Décidément, les Fêtes de fin d'année ne sont plus ce qu'elles étaient ! Outre que l'aspect commercial s'est substitué à toute autre considération - mais ceci est déjà un lieu commun depuis longtemps -, on assiste paradoxalement à une quasi-disparition de la féerie de Noël dans les entreprises. Même au sommet de l'État, la magie (de Noël) n'est invoquée que lorsqu'il s'agit d'appeler les grévistes de la SNCF à reprendre le travail. Tout cela n'est au fond que l'aboutissement des incantations néolibérales du gouvernement, qui ont conduit le pays à s'enfoncer dans une crise sociale et politique majeure, dont le mouvement des gilets jaunes n'est peut-être que la face émergée de l'iceberg néolibéral européen...
L'austérité salariale érigée comme programme
Dans ce billet, j'avais montré que depuis deux décennies, le partage des revenus au sein de la zone euro se déforme structurellement en faveur des entreprises et donc au détriment des salariés :
[ Source : Natixis ]
C'est le résultat de politiques économiques exclusivement axées sur l'offre qui, au nom de la compétitivité des entreprises, ont feint d'oublier que le salarié était avant tout un être humain vivant en société et soucieux d'avoir une existence digne (absence de précarité salariale, filet de Sécurité sociale...). Au surplus, la concurrence entre entreprises et entre pays fut érigée en principe cardinal au sein de l'UE, pour le pire et rarement le meilleur... En effet, outre que la notion même de marché du travail est contestée par de nombreux économistes à la suite de Keynes, j'ai montré dans ce billet que c'est l'hétérogénéité qui domine en la matière au sein de la zone euro et que celle-ci charrie des catastrophes humaines et sociales.
Actuellement, on sent monter un peu partout en Europe (et dans le monde...) l'envie de rééquilibrer ce système socio-économique délétère, ce qui ne manquera pas de créer les conditions d'une crise financière, puisque les profits actuels de la finance sont dans une très large mesure liés à l'exploitation des entreprises et de ceux qui y travaillent.
Certes, l'exploitation a été longtemps déniée par les politiciens, à l'image de François Rebsamen ("l'on ne peut pas poser comme point de départ que le contrat de travail est une subordination") et bien sûr d'Emmanuel Macron ("Moi j'adore pas le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible"). Pis, au mot salarié s'est substitué abusivement - mais à dessein ! - le terme de collaborateur. Mais depuis la condamnation des dirigeants de France Télécom, on sait ce que représentaient lesdits collaborateurs pour une direction qui paradoxalement prétendait s'occuper des "ressources humaines", termes staliniens s'il en est...
La mobilité sociale en panne
J'avais montré dans ce billet que l'ascension sociale vers la classe moyenne est devenue très difficile voire inaccessible au sein de l'OCDE, et en particulier en France où cette classe moyenne représente depuis très longtemps un idéal (Cf. Tocqueville) en raison de l'aspiration à l'égalité. Vivre correctement même sans luxe est devenu de plus en plus difficile, ne serait-ce qu'en raison de la précarisation de l'emploi, de la baisse des salaires et de la hausse des prix de l'immobilier (l'accession à la propriété est pourtant souvent vu comme le symbole d'appartenance à la classe moyenne), des prix de la santé et de l'éducation.
Le graphique ci-dessous résume à peu près tout le problème, puisqu'il montre le nombre de générations qu'il faudrait aux descendants d'une famille située dans le décile inférieur (10 % les plus pauvres) pour atteindre le revenu moyen dans la société :
[ Source : OCDE ]
Oui, vous avez bien lu : il faut plus de 6 générations en France à une personne du bas de la distribution des revenus pour en atteindre la moyenne ! L'exemple américain, où les personnes faiblement qualifiées semblent condamnées aux emplois peu qualifiés à salaires faibles, devrait nous faire réfléchir en Europe. Faut-il en effet rappeler que l’élection de Donald Trump ne doit rien au hasard ?
Hélas, dans une logique néolibérale proche de celle décrite par Walter Lippmann, l'oligarchie politique s'est accrochée à la chimère d'un monde gouverné par des experts, seuls capables de comprendre les règles économiques universelles immuables, qui rendent de facto inutiles la confrontation de projets de sociétés différents, et subséquemment les débats contradictoires dans le cadre de l'agon, bien qu'ils soient depuis plus de deux millénaires l'essence même de la démocratie.
Joyeux Noël tout de même !
Sur ce constat, je vous souhaite tout de même un joyeux Noël et vous retrouve la semaine prochaine pour le dernier billet de l'année 2019 !
Et comme il est toujours bon d'enfoncer une porte ouverte quand tout le monde la voit fermée, n'oubliez pas que le plus beau cadeau de Noël que vous puissiez faire aux autres est votre présence !