Dans l’oeuvre prolifique de Boilly, (4500 portraits et cinq cents scènes de genre), on trouve une quarantaine de pendants. Je les ai présentés autant que possible par ordre chronologique, à partir du catalogue de référence [1].
L’ensemble est intéressant sur la durée, puisque la longue carrière de Boilly (1761-1845) commence sous l’Ancien Régime, traverse la Révolution, fleurit sous l’Empire et s’étiole sous la Restauration.
Dans le style hollandais
Le jeune commissionnaire et la cuisinière Vieillard présentant un melon à une fruitière
Boilly, date inconnue, Collection privée
Un jeune couple se rapproche autour de deux cerises, que la jeune fille tient par la queue tout en touchant délicatement l’index tendu du garçon.
Un couple âgé est séparée par une table sur lequel un couple d’oiseaux morts est posé : tenant en main un poireau étique, la vieille désigne du doigt son compagnon, lequel montre d’un oeil entendu un melon largement ouvert : ainsi chacun se moque du sexe déficient de l’autre.
Mêlant les métaphores galantes du XVIIIème siècle au vocabulaire spécifique de Boilly (sur le melon, voir Surprises et sous-entendus), ce pendant, qui n’est bienséant qu’en apparence, est construit sur des symétries rigoureuses : centre fermé/centre ouvert ; jeunesse et vieillesse ; femme debout/femme assise ; homme assis/homme debout ; légumes en haut sur le baril ; légumes en bas sur la panier.
Le vêtement strictement identique de la jeune et de la vieille femme laisse entendre qu’il s’agit de la même personne : le sujet du pendant est donc le début et la fin de la vie amoureuse.
La lettre Le cadeau délicat
Boilly, vers 1787, Collection Bemberg, Toulouse
Boilly transpose, en costumes modernes, l’esprit et la technique des peintres hollandais du XVIIème siècle : on croirait voir un pendant épistolaire à la Ter Borch (voir 1.1 Diptyques épistolaires : les précurseurs). Si les décors se répondent (porte ouverte, paravent), les sujets sont loin d’être symétriques : à gauche un couple, à droite un trio. Et la même jeune femme (à en juger par sa robe) est montrée en situation d' »envoi » :
- à gauche elle écrit une lettre en présence d’un homme souriant qui tient une fleur à la main ;
- à droite elle vient apporter à domicile un médaillon la représentant, à l’insu de l’homme qui lit une lettre ; son chaperon regarde peureusement dans l’escalier et tente de retenir sa main : sans doute par crainte que quelqu’un ne voit cette visite compromettante et parce que le don est par trop audacieux.
La logique du pendant (SCOOP!)
L’astuce du pendant est qu’en nous montrant la même femme, Boilly nous pousse à imaginer toute une histoire romanesque : quel rôle jouent par rapport à elle ces deux hommes d’âge et de condition différents (un jeune gandin à la mode et un monsieur dans sa bibliothèque) ? ; et pourquoi sa compagne est-elle effrayée ?
Je pense quant à moi que les deux scènes doivent être lues, non comme deux moments d’un même histoire, mais comme deux variantes d’une même situation.
Cela pourrait-être l’Agréable cadeau : un jeune homme offre une fleur, une jeune femme offre une image d’elle-même.
Mais il est plus satisfaisant de considérer la chose du point de vue du scripteur :
- il faut comprendre que le jeune homme est entré à l’insu de l’épistolière, et vient de la chatouiller avec sa rose : elle lève la tête avec surprise, tandis que celui à qui elle a écrit tant de lettres vient de se matérialiser dans son dos ;
- l’homme mûr est lui-aussi en train d’écrire quand la jeune femme, échappant à toute prudence, vient « se livrer à lui » (pour l’instant sous forme d’image).
Le sujet du pendant est donc « L’agréable surprise ».
http://collections.lesartsdecoratifs.fr/le-cadeau-delicatLe conseil maternel LOUVRE RF 1961.19) http://collections.lesartsdecoratifs.fr/le-conseil-maternelLe cadeau délicat (LOUVRE RF 1961.18)t
Boilly, 1787, Musée des Arts Décoratifs, Paris
Ce pendant illustre une spécialité de Boilly à cette époque : l' »imitation de l’estampe » par des peintures en grisaille.
On reconnaît Le cadeau délicat, apparié ici à un tout autre sujet : une jeune fille éplorée, qui lisait près du poêle, a laissé tomber son roman ou son journal intime, et la porte ouverte laisse voir une lettre qui brûle. Sa mère la met en garde contre l’amour hors du mariage, comme l’indique le cartel sous la statue :
Vois le perfide Amour étouffant son flambeau
Quand l’Hymen de ses yeux enlève le bandeau
La logique du pendant (SCOOP ! )
Ici la logique du pendant est clairement binaire :
- dans le premier tableau, la jeune fille, morigénée par sa mère, montre son inexpérience amoureuse ;
- dans le second, elle montre au contraire un esprit de décision, en se rendant chez son amant pour lui donner un portrait d’elle, sans se laisser dissuader par son chaperon.
Sous les apparences d’un pendant narratif (le jeune fille échappe à sa mère pour se rendre chez son amant), il s’agit en fait d’un pendant thématique, opposant les incertitudes des aventures aux certitudes de l’Amour.
La période Calvet de Lapalun
Les conseils maternels (N°10), Collection privée L’amant constant (N°18), localisation inconnue
Boilly, 1791
Le sujet du Conseil Maternel n’est pas une invention de Bailly : il provient de cet autre pendant, où il est apparié selon une logique très similaire : opposer les amourettes purement physiques, qui n’amènent que pleurs et grincements de dents, à une cour sérieuse, menée avec persévérance dans les règles de la courtoisie.
Les deux toiles ont été commandées par un aristocrate avignonnais, Calvet de Lapalun. Un texte du commanditaire, « Sujets pour des tableaux », décrit précisément les deux sujets au N° 10 et 18.
Les conseils maternels
Dans sa description N°10, « deux amies moralisant sur les mariages d’amourette », Calvet de Lapalun avait prévu une mère expliquant à sa fille la signification du groupe sculpté, à savoir « la folie des mariages d’amourettes et les dangers que l’on court lorsque l’on n’a en vue en se mariant que de satisfaire une passion ».
Le thème, y compris le groupe sculpté, n’a donc pas été inventé par Bailly, mais par son patron.
Il lui a laissé rajouter l’amant repoussé, convié à prendre la porte malgré sa mine désespérée (remplacé dans la réplique en grisaille par le carnet jeté par terre). Mais il a tenu à faire inscrire au dos une tableau une réserve quant au texte :
« au lieu de vers on voulait que le peintre mit simplement / L’hymen ote à l’amour son bandeau. / Danger des marriages d’amourette./ Inventé par M. de Calvet la Palun peint par Louis Boilly 1791 ou leçon d’un mère a sa fille »
L’amant constant ( N°18 )
Dans « Sujets pour des tableaux », cette oeuvre n’est pas consécutive à la précédente, et il n’est pas indiqué qu’elle en soit le pendant. Néanmoins la composition est identique : une figure d’autorité (homme ou mère) désigne à une jeune fille une statue allégorique.
Le tableau est très fidèle à la description : l’homme montre ce qui est inscrit sur le piédestal : « avec le tems », tandis que le Cupidon en statue commence à percer le rocher avec sa flèche. Le message à comprendre est que « l’amour avec de la constance rend sensibles les coeurs les plus durs« .
Pour le geste de la jeune fille, Calvet de Lapalun laissait le choix entre deux options:
- une noble : « air dédaigneux, tournant un peu la tête et ayant les deux bras dans l’attitude d’une personne qui repousse ce qu’on lui propose » ;
- une gaie : « avec un air riant et folâtre, (elle) frotte l’index de sa main gauche, avec celui de la droite. Elle a l’air de répondre au jeune homme : même avec le tems vous ne m’aurez pas ».
