[Critique] LES MISÉRABLES

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] LES MISÉRABLES

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Note:

Origine : France

Réalisateur : Ladj Ly

Distribution : Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga, Issa Perica, Steve Tientcheu, Al-Hassan Ly, Almany Kanoute, Jeanne Balibar…

Genre : Policier/Drame

Date de sortie : 20 novembre 2019

Le Pitch : Stéphane, policier a Cherbourg, rejoint la BAC de Montfermeil dans le 93. Au lendemain de la victoire de la France en Coupe du Monde de football, les tensions entre jeunes et forces de l’ordre sont loin d’être oubliées. Stéphane et ses nouveaux collègues, Gwada et Chris, vont l’apprendre à leurs dépens après avoir été filmés par un drone lors d’une intervention musclée…

LA CRITIQUE DE LES MISÉRABLES :

Habitué à filmer les interventions policières, Ladj Ly s’est essayé à transposer en fiction sa vision d’enfant de quartier à travers le court-métrage : Les Misérables, nommé au César du Meilleur court-métrage en 2018. Une reconnaissance qui poussa alors ce membre du collectif Kourtrajmé à porter son récit sur grand écran. Là encore, le pari est gagné avec à la clé pour le film, le le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2019.

MA 6-T VA CRACK-ER

2018. La France remportait pour la deuxième fois de son histoire la Coupe du Monde de football. Suffisant pour faire oublier les petits tracas du quotidien et les tensions de banlieues, véritables poudrières prêtes à exploser ? Pas vraiment. Loin de là même. C’est en tout cas le propos tenu ici par Ladj Ly à travers une séquence d’introduction incroyablement réaliste. On y est, en ce jour de fête, suivant les jeunes de Montfermeil en train de savourer la victoire de tout un peuple, avant de regagner leur cité abandonnée aux mains de gangsters sans grande morale, de gitans au sang chaud et de flics souvent borderline. Parce que le sujet du film est bien là : le rapport entre ces différents groupes, imposant leurs règles de vie à des habitants souvent enfouis dans une grande misère sociale. La BAC d’un côté, avec ses têtes brulées un peu cowboys dans l’âme ; les différents groupes du quartier de l’autre, essayant de se faire une place dans un monde guidé par la haine et la violence.

Les bavures policières, inhérentes à ce genre de films, comme c’était par exemple le cas dans La Haine, pourraient sembler totalement anecdotiques tant le risque d’affrontement est omniprésent ici. Pourtant, c’est bien une erreur (ou un acte volontaire ?) commis par un « Bacqueux » et filmé par un gamin de la cité, qui provoque un déchaînement de violence et de tension, et lance le spectateur dans une course contre la montre. Une scène qui ne dure que quelques minutes, mais qui fait directement échos à plusieurs faits divers ayant embrasé nos banlieues à plusieurs reprises, et qui fait monter crescendo une ambiance de plus en plus oppressante.

LIBERTÉ ? ÉGALITÉ ? FRATERNITÉ ?

Pour autant, rien n’est fait dans la précipitation ni dans la démesure. Les Misérables ne prend jamais la direction d’un film d’action, mais plutôt d’un drame qui emmène le spectateur avec lui, à travers les confrontations de classes sociales d’une zone de non-droit où règne la peur et la défiance d’une pseudo-autorité qui manque clairement de légitimité. La mise en place se fait au rythme du metteur en scène, qui filme son quartier avec brio, entouré par un casting qui occupe parfaitement l’espace. Véritable plateau de tournage, le véhicule offre à Ladj Ly la possibilité de filmer sous différents angles les moindres faits et gestes du trio d’acteurs principaux.

Différents angles certes, mais pas de points de vue à proprement parler. Là où Maïwenn avait documenté le quotidien de flics dans l’excellent Polisse en se positionnant du côté de la Brigade de Protection des Mineurs, Ladj Ly alterne entre les différents protagonistes du film. Ni totalement bons ni forcément mauvais, ils sont simplement pris dans un engrenage menant à une situation incontrôlable qui fait d’eux des misérables, bannissant finalement de leur existence la devise « Liberté, égalité, fraternité », pourtant largement mise en avant au début du film. À aucun moment le film ne prend le parti d’un groupe ou d’un autre. Au contraire même, il montre plusieurs facettes des jeunes, successivement victimes puis bourreaux, mais également de la police, tour à tour dépassée par les événements et affreusement malveillante. Seul le personnage du très doué Damien Bonnard reste dans les clous d’un comportement moralement irréprochable, y compris jusqu’au dénouement coup de poing diamétralement opposé à l’ouverture festive du long-métrage, qui nous fige littéralement avant le générique.

En Bref…

Ladj Ly signe avec Les Misérables un portrait assez effarant de la situation des banlieues françaises, terrain de chasse de policiers souvent à la rue et faisant preuve d’une certaine agressivité, mais également d’une population vivant sous la coupe de personnages violents et peu scrupuleux. Une mise en scène très immersive et un casting parfait en font un véritable film choc, qui mérite amplement sa récompense cannoise !

@ Kevin Lefebvre

Crédits photos : Le Pacte