Mis au point dans l’âge classique, ce thème très apprécié deviendra un des standards des pendants, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.
Erasme Quellin le jeune, 1640-60, collection privée
Dans la seconde moitié du siècle, plusieurs pendants vont prendre pour sujet, au travers d’épisodes connus de l’Histoire romaine, le noble thème de la Clémence :
- celle de Coriolan, général romain, qui s’était allié avec les Volsques pour assiéger sa propre ville : sa mère et sa fille viennent le supplier de ne pas attaquer sa ville natale ;
- celle d’Alexandre, vainqueur de Darius à la bataille d’Issos, qui libère la famille de son adversaire.
Erasme Quellin différencie ces deux scènes relativement similaires par un contraste formel : procession de gauche à droite dans la campagne, progression en sens inverse dans la ville.
Giuseppe Bartolomeo Chiari, avant 1687, Burghley House
Dans un contraste similaire « hors de Rome »/ »dans Rome », ce pendant met en balance des femmes dignes et une femme indigne :
- côté positif : Coriolan accueille sa mère Verturia (debout dans l’ombre) et son épouse, Volumnia (lui présentant son propre fils) ;
- côté négatif : Tullia, fille de Servius Tullius, fait rouler son char sur le corps de son père, assassiné par son époux (Tite Live, I, 47,48)
La Dignité de la Femme consiste à exalter le respect filial, l’Indignité à le transgresser. Passant de l’arrière-plan au premier plan, la ville de Rome assure l’unité du pendant.
Il est amusant de noter que, pour son Coriolan, Chiari retrouve la composition que Quellin avait quant à lui utilisé pour son Scipion : preuve de la difficulté de différencier toutes ces histoires de clémence.
Bellucci, 1691, Musée civique, Vicence
Bellucci, 1681-1691, Musée civique, Vicence
Tandis que le deux pendants précédents mettaient l’accent sur la Femme, celui-ci vise à exalter la clémence du Souverain,
Les deux pendants illustrent le thème de la clémence du souverain, au travers de deux épisodes narrés par les historiens antiques. [1]
Dans le premier tableau, Scipion l’Africain, après avoir conquis la ville de Carthage la Neuve, remarque parmi les prisonniers une belle jeune fille déjà fiancée à un jeune homme. Ayant fait venir les autres membres de sa famille, il la libère noblement : car les droits de l’amour sont plus forts que ceux de la guerre.
Dans le second tableau, , Alexandre libère la mère, l’épouse et les filles de Darius. La composition est tripartite : à gauche le camp du vainqueur, signalé par un soldat avec lance et tambour ; au centre les libérées, sur fond d’une ville en plein soleil ; à droite le libérateur casqué.
Comparé à d’autres représentations, le thème du premier tableau, la Clémence de Scipion est ici traité de manière délibérément elliptique et ambigüe : le futur époux n’est pas montré, et deux femmes peuvent postuler pour le rôle de la libérée : celle debout, en robe jaune, un des seins déjà dénudés, ou celle agenouillée en posture de gratitude.
Pellegrini (Giovanni Antonio), vers 1700, Musée des Beaux arts, Soissons
La logique de ce pendant nous échappe : le même thème de la Clémence d’Alexandre se trouve cette fois mis en balance avec la douleur d’Achille, contemplant le corps de son ami Patrocle qu’on ramène sur un chariot.
Les deux épisodes guerriers servent ici de prétexte à un fonctionnement purement esthétique et formel : la beauté du jeune général en toge rouge, ses soldats casqués derrière lui, domine la moitié de chaque tableau. Dans l’autre moitié, la reine captive suivie par sa fille se voilant la face, ou le jeune mort dont un serviteur dévoile le torse, voient leur beauté mise en valeur par un satin outremer.
Sebastiano Ricci, 1709, North Carolina Museum of Art, Raleigh
Dans sa Continence de Scipion, Ricci montre en plein centre le jeune fiancé présentant sa compagne ; par symétrie, il imagine au centre de l’autre tableau un général présentant Alexandre à la famille de Darius.
Le dais calé à gauche permet de noter l’inversion qui met en valeur la noblesse d’Alexandre : général victorieux, c’est lui qui vient s’incliner devant la famille royale restée à la place d’honneur.
Tiepolo, 1743, Villa Cordellina, Montecchio Maggiore
Les deux fresques se trouvent non pas côte à côte, mais sur deux murs opposés, de sorte que les captives debout font face aux captives prosternées, et Scipion assis à Alexandre debout. Tout comme Ricci, Tiepolo place au centre d’un côté le jeune fiancé, de l’autre un vieillard présentant la reine à Alexandre.
Staedel Museum, Francfort (120,5 x 98 cm)
Detroit Institut of Arts (118.2 x 98.5 cm)
Tiepolo, 1751-53
Ce pendant très probable recourt aux mêmes procédés :
- parallélisme plutôt que symétrie ;
- captive debout / captives prosternées
- Scipion assis à Alexandre debout.
Gaetano Gandolfi , 1784, Pinacothèque nationale, Bologne
Ces deux toiles ont été commandées par le marquis Giacomo Marescotti Berselli pour son palais de Bologne. Gandolfi insuffle de la nouveauté dans ces thèmes archi-rebattus par le dynamisme des poses, saisies dans un instant de déséquilibre.
La composition, très structurée, met brillamment en parallèle les deux épisodes :
- une figure de la faiblesse féminine, en robe blanche, étend le bras droit, en signe d’imploration (la jeune captive, la femme de Coriolan) ;
- une figure de la soumission masculine, en manteau rouge, écarte les bras en signe d’acceptation (le jeune fiancé, Coriolan) ;
- une figure d’équité, en manteau violet, étend les bras entre les deux (Scipion, la mère de Coriolan) ;
- sur les bords externes, un soldat au geste arrêté introduit une tension dramatique (sur le point d’enchaîner la captive ou retenant le cheval prêt à avancer).
Le décor joue son rôle d‘unification (les marches) mais aussi de localisation des deux scènes : le port de Carthage, l’espace entre les murailles de Rome et le camp des Vosques.
Après un siècle et demi d’évolution, le pendant atteint ici un tel degré de maturité qu’on sent l’artiste capable de mettre en parallèle n’importe quel épisode, et le spectateur de jouir de ce parallélisme.