Sans surprise, Boilly a choisi la version « gaie », l’index barré signifiant à l’époque, de manière assez crue : « vas te faire voir, tu n’y toucheras pas ». A noter au premier plan le chien couché sur le tabouret, qui signifie peu pu prou « La Fidélité vaincra ».
Ainsi l’amant constant venge, par sa patience, l’amant repoussé du premier tableau.
Ah Si je te tenois Je t’en ratisse
Danloux, 1784, gravure de Beljambe
L’idée des gestes opposés sort peut être de ce pendant de Danloux, l‘index étant une métaphore virile transparente (d’autant plus qu’il est associé au bâton).
Prends ce biscuit Nous étions deux nous voilà trois
Boilly, vers 1791, Collection privée [2]
Dans cet autre pendant plus trivial, Boilly a recyclé le décor imaginé par Calbet de Lapalun : le groupe sculpté, qui représente maintenant Bacchus revigorant Cupidon avec une coupe de vin, commente le geste de la jeune femme envers son amoureux flapi. Sur le socle est inscrit : « Vive Bacchus ! L’amour repousse ».
Le second tableau inverse les positions : c’est la femme qui est est fourbue et l’homme,debout, qui lui présente ce qui résulte du biscuit.
La visite reçue,Musée Sandelin, Saint Omer La visite rendue,Wallace Collection, Londres
Boilly, 1789
Ces deux toiles constituent les N° 1 et 2 du « Rôle des tableaux de Boilly », la liste des oeuvres effectivement possédées par Calvet de Lapalun, distincte des dix neufs projets décrits en détail dans « Sujets pour des tableaux ». Le Rôle précise que la première toile appartenait à un ami de Calvet, Alexandre de Tulle, qui le lui avait offert ; et que la seconde a été « inventée par Mr de Tulle ». L’absence de toute description fait que le sujet du pendant reste encore en grande partie énigmatique.
La visite rendue
La visite rendue Le cadeau délicat (inversé)
On reconnait dans cette seconde toile, en format rectangulaire, et inversé, la composition du « Cadeau délicat », réalisé deux ans plus tôt par Boilly. Les inventions d’Alexandre de Tulle sont des différences en apparence mineures, mais qui modifient le sens général :
- la jeune femme ne tient plus de médaillon, mais ses gants ; elle ne porte plus de chapeau ;
- sa compagne n’est plus effrayée, et tient une ombrelle ;
- le chapeau sur le fauteuil n’est plus un haut de forme, mais un bicorne excentrique (qui préfigure ceux que porteront les Incroyables quelques années plus tard);
- l’homme n’est plus de dos, mais il se retourne en souriant ;
- un portrait ovale de femme est accroché au dessus du secrétaire.
La visite reçue
La visite reçue La lettre
La composition se rapproche de « La lettre », dans le pendant de 1787 que nous avions baptisé « L’agréable surprise », mais en plus complexe, car elle se compose en fait de deux scènes simultanées.
Dans la moitié gauche, le souper est servi dans un logement en désordre : la boîte en carton est posée par terre, on a jeté sur le fauteuil une miche de pain, puis une cape, et une guitare par dessus. Un tableau est retourné contre un meuble. La carafe est vide, et la serviette posée dans l’assiette : on n’a pas commencé à souper.
La moitié droite du tableau est tout aussi énigmatique : un jeune messager vient d’amener (ou va prendre) une lettre adressée à « Un Mons<ieur> »..que le jeune femme tient dans la main gauche, en faisant de la droite un geste d’arrêt (à moins qu’elle ne vienne de tourner la clé). S’agit-il d’empêcher le messager de voir l’officier, ou l’officier de voir le messager ?
Un sujet délibérément ambigu
Les habits identiques de la jeune femme, ainsi que le titre, suggèrent que la visitée et la visiteuse sont une seule et même personne. Ainsi se met en route une mécanique interprétative entre deux scènes que rien de tangible ne relie, exercice d’imagination qui est sans doute l’effet même recherché par ce pendant.
