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L'abandon

Publié le 25 décembre 2019 par Anargala
L'abandon


Prendre conscience de la conscience peut ne prendre qu'un instant.

La conscience étant toute d'une pièce, simple et sans devant ni derrière, elle peut se connaître tout d'une pièce. Elle demeure alors toute muette, ses énergies unifiées, dans un silence absolu, dans une vision de transparence
parfaitement limpide. 
Pourvu que l'intellect soit en état et que l'attention soit un peu maîtrisée, cela est accessible à tous en peu de temps et d'un seul tenant.

En revanche, s'abandonner à ce silence, sans plus chercher délibérément quoi que ce soit de plus, cela est bien plus difficile et progressif. 

En fait, comme cet abandon touche à toutes les strates 
innombrables de l'âme, le progrès est potentiellement sans fin. Il y a aura toujours, au fond de ma
mémoire, quelque noeud à défaire, quelque résistance à dissoudre. 

Voilà pourquoi ce qu'en Inde on appelle la dévotion (bhakti), littéralement "la participation", ou l'amour, le fait de "se donner à", est indispensable. Sans cela, l'éveil passe comme une giboulée.

Sans parler du fait que, sans dévotion, la compréhension elle-même ne peut être que superficielle. L'expérience directe de la conscience par elle-même ne suffit pas. Encore faut-il apprécier, reconnaître et comprendre l'expérience et ses implications. Il faut un cadre qui relie cette expérience au reste de la vie. C'est comme pour n'importe quel choc : il faut du temps "pour réaliser".
Sans cela, sans cette structure intellectuelle, l'expérience à elle seule sera finalement conçue comme une expérience passagère, fut-elle "puissante et au-delà des concepts", et non comme l'éveil de la conscience.
Cette structure, cette philosophie, peut-être simple. 
Elle est vouée à être incomplète et en évolution, certes.
Peut importe : elle comporte quand même des vérités certaines et donc assez stables pour stabiliser l'expérience en lui conférant un sens.

Voilà pourquoi l'enseignement traditionnel invite à la dévotion. 

Ainsi Ardjouna, à la fin de l'enseignement de Krishna, affirma qu'il agira selon l'enseignement de Krishna :
naṣṭo mohaḥ smṛtir labdhā tvatprasādān mayācyuta /
sthito 'smi gatasaṃdehaḥ kariṣye vacanaṃ tava // 18, 73
"Mon égarement a disparu, 
j'ai retrouvé la présence,
grâce à toi, l'Impérissable !
Je n'ai plus de doutes :
j'agirai selon ta parole."

"La présence" (smriti), la présence d'esprit, la mémoire. Sans mémoire, l'action juste est impossible. 

Quoi qu'il en soit, Ardjouna affirme qu'il n'a pas seulement "compris", mais encore qu'il est persuadé, de tout son être (sarva-bhâvena) et prêt à conformer sa volonté à ce qu'il a entendu. De même, le Chant de la vibration (Spanda-kârikâ), il ne suffit pas de reconnaître sur le vif la "vibration" qu'est la conscience universelle. Encore faut-il s'y abandonner, se laisser guider par elle :
yām avasthāṃ samālambya yad ayam mama vakṣyati /
tadavaśyaṃ kariṣye 'ham iti saṃkalpya tiṣṭhati // 1, 23
S'en remettant à cet état [de vibration],
on se résout à ceci et on s'y tient :
'je ferai tout ce qu'elle me dit !'"

Tout se passe donc comme si il devait y avoir une sorte de relation personnelle à la conscience universelle, même si c'est la conscience elle-même qui se reconnaît ainsi, au-delà de toute identification à un individu.

Le Chant de la vibration évoque "ce que me dit" la Vibration, la conscience. Il y a donc là une relation, une question muette et une réponse coite. Silencieuse, sans discours, mais éloquente. Il y a une écoute et une orientation, une disponibilité à une action intérieure, 
une inaction intense. Et tout ceci se passe dans la plus absolue liberté. Je suis invité, mais c'est tout librement que moi, conscience universelle qui joue à se prendre pour un individu, j'accepte cette invitation, cet appel, ce discours intuitif, sans mots ni images. C'est même, peut-être, la seule véritable liberté de l'individu : accepter ou refuser
de se mettre à l'école de la conscience universelle, à l'écoute de la conscience, de ce mystérieux saisissement
qui me prend quand je me réveille.

Récapitulons :

- la dimension cognitive de l'éveil est facile et instantanée ; la dimension affective de l'éveil est difficile et progressive.

- la théorie et la pratique doivent dialoguer, sinon c'est l'impasse. Il faut les deux.
- Il y a une relation à la conscience universelle, même si elle est, au sens final, le seul "Moi", plus moi que moi.

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