(Note de lecture) Il n'y a que la vie, de Daniel Biga, par Jacques Morin

Par Florence Trocmé

C’est une anthologie des poèmes de Daniel Biga entre 1962 et 2017. Plus d’un demi-siècle de poésie, où l’auteur fut toujours présent par de multiples recueils publiés chez de nombreux éditeurs (le Cherche-Midi, Tarabuste, l’Amourier, Cadex, le dé bleu, Unes, Gros textes et le Castor astral, pour ne citer que les plus fréquents...). Ce qu’on peut retenir au bout de la lecture de ces deux cents pages bien tassées, c’est que Daniel Biga a commencé son parcours poétique en provoquant un vacarme retentissant avec ses premières œuvres : Oiseaux mohicans et Kilroy was here ! surtout. Une entrée fracassante en poésie, saluée unanimement : il fut considéré comme le poète français de le beat generation ! Et cette renommée initiale brutale lui a sans doute nui après coup, dans le sens où l’on n’a jamais vraiment reconnu à sa juste valeur le restant essentiel de son œuvre. Or, et c’est le grand intérêt de ce livre, pouvoir tout reprendre, et pouvoir lire réunis ensemble ses poèmes montre à quel point son écriture est diverse et originale. Le poète en effet joue aussi bien des mots que des langages. Voici ce qu’il dit en écho à une critique d’un de ses auteurs préférés :
Pas la moindre séparation entre la vie et l’œuvre, pas un interstice, pas l’épaisseur d’un ongle. La rare présence d’un juste m’émeut toujours
Ce commentaire lui va comme un gant. Et en définitive, le mot « juste » le qualifie parfaitement lui-même. Dès le début, il parle de lui avec une lucidité et une humilité confondantes :
nous durerons
sans grande convenance sans grand amour
par simple simplicité et pour arranger les choses…

Il écrit un peu plus loin ce même constat désabusé :
La vie est longue et indécise
les années entrent les unes dans les autres
s’amoncellent confondues
Moi le Monde s’en fout…
Une de ses originalités les plus flagrantes aura été d’écrire sur le sexe sans aucune gêne ni la moindre pudeur
là où partout le désir me prenait, raidissant la baguette magique au bout du ventre…
et rappeler qu’homme certes, il se sait également bête :
Combien je me sens-là animal !
En outre, en tant qu’homme, devant indiquer pour les impôts sa profession, il note :
qu’inscrirai-je ? clochard, ermite ? poète ? cultivateur économiquement très faible ? vagabond ? contemplateur d’étoiles ?...
Et ce faisant, il résume à grands traits son existence entre Nice et Nantes… Daniel Biga a multiplié les angles d’attaque de son écriture dans chaque nouveau livre qu’il a publié. Poèmes en prose, par page ou paragraphe, poèmes en vers, courts, longs, avec titre, au début, à la fin, ou sans… Sa poésie n’a jamais adopté la même forme, ce qui fait montre de sa part d’une grande inventivité et d’une imagination foisonnante dans les sujets, même si le trait d’union de cette œuvre polymorphe demeure le poète et l’homme Daniel Biga. Et ainsi qu’il l’écrit lui-même, on peut le saluer à sa façon:
Hommage aux pêcheurs sans ligne
Le titre général enfin donne bien la mesure de l’enjeu du poète vieillissant qui retiendra de toute son expérience heureuse ou malheureuse la nécessité et la valeur du combustible humain dans une joyeuse vitalité infinie ou presque.
Jacques Morin

Daniel Biga, Il n’y a que la vie, Le Castor Astral, 2019, 264 p., 18€
Extraits :
beaucoup de poètes semble-t-il exorcisent
leurs démons - et leurs anges - dans l'écriture
moi mes démons collent à ma vie
(et c'est sans doute pour cela que j'avais cru les éliminer
par la voie du silence ne célébrant plus que l’œuvre des louanges)
mais voilà qu'ils m'ont réenvahi
démons et pourceaux cohortes et troupeaux
les voilà qui m'encerclent me pressent m'étouffent ...
pourtant je crie pour toujours
   j'affirme:
   IL N'Y A QUE LA VIE
p. 124
même des maquereaux en boîte
plus d’une fois
m’ont sauvé du désespoir
p. 163