Car le titre « La visite reçue » est volontairement ambigu : désigne-t-il celle de l’officier ? ou bien l’irruption du petit messager ? ou bien encore une autre visite, que le tableau ne montre pas ? Et en quoi la visite rendue est-elle la conséquence de la visite reçue, bien que l’officier et l’écrivain ne soient manifestement pas le même homme ? S’agit-il d’un titre ironique, suggérant que la jeune femme ne manque pas de visiteurs ?
Les possibilités narratives sont nombreuses.
La logique du pendant (SCOOP !)
Je pense que c’est A. M. de Poncheville qui a flairé la meilleure explication [3], que je vais développer ici.
La jeune fille allait souper quand l’officier est arrivé à l’improviste (cape sur la miche). Ils ont vidé la carafe en buvant dans le même verre et joué de la musique, la jeune guitariste s’asseyant sur les genoux du claveciniste (pas de chaise visible). Mais un jeune messager a interrompu le concert, probablement pour annoncer l’arrivée d’un autre visiteur. Tout en l’empêchant de voir celui qui est déjà dans la pièce, elle lui donne un billet décommandant l’importun.
Le titre « La visite reçue » a donc un bien aspect ironique, puisque l’un des visiteurs a chassé l’autre.
Nous sommes ici dans le même registre que dans « La Lettre » (sauf que l’écriture du billet n’est pas montrée ou dans « Les conseils maternels » (mais sans les pleurs) : celui des amourettes d’avant mariage, avec leur lot de complications et de coups de théâtre.
Le second tableau nous montre, comme dans « L’amant constant » ou « Le cadeau délicat », une Amour stable. La jeune femme rend visite à son futur, chez lequel elle a ses habitudes. Nous ne sommes plus au stade du médaillon échangé, mais du portrait accroché au dessus du secrétaire.
Ce tableau exposé, s’opposant au tableau retourné, symbolise bien la différence entre l’Amour déclaré et les amourettes versatiles. Nous ne sommes pas dans une histoire ne deux épisodes, mais bien dans un pendant thématique, comme les autres.
Ce schéma récapitule les relations entre ces quatre pendants qui, tout comme le groupe sculpté imaginé par Calvet, illustrent tous l’opposition entre les Amourettes (« le perfide Amour ») et l’Amour Stable (L’hymen).
Ajoutons que Boilly exposa en 1792 un autre pendant du même genre, dont il ne reste que les titres : « La pensée trouvée » et « Femme attachant un médaillon » ([4], p 37)
L’amant jaloux
Boilly 1791, Musée Sandelin Saint Omer
Le N°8 de la suite pour Calvet de Lapalun devait initialement illustrer un opéra comique, « Les fausses apparences ou L’amant jaloux » : derrière le paravent devait se cacher une jeune fille, ce qui ridiculisait le vieillard jaloux. Boilly adopte ici un parti moins convenable : la jeune femme a véritablement un amant et nie l’évidence malgré le souper fin et le portefeuille empli de billets doux, sa mère et sa fille faisant également barrage ; et elle a bien raison, vu l’aspect repoussant du mari qui, de rage, piétine un médaillon.
Le souper interrompu (Poussez ferme !) Le vieillard Jaloux (Ah Ah qu’il est sot !)
Boilly, vers 1791, Norton Simon Art Foundation, Pasadena
Boilly a repris la même scène à son propre profit, dans ce pendant moins élégant qui sera ensuite gravé par Simon Petit sous les titres graveleux de « Poussez ferme ! » et « Ah Ah qu’il est sot ! ».
Susan L. Siegfried ([4], p 8) note combien Boilly adapte l’expression des convenances selon son public, transformant des allusions acceptables pour un aristocrate en détails crus appréciés par des spectateurs moins raffinés. Ainsi, dans cette version vulgaire :
- le souper fin est constitué d’un melon ouvert (côté féminin) et d’une saucisse (côté masculin) ;
- l’amant empoigne le goulot de la bouteille en souriant à la poitrine dénudée de sa partenaire ;
- le vieillard jaloux bourre de coups de poings le chapeau de l’amant ;
- la complice fait le geste des index croisés, qui moque la virilité du jaloux.