Silence et lumière, promenades à cheval (petits mais nerveux), grandes rigolades, abîmes de silence : tels furent les ingrédients de ce séjour de deux semaines dans le nord de la Mongolie.
Mais malgré l'immensité, impossible d'échapper à la misère humaine et aux conséquences de ce mélange dangereux : chômage plus télé plus vodka. J'ai donc participé à une intense séance de lutte mongole en yourte, avec lancer d'objets divers, d'enfants même, et tentatives d'étranglement. C'est là que l'on réalise l'utilité des arts martiaux exotiques.Et puis il y a la mondialisation. Ce n'est pas un vain mot quand on est dans ce pays grand comme cinq fois la France et peuplé de seulement deux millions d'habitants, dont la moitié dans la capitale déjà polluée par des légions de 4x4 japonais. L'architecture y est indifférente de celle des villes indiennes. Les centres commerciaux y portent le même nom (genre "City Plaza"), vendent les mêmes choses. Les gens jouent au poker, vont dans les bars de karaoké. La télé passe du rap mongol ("fuck suck", plus paroles en Mongol) ainsi qu'une version de Loft Story et autres joyaux de la culture du vingt-et-unième siècle. Les jeunes sont habillés comme dans le 93 et font de l'informatique, scotchés à leur portable. Bref, bienvenue dans ma cité !La nature, en revanche, reste sublime. Nous nous sommes promenés sur un immense lac gelé.
Le bruit impressionnant des brisements de glace faisait songer aux sons des tambours chamanes. On croyait entendre des esprits bataillant ou tentants de se libérer.
Nous avons aussi vu des "nuages arcs-en-ciel", souvent mentionnés dans les hagiographies tibétaines comme étant les signes de la mort d'un grand maître.
Notre famille d'accueil, détendue et chaleureuse, avait des moutons, des yaks et 80 chevaux en liberté. Pour les monter, il faut donc d'abord les capturer... Mais en général, une heure y suffit. Et puis quel plaisir immense de galoper avec ces animaux sauvages !
Le ciel est immense. Tingri, le Ciel bleu immuable, est le dieu des Mongols. D'ailleurs, les khatag (écharpes de soie utilisées comme offrandes dans le bouddhisme tibétain) sont bleues en Mongolie. Elles couvrent les oovo (sortes de caïrns) qui jalonnent la steppe.Il faisait froid (de -15 le jour à -30 la nuit) certes, mais les yourtes sont chaufées au bois. Ce n'est guère écologique, mais cela permet de vivre un peu. Nous avons mangé beaucoup de raviolis au mouton, plat du Nouvel An (mongolo-tibétano-chinois). Bon, mais indigeste. Le plus extraordinaire était le silence et la lumière de ces immensités vides, traversées par des vautours et autres chiens de prairie.
Ceci étant, faire 15 000 km permet aussi de constater qu'Ici ne change pas. C'est une expérience littéralement incroyable de voir les paysages défiler "devant" soi, tout en voyant ici l'Espace demeurer immuable. Immuable et infini.
(Excusez la qualité des clichés : il fallait retirer les moufles sans les laisser tomber, se geler les mains en restant naturel, éviter les branches, tout en gesticulant pour sortir l'appareil de sa sacoche, le tout avec 20 kg de vêtements sur le dos...).P.S. : à l'époque, j'avais omis de raconter comment, sous prétexte que l'aéroport d'Irkoutsk n'était pas classé "international", j'avais été refoulé par les Russes sur le tarmac. Une traductrice m'avait indiqué que j'avais le choix entre la prison "là-bas" (elle pointait des bungalow couverts de neige glacée) et l'avion "ici". J'ai été escorté par trois types à mitraillette, au cas où. J'ai ensuite passé trois jours à Oulan Bator pour faire un "visa de transit" hors de prix, racheter un billet, etc. Tout cela fut possible grâce à un ami mongol qui parlait russe. A cette occasion, j'avais pu faire l'expérience de la bureaucratie russe, une véritable merveille. J'avais presque pleuré de joie en arrivant à Paris. Mais c'est beau la Mongolie. Pas comme les Alpes, mais c'est beau. Ces photos ont été prises autour du lac Khösgöl (bien nommé, surtout en hiver), célèbre à cause de la présence des Tsaatans et de Sombrun.