Voici la suite de mon article sur le mouvement Cobra avec d’autres artistes liés à ce mouvement.
Pierre Alechinsky
Pierre Alechinsky, né en 1927, est un peintre et graveur belge. De 1944 à 1948, il étudie l’illustration du livre, la typographie, les techniques de l’imprimerie et la photographie à Bruxelles. C’est pendant cette période qu’il découvre l’œuvre d’Henri Michaux, de Jean Dubuffet et des surréalistes. Il commence à peindre en 1947, fait partie du groupe Jeune Peinture belge et devient très rapidement l’un des acteurs majeurs du monde artistique belge de l’après-guerre. Après sa rencontre avec le poète Christian Dotremont, l’un des fondateurs du groupe Cobra, il adhère en 1949 à ce mouvement d’avant-garde artistique. Il participe aussitôt à la première exposition au Stedelijk Museum.
Pendant la brève existence du groupe, dont il est le benjamin (et, au moment où j’écris ce texte, en décembre 2019, le seul membre encore vivant) il s’implique très fortement, organisant des expositions, comme la deuxième exposition internationale d’art expérimental Cobra au palais des beaux-arts de Bruxelles en 1951, et contribuant à la réalisation de la revue Cobra. Le rôle capital que joue pour lui le mouvement tient autant aux personnes qu’aux idées défendues : spontanéité sans frein dans l’art, rejet de l’abstraction pure et du « réalisme socialiste », refus de la spécialisation.
Après la dissolution du groupe Cobra, dont il perpétuera l’esprit, Pierre Alechinsky s’installe à Paris, où il côtoie les surréalistes, complète sa formation de graveur et s’initie à de nouvelles techniques à l’Atelier 17. C’est l’époque, à partir de 1952, où il se lie d’amitié avec Alberto Giacometti, Bram van Velde, Victor Brauner et où il commence une correspondance régulière avec le calligraphe japonais Shiryu Morita.
En 1954, lors d’un de ses fréquents séjours à New York, il fait la connaissance du peintre chinois Walasse Ting, qui a une grande influence dans l’évolution de son œuvre et lui fait découvrir une technique qui lui conviendra bien, la peinture acrylique (il avait déjà commencé à abandonner progressivement l’huile pour des matériaux plus rapides et plus souples comme l’encre). Fasciné par la calligraphie orientale, dont la spontanéité l’attire, il effectue plusieurs voyages en Extrême-Orient et tourne même en 1955 un film documentaire sur la calligraphie japonaise.
En 1965 il crée son œuvre la plus célèbre, Central Park, avec laquelle il inaugure la peinture « à remarques marginales », inspirée de la bande dessinée, où l’image principale, généralement colorée, est accompagnée d’une série de vignettes, généralement en noir et blanc, destinées à compléter le sens du tableau, créant une interaction énigmatique entre les deux zones. Influencé par l’Action Painting, c’est au sol qu’il peint ses entrelacs de courbes, figures et non-figures, sur des feuilles de papier qu’il assemble et colle seulement après sur la toile.
En 1983, Alechinsky devient professeur de peinture à l’École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris.
Vivant en France et se consacrant aussi bien à des œuvres murales monumentales qu’à des dessins de bibliophilie accompagnant des œuvres contemporaines, Alechinsky, à 92 ans, travaille et expose toujours.
La galerie
Voici une sélection d’œuvres de Pierre Alechinsky, de 1949 à aujourd’hui.
Carl-Henning Pedersen
Carl-Henning Pedersen (1913-2007), peintre et sculpteur danois, est avec son ami Asger Jorn l’une des figures majeures de l’éphémère (1948-51) mais non moins influent groupe Cobra qui propose un art fondé sur la liberté, l’imagination et la spontanéité, Carl-Henning Pedersen étant persuadé que l’origine de l’art n’est pas académique et savante, mais spontanée et personnelle (une force créatrice qui est en chacun de nous, qu’il faut juste savoir écouter). La création artistique était pour lui l’expression la plus forte de l’existence en tant qu’être humain.
