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paradis

Publié le 21 décembre 2019 par Modotcom

paradisvanessa par peter lindbergh2019
je suis allée au paradis
ce n'était pas dans ma couche nuptiale
ni au bord de la mer
ni dans la cave de chateau latour
ou encore
accoudée au bar de nelson chez joe beef
je suis allée au paradis
ce mercredi
entre huit heures quinze
et huit heures trente-cinq
au coin de st-urbain
et st-zotique
d'habitude je prends le métro
pour me déplacer rapidement
quand j'en ai le temps et le besoin
il m'arrive de courir
quand il fait vraiment beau et lent
je marche
des fois je pédale aussi
mais ce que j'aime le plus
c'est prendre l'autobus
la cinquante-cinq
qui est une fille
c'est celle qui file sur la main en montant
et qui descend par sa jumelle
sur st-urbain
cette rue qui ne donne pas à voir
quelque architecture notable
mais qui me donne tant de souvenirs
de ma belle vie montréalaise
je quitte donc le caffè san gennaro
mercredi matin
et marche sur st-zotique
vers la rue st-laurent
pour aller prendre le bus
en chemin
j'en manque un qui me passe sous le nez
mais je ne cours pas
il neige doucement ce matin-là
j'arrive la première à l'abribus
avec l'assurance que le prochain bus
ne devrait pas tarder
arrive une autre personne
puis une troisième
les minutes s'écoulent sans que le bus arrive
je sors de l'abribus
et me poste sur le bord du trottoir
avec le regard pointant le nord
je tente de regarder le plus loin possible
et mon horizon est obstrué par un bâtiment
que je soupçonne être sur jean-talon
pas de cinquante-cinq à l'horizon
alors que de l'autre côté
du parc de la petite-italie
un ou deux autres bus
ont déjà remonté la main
les voitures passent à côté de moi
lentement à cause du feu de circulation
et en sens unique
il n'y a presque pas de bruit
la neige qui tombe absorbe le son
les flocons sont gros mais peu nombreux
on avait pris la peine de les regarder
l'homme-chat et moi
en attendant la lumière pour aller au caffè
ils étaient vraiment beaux
gros comme des morceaux d'ouate
et légers comme le duvet d'eider
je vois en gris et blanc
avec les flocons qui dansent
les voitures qui sillonnent
les piétons qui passent
les images deviennent abstraites
c'est un film sans histoire
ce n'est qu'une trame
aucun autobus
aucun tracas
la vie est belle
le temps est doux
je ne savais pas alors
combien de temps était en train de s'écouler
mais je savais qu'il passait
et que j'aurais voulu être là comme ça
toute la journée
à regarder ce mouvement répétitif
comme une berceuse pour les yeux
effaçant toute pensée
un repos de l'âme
j'étais au paradis
j'étais imperturbable
rien ne pouvait m'atteindre
je buzzais littéralement
et sans stupéfiant
quand ces moments magiques arrivent
vous les reconnaissez
et vous trainez dedans
sans aucune complaisance
ils sont juste là
comme une merveilleuse parenthèse
offerte par la vie
et vous en savourez chaque seconde
ce n'est pas simple d'aller au paradis
il faut un contexte absolument parfait
ce qui est plutôt rare
dans nos vissicitudes modernes
de tout ce qui aurait pu m'irriter ce matin-là
rien n'est arrivé
ma tuque ne me piquait pas
je n'avais pas froid
je n'avais pas chaud
mes vêtements n'étaient pas trop serrés
mes vêtements n'étaient pas trop lourds
la neige ne me mouillait pas
il ne me ventait pas dans le visage
je n'étais pas transie
les voitures ne m'éclaboussaient pas
il n'y avait pas de fumée de cigarette
je ne me souciais pas d'une possible réprimande
ou de la perte d'un mandat
à cause d'un potentiel retard au travail
ma sacoche et mon sac
ne tombaient pas de mon épaule
je n'avais pas mal aux jambes
ni au dos
ni aux épaules
ni aux pieds
rien ne me chatouillait les yeux
je n'avais pas les lèvres sèches
je n'avais pas le souffle court
je n'avais pas mal au ventre
ni la ceinture embourbée
personne ne criait aux alentours
il n'y avait pas de voix stridentes
pas de klaxons
ou de sirène
aucun blessé
pas de morts
je ne pensais à rien
aucune tâche ne me traversait l'esprit
ni aucune tache
mon nez ne coulait pas
je n'avais pas les doigts collants
ni connaissance que quelqu'un vidait mon compte en banque
ce matin-là
entre huit heures quinze
et huit heures trente-cinq
tout était parfait
j'étais au paradis.
la photo de vanessa
c'est pour le plaisir.

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