Cher petit Papa Noël,
Cette année, Noël tombe pile le 24 décembre.
Trop cool.
Décembre est le mois le plus vilain de tous les mois. Quand il fait jour il fait déjà nuit. En plus il pleut et il fait gris. Heureusement, on a mis des lumières partout dans la ville et moi j’ai un beau sapin dans le salon. Avec des boules et une guirlande qui clignote à toute vitesse et fait du bruit. C’est pour que tu puisses bien me voir quand tu descendras du ciel avec tes jouets par milliers.
Aussi, j’ai vu ton camion sur mon portable et je vais te dire, franchement, j’ai pas aimé.
Comme si tu savais pas que les enfants ne doivent pas boire des sodas sucrés. D’ailleurs, tu ferais mieux d’arrêter le Coca. Ta tête, on dirait une brioche grillée et ton nez, ah ça ton nez, on voit bien que tu bois pas que du Coca, cher papa.
Si tu continues, ça risque bien d’être ton dernier Noël. Dorénavant, pour les fêtes, faudra faire ceinture. Pas toucher au Sauternes. Renoncer au foie gras. Et aussi, ta barbe. Tu devrais la couper, sérieux, ta barbe. Tu trouves pas ça un peu louche, un vieux gros plein de poils longs comme mon bras qui court après les enfants. Petits petits petits petits, venez à moi chers petits. Là, toi le blond, tu veux un bonbon ? Allez, viens, n’aie pas peur. Assieds-toi sur mes genoux, on sera mieux pour discuter. Regarde dans ma hotte, j’ai plein de beaux cadeaux.
Et après, si tu es bien sage, je te ferai voir mon petit oiseau.
Tu crois sérieusement que ça va continuer à marcher ? En 2019 ? Avec tes coordonnées et ta photo partout sur le net ? Ho ? Ho Ho Ho ?
On est au 21ème siècle ici. Ici, c’est Amazon. FedEx. UPS. Tes rennes qui puent le phoque et ton traîneau en bois, on les a remplacés par des drones. Un peu comme des petites soucoupes volantes que tu peux piloter à distance avec un joystick et une petite caméra. Plus besoin de te peler les burnes par moins quinze degrés au-dessous de zéro et surtout, plus besoin de ramoner.
De toutes façons, la cheminée, c’est du passé.
Alors voilà, cher Monsieur Noël, au vu des multiples changements qui affectent notre société, je suis au regret de vous annoncer que vous êtes licencié.
– Moi, licencié ? LICENCIÉ ? Et les petits enfants, leurs yeux qui brillent et leurs mains qui se tendent ?
– Vers quoi, on se le demande. Vieux dégoûtant.
– Et les cadeaux ? Et les chants ?
– Écoutez, j’ai ici tous les papiers. Il ne reste plus qu’à signer.
– Et si je refuse ?
– Notre offre est extrêmement généreuse. Nous vous laissons les rennes et le traîneau. L’entrepôt et ses dépendances. Et surtout, nous vous laissons tous les droits.
– Tous les droits ?
– Oui, tous les droits sur l’utilisation de la marque « Père Noël », qui vous appartient d’ailleurs, et ce, dans toutes les langues. C’est pas beau, ça ?
– Mais qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse, de la marque ?
– Décidément, vous êtes trop con. Vous avez la marque, on se charge du reste. Ouvrir le webstore, un magasin virtuel quoi. La boutique du Père Noël. Tous les cadeaux en un clic. Les paniers, les listes, l’acheminement : on s’occupe de tout. Pareil pour les paiements : Mastercard, Visa, PayPal et le tour est joué. Plus de comptes à rendre. Plus d’horaire. Vous travaillez où et quand vous voulez.
– Bon, en même temps, ça reste toujours la même date, Noël.
– Oui, ça c’est embêtant. Mais là aussi on a un plan. On va créer le Noël de printemps ! Vous avez remarqué, en mars, à quel point les gens sont déprimés. Il fait froid, gris, sombre. On a juste envie de se flinguer. Alors, on ressort les guirlandes, on allume, on illumine. Des couleurs ! du vert ! D’ailleurs, pour l’identité visuelle on a choisi le vert. Un Père Noël vert. C’est nouveau, frais, révolutionnaire. Dans les fleurs. On l’envoie même chasser les oeufs. Noël à Pâques. Une réunion. Une fusion. Et deux fois plus de chocolats par milliers.
– Et les cadeaux, qui va les payer ?
– Ah bah ça, c’est vous.
– Comment ça, c’est moi ?
– Vous ne croyez quand même pas qu’on va financer votre opération. À partir de maintenant, faut réfléchir autrement. Vous n’êtes plus un employé. Vous êtes un auto-entrepreneur. Libre et indépendant. Mais la liberté, ça se mérite.
– Mais moi, je veux pas être licencié !
– Au début, nous allons vous aider. Un prêt de cent millions, remboursable sur trois ans. Pour les intérêts, on dira neuf pour cent. Et aussi, une petite commission sur le prix de vente, à peu près vingt pour cent.
– Et je gagne ma vie comment ?
– Avec le reste. Tout le reste. Votre marge, plus les droits pour l’utilisation de la marque. D’après nos calculs vous aurez largement de quoi vous payer tous les rennes que vous voulez.
– Et si personne ne veut fêter Noël au printemps ?
– Faites-nous confiance, le vert, c’est tendance. Le retour aux sources. La nature. Les emballages, tous biodégradables. Un Noël plus conscient, plus profond, plus dépouillé et les cadeaux, tous entièrement durables.
– Noël à Pâques… Au fond, pourquoi pas. Je signe où ?
– Vous signez là.
Deux ans plus tard, épuisé par les cadences infernales imposées par deux Noëls par année, Petit Papa avale quatre bouteilles de Bourbon et meurt dans son lit, la bouche remplie de vomi.
Sa marque, ainsi que tous les actifs de l’entreprise Christmas Inc. sont cédés pour pas grand chose à un groupe d’investisseurs internationaux.
La nouvelle entreprisedéploie ses entrepôts immenses dans le monde entier. Épuisé par les cadences infernales, le personnel menace de se suicider.
Touchée par tant de détresse humaine, l’entreprise publie une charte de bonne conduite et offre à chaque employé une bouteille d’eau et un massage des pieds.
Le coût engendré par cette nouvelle mesure provoque une hausse des charges qui pèse de tout son poids sur l’estomac de Monsieur le Directeur. Réuni en urgence, le conseil d’administration prend immédiatement la mesure de la gravité de la situation. L’heure est grave, il faut sans plus attendredesserrer les mâchoires de l’étau refermé sur le directorial abdomen. Par conséquent :
10’000 employés sont licenciés sur le champ.
L’âge de la retraite passe de 65 à 75 ans.
Le congé maternité est supprimé.
Il est désormais interdit de bâiller
Pour terminer, et à l’unanimité, les membres du conseil décident de remplacer 2 Noëls par 52 Black Fridays.