Issu d’une famille appartenant à la classe ouvrière, il a grandi dans un quartier pauvre de Copenhague. Carl-Henning Pedersen commence à peindre en autodidacte à partir de 1933. Il participe à la revue Linien, entre surréalisme et abstraction. À son retour d’un voyage à Paris (à pied, semble-t-il, pour voir des œuvres de Picasso et Matisse), il visite en 1939 l’exposition d’«art dégénéré» présentée à Francfort par le pouvoir nazi. Les œuvres qui s’y trouvent rassemblées (notamment Chagall) vont décider de sa nouvelle orientation artistique. De 1941 à 1943, il participe à la revue Helhester et, sous occupation allemande, continue à produire des œuvres abstraites séditieusement modernes. Il expose ensuite avec Cobra certaines de ses œuvres aux couleurs vives. L’univers singulier et onirique de ses œuvres est traversé par des figures fantasmagoriques récurrentes, qui évoquent des chevaux, des oiseaux, des yeux, des soleils, des lunes et des châteaux.
En 1962, il est le représentant du Danemark à la Biennale de Venise.
Au début des années 1970, lorsque Copenhague refuse sa proposition de céder quelque mille peintures à l’huile et des centaines de dessins, aquarelles et sculptures (Pedersen avait refusé pendant des années de vendre sa production, disant non à la spéculation et estimant que l’art doit appartenir à la société afin que le plus possible de gens puissent en profiter) en raison de l’absence de lieu susceptible d’abriter une telle collection, la ville d’Herning accepte de construire un musée pour accueillir ce patrimoine artistique. Le musée Carl-Henning Pedersen et Else Alfelt (1910-74), consacré à l’œuvre de l’artiste et de sa première femme, peintre et également membre du groupe Cobra, est inauguré à Herning en 1976, deux ans après la mort de cette dernière. En 1983, certaines de leurs œuvres sont présentées lors de l’exposition Cobra 1948-1951 au musée d’Art moderne de la ville de Paris.
En 1977, Pedersen épouse Sidsel Ramson (photographe rencontrée deux ans plus tôt) et acquiert l’ancienne maison et l’atelier de Karel Appel à Molesmes, dans la campagne bourguignonne, où beaucoup de ses œuvres tardives sont réalisées. En janvier 2007, le couple donne trente-cinq toiles au musée des Beaux-Arts du Danemark, le Statens Museum for Kunst. Carl-Henning Pedersen s’éteint peu de temps après, le 20 février 2007, à Copenhague. Il avait 93 ans.
La galerie
Voici une sélection d’œuvres de Carl-Henning Pedersen, de 1938 à 2004.
Jean-Michel Atlan
Jean-Michel Atlan naît à Constantine en janvier 1913. En 1930 il quitte l’Algérie et vient à Paris suivre des études de philosophie. Là, dans la mouvance anticolonialiste et révolutionnaire, il fait de la propagande, participe à des manifestations, fait le coup de poing. Il deviendra même le garde du corps de Trotsky ! Après sa licence de philo, Atlan continue sur sa lancée avec un Diplôme d’études supérieures en dialectique. En 1940, il commence à enseigner avant d’être révoqué en 1941 du fait des lois antisémites.
Le hasard veut qu’il s’installe alors, avec sa femme Denise, au 16 rue de La Grande-Chaumière, dans un atelier d’artiste, tout près de ceux où vécurent Gauguin et Modigliani. C’est dans ce quartier voué à la peinture que naît sa vocation picturale. Entré dans la Résistance, il est arrêté en 1942 pour « actes de terrorisme ». Transféré à la prison de la Santé, Atlan simule la folie et réussit à se faire interner à Sainte-Anne dont il sortira en Août 1944 pour participer à la libération de Paris dans son costume d’interné.
