Magazine Société

Abécédaire, de Pablo Jofré

Publié le 17 décembre 2019 par Francisrichard @francisrichard
Abécédaire, de Pablo Jofré

Abécédaire est un recueil de poèmes bilingue, espagnol-français. Il y a, dans les titres de ce dictionnaire poétique, plus d'initiales de mots - trente-trois - que de lettres de l'alphabet. C'est un abécédaire prolongé.

En épigraphe à la version française, il est indiqué que ce dictionnaire est inspiré du dictionnaire de Flaubert consacré aux idées reçues, qui se trouve en appendice à Bouvard et Pécuchet, le célèbre roman ébauché par l'écrivain.

Le choix des mots effectué pour son abécédaire par Pablo Jofré est révélateur de cette inspiration hétéroclite, mais, plus que dans le cas de Flaubert, la signification qu'il donne aux mots choisis est ambiguë: on ne sait pas toujours si le poète se veut ironique ou tragique, ou les deux.

La forme d'un poème est moins lapidaire que celle d'une définition et laisse donc au lecteur une plus grande liberté d'interprétation. Par exemple, on peut voir dans ce recueil, au-delà de sa dérision, tout le tragique de la condition humaine.

C'est par exemple manifeste dans le poème consacré au Baiser qui commence ainsi:

Conversation de bouches,

échange palpitant de rêves,

espoir projeté en salive.

et qui se termine moins bien, de manière bien lugubre (le titre d'ailleurs d'un autre poème), puisque le poète, après avoir évoqué l'abandon qui viendra; inévitablement, dit:

Et nous porterons des restes de cadavre: des gouttes de baisers morts,

à la commissure des lèvres, entre nos dents en deuil.

Il y a ainsi dans plusieurs des poèmes une vision idyllique, voire prometteuse, suivie, comme en contrepoint, par un retour à une réalité prosaïque. On pourrait dire que cela commence parfois bien mais que cela finit beaucoup moins bien; ou que cela commence parfois doucement mais que cela finit durement.

Ainsi la beauté a-t-elle son revers:

La rosée sont des larmes du ciel

   sur les replis des vignes,

   sur les aéroports et leurs avions.

Dans d'autres poèmes, le balancement se fait dans l'autre sens, par exemple dans Hommage, où, au début, le poète incite à descendre à la réalité abrupte, dans la banlieue, ce qui a priori n'a rien de palpitant, puis montre que cette démarche de prise de contact avec les autres n'est pas vaine:

L'hommage est un acte d'humilité, une pause

dans notre existence de héros;

un moment vierge

auquel nous nous abandonnons; pour donner.

Ces retournements de situation, dans un sens ou dans un autre, rendent compte de la complexité du monde, de ses contradictions et d'un phénomène qui se produit souvent pour les résoudre avant d'aller plus loin:

Les nuances apparaissent quand la couleur se fatigue,

ou quand le noir et le blanc s'usent

et que tous ensemble, mélangés,

tombent amoureux d'un autre objet.

Le même objet peut cependant être une chose et son contraire. Tel est le Seuil:

Lieu totalement ambigu

l'entrée et la sortie.

La pause, le salut,

le protocole situé dans l'espace.

La dernière initiale de l'Abécédaire en français est un X, comme Xénophobie et, là encore, il y a dans ce poème toute l'ambiguïté de l'être humain et de la tentative du poète de la cerner à travers une phobie existentielle puisqu'elle est à la fois peur de l'autre et de l'inconnu et terreur de sa propre identité...

Francis Richard

Abécédaire, Pablo Jofré, 80 pages, BSN Press (traduit de l'espagnol par Pierre Fankhauser)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine