbe. Le titre d’un article de Peter Mark publié dans la revue Outre-Mers, Revue d’histoire, en 1998 interroge : Est-ce que l’art africain existe ?
Ce à quoi Simon Njami répond : « Qu’il y ait des artistes africains, oui. Qu’il y ait un art africain, non. Tous ceux qui sont dans une espèce d’essentialité, dans une espèce de nature première se fourrent le doigt dans l’œil ».
Il y a certes des artistes caribéens, mais peut – on parler pour autant d’art caribéen ?
Ces expressions, art africain et art caribéen, renvoient à une production artistique diverse, issue d’une aire géographique, dans les deux cas fragmentée et hétérogène et non pas, comme l’Expressionnisme abstrait américain ou le Nouveau réalisme par exemple, à une création plastique inscrite dans un lieu et une temporalité et dont on peut inventorier les caractéristiques. L’expressionisme abstrait et le Nouveau Réalisme sont des mouvements artistiques. L’art caribéen et l’art africain sont des étiquettes journalistiques commodes même si la réalité est bien plus complexe.
Quoi qu’il en soit, pourquoi ne pas suivre les différentes expositions qui jalonnent la tentative d’émergence de l’art produit dans la Caraïbe et qui sont autant de petits cailloux blancs sur le chemin de la reconnaissance. C’est déjà inscrire les prémisses d’une histoire de l’art de la Caraïbe. C’est connaître et mieux comprendre le contexte artistique caribéen.
Parmi les toutes premières expositions centrées sur l’archipel, on peut citer Arte del golfo caribe aux USA en 1956, Caribbean art now au Royaume – Uni, La Otra historia en 1989, Vida y color aux Pays Bas en 1989, Arte Americano cambio de foco en Colombie en 1991.
La dynamique caribéenne a jailli dans l’archipel même, plus de quinze ans après la pionnière Biennale de la Havane (1984). A partir de 1984, la Biennale de la Havane a été la première et longtemps la seule à promouvoir les arts du Tiers Monde en conviant critiques et professionnels du monde entier à la manifestation, ce qui a généré l’émergence d’un réseau et de nouveaux projets. Ainsi Hamdi El Hattar, initiateur du projet Karibische Kunst Heute présenté à Kassel en 1994, assistait à la Biennale de la Havane en 1989.
Dès le début des années 90 (Gala di arte Curaçao 1990, Carib art Curaçao 1992, Biennale de peinture de la Caraïbe et de l’Amérique centrale, République dominicaine 1992) ont vu le jour. Le cinq – centième anniversaire du choc des deux mondes en a sans doute été le détonateur.
La diffusion de l’art contemporain de la Caraïbe de la décennie 2000 diffère profondément de celle de la décennie 90. La Caraïbe commence à être un peu plus présente dans les musées américains ou européens. Précédées de peu par l’exposition du Museo extremeño e ibericano de arte contemporáneo de Badajoz et de la Casa de America de Madrid, Caribe insular : exclusión, fragmentación y paraíso (1998), plusieurs autres manifestations d’envergure internationale ont promu l’art contemporain de l’arc antillais tout au long de la première décennie du vingt et unième siècle, à la fois dans des structures muséales renommées (Brooklyn museum, Tate Liverpool, Art museum of Americas),dans des capitales de l’art (New – York , Liverpool, Paris , Washington) ainsi que dans des centres d’art confirmés à Hartford (Rockstone & Botheel) et Miami (The Global Caribbean), aux Iles Canaries et dans la Caraïbe (Horizons insulaires ).
En 2012, on compte deux expositions consacrées à la Caraïbe: Who are more Sy-Fy than us au Kade Kunsthal d’Amersfoort aux Pays Bas et Caribbean Crossroad of the world dans trois musées de New – York. Plusieurs années après Caribbean crossroad of the world, Relationnal Undercurrents en 2017 puis The other side of now en 2019 analysent de nouvelles facettes de l’art produit dans la Caraïbe.
D’une décennie à l’autre, chaque fois que l’on est passé d’une sélection strictement nationale à une pratique curatoriale fondée sur des critères thématiques ou artistiques, l’image de la Caraïbe s’en est trouvée renforcée et plus cohérente. C’est manifestement le pas franchi entre les premières biennales de peinture et la Triennale de République dominicaine de 2010, entre les premières participations des pays de la Caraïbe aux Biennales de Saó Paulo en 1994 et 1996 et l’exposition de groupe au sein de cette même biennale, La Caraïbe : une histoire en noir et blanc de 1998. Infinite Island ou Rockstone & Botheel mettent l’accent sur les œuvres elles – même plus que sur la représentativité nationale, sur une production artistique de la Caraïbe et non plus de chacune des îles de la Caraïbe.
Si les années 80 et 90 consacrent plutôt le boom latino américain, par exemple, en 1987, Arte fantastico-latino americano à Indianapolis avec Wifredo Lam (Cuba) , José Bedia (Cuba) et Arnaldo Roche ( Porto Rico), les manifestations suivantes insistent sur les références à l’Afrique à travers les mythologies – afro-caribéennes ou sur son réalisme merveilleux tel que l’a défini Gabriel Garcia Marquez.
Par la suite les curators s’intéresseront à la fragmentation et à l’isolement de la Caraïbe ou au contraire à ses liaisons sous-jacentes. Ou à sa position de carrefour et de point de rencontre. Ou encore à son étrangeté ou son futur fragile.
Quel regard sur la Caraïbe porteront les expositions à venir ces prochaines années ?