Seulement quelques mois après sa libération il expose pour la première fois à la librairie-galerie de l’Arc-en-Ciel, rue de Sèvres, et retient déjà l’attention du public et de la critique. Gertrude Stein fait l’acquisition de six tableaux et une grande amitié naît entre eux. Elle montre à Londres et à New York les œuvres qu’elle achète, et lui ouvre les portes de ses amis collectionneurs. Dès cette année 1945, son atelier devient un lieu de rencontre internationale. Il a de nombreux admirateurs et amis dont Hartung, Schneider, Soulages et Poliakoff.
En 1946, il participe à l’exposition « Le noir est une couleur » à la galerie Maeght avec Bonnard, Braque, Matisse, Rouault etc. Le succès est encore au rendez-vous, ses toiles s’arrachent, le Tout-Paris parle maintenant de lui. Mais Atlan est un artiste en marge qui dès 1948, rompt son contrat avec Maeght, se voyant mal être un poulain dans une écurie et prend ses distances, ce qui se paie : « J’ai pas mal pataugé dans la merde », écrit-il dans une lettre de 1950 (pour subsister, il vend de la bonneterie sur les marchés de banlieue, mais peint avec passion et, s’il reste peu de tableaux de cette époque du fait qu’Atlan repeint dessus faute de toiles neuves, ce qui subsiste est de grande qualité). En avril de cette même année, il est invité ainsi que d’autres artistes (Dubuffet, Bazaine, Giacometti, Mathieu…) par la revue CoBrA à exprimer son point de vue sur l’art contemporain. Sans faire réellement partie de ce mouvement, qui comptait principalement des peintres venus d’Europe du Nord, il expose néanmoins avec eux à l’Exposition internationale d’art expérimental de Liège en 1951.
Mais même à l’écart des faiseurs de mode, son influence va grandissante tandis que s’affirme son style, imposant ses graffitis (emblèmes totémiques ni figuratifs, ni tout à fait abstraits) avec trente ans d’avance. Ainsi, dès 1953, il connaît le succès au Japon où il a une forte influence sur la calligraphie japonaise abstraite.
Le regain vient vers 1956 et nombre de ses peintures intègrent les collections des plus grand musées du monde. Hélas, alors que sa renommée est à son apogée et qu’il vient juste d’avoir 47 ans, Jean-Michel Atlan meurt dans son atelier (certainement d’un cancer) le 12 février 1960, juste avant l’inauguration à New York, à la Contemporaries Gallery, d’une importante exposition à laquelle il a travaillé jusqu’à son dernier souffle. Presque toutes les toiles sont vendues le jour même du vernissage. Sa mort ne passe pas inaperçue, des hommages lui sont rendus partout. Sa popularité est telle que la presse du monde entier réagit à sa disparition. La revue Paris-Match lui consacre même dix pages dans son n° 570.
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Voici une sélection d’œuvres de Jean-Michel Atlan, de 1941 à 1959.
Serge Vandercam
Né à Copenhague en 1924, Vandercam est un photographe, peintre et sculpteur belge. Il est lié au mouvement Cobra dès 1949, date à laquelle il rencontre Christian Dotremont et Joseph Noiret. L’œuvre de Vandercam s’inscrit dans la volonté de recherche expérimentale, de pluridisciplinarité et du goût pour les arts primitifs caractéristiques du mouvement Cobra.
Il réalise à cette époque des photographies expérimentales inspirées par les formes enchevêtrées des bunkers éventrés qui parsèment alors les plages. Ni documentaire ni témoignage, ces images veulent donner à voir un monde étrange (surréaliste ?) construit à coup d’explosif. En 1950, suite à une initiative de Dotremont, il expose ses photographies aux côtés de Roland d’Ursel et de Raoul Ubac à la Galerie Saint-Laurent. Encouragé par Nicolas de Staël, il aborde la peinture en 1952 et deviendra lauréat du prix de la Jeune Peinture Belge en 1956. En collaboration avec Dotremont, il réalise Les Boues, terres cuites, gouaches et collages sur lesquelles le poète écrit des textes. Ensuite, il s’initie à la céramique auprès d’Asger Jorn alors installé à Albisola, en Italie. Viennent ensuite les travaux en duo avec Hugo Claus, comme les Peintures partagées avant que n’apparaisse dans son œuvre L’Homme de Tollund dont il a pu voir le corps momifié dans la tourbe au Musée de Silkeborg. En 1972, l’artiste se met à la sculpture, sur pierre d’abord, sur bois ensuite, livrant toute une volière sous l‘appellation d’Oizal. Dans son oeuvre, tant peinte que sculptée, l’oiseau occupe en effet une place essentielle comme trait d’union reliant le ciel et la terre. D’autres collaboration verront le jour avec Joseph Noiret : collages, gravures et sculptures enrichies de textes peints ou imprimés.
Professeur à l’École Supérieure des Arts Visuels de la Cambre (1979-1989), il dirige l’École des Beaux-Arts de Wavre de 1981 à 1989.
Serge Vandercam s’était installé depuis plusieurs années à Bierges dans le Brabant wallon dont il s’était fait un pays d’élection. Il est décédé à Bruxelles le 10 mars 2005. Il reste comme l’un des artiste belge le plus intéressant du XXe siècle.
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Voici une sélection d’œuvres de Serge Vandercam, de 1948 à 1995.
Egill Jacobsen
Egill Jacobsen (1910-1998), peintre danois, a étudié la peinture à l’Académie royale des beaux-arts du Danemark à Copenhague (1932-1933). Il hésite à ses débuts entre diverses esthétiques, du Surréalisme à l’Expressionnisme mais après avoir visité Paris en 1934 et découvert le travail de Matisse et Picasso (notamment de son époque nègre), il commence à créer des images semi-abstraites de figures masquées aux couleurs vives inspirées de l’art ethnographique. Il peint également des œuvres dépourvues de tout motif dont la couleur est le seul critère, annonçant l’expressionnisme abstrait des années 1955-60.
Animateur du mouvement GAS en 1937, il est aussi membre actif des groupes de peintres danois Linien (la Ligne, 1934-39) et Høst (la Récolte, 1934-50) avant de faire tout naturellement partie de CoBrA entre 1948 et 1951 aux côtés d’autres peintres danois comme Asger Jorn, Ejler Bille, Carl-Henning Pedersen ou encore Henry Heerup. En 1959, il devient professeur de faculté à l’Académie où il avait fait ses études.
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Voici une sélection d’œuvres d’Egill Jacobsen, de 1935 à 1988.
Anton Rooskens
Anton Rooskens (1906-1976), est un peintre néerlandais. Autodidacte (il n’a pas fait d’école d’art et ne commence à peindre vraiment que tardivement), il puise ses premières inspirations dans la peinture de Van Gogh et Permeke, puis dans les œuvres de la première école de Paris.
Mais, en 1945, tournant radical : à Amsterdam, une exposition intitulée « Art en liberté » lui révèle l’art primitif à travers des œuvres de Nouvelle-Guinée ; une découverte qui ne cessera désormais d’influencer son œuvre. En 1948, il se rapproche du mouvement Experimentele Groep in Holland, anticipant sur sa participation à Cobra qui naît en fin d’année avec (entre autres) ses compatriotes Karel Appel, Corneille ou Eugène Brands.
La peinture d’Anton Rooskens s’inspire donc largement de l’art primitif en particulier de l’art africain ainsi que du surréalisme intuitif de Joan Miró et d’André Masson. Le jeu de couleurs et de formes de ses toiles a indéniablement fourni une contribution importante au mouvement Cobra. Plus tard il incorpore de plus en plus de signes et de symboles magiques dans ses toiles, surtout après 1954 où il fait un voyage en Afrique centrale. Après cette période africaine, il entame une phase expressionniste où il réagit aux menaces de la crise de Cuba avec une peinture plus dynamique. À l’instar des œuvres d’Appel et de Corneille, l’art de Rooskens devient résolument figuratif à la fin des années 60.
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Voici une sélection d’œuvres d’Anton Rooskens, de 1945 à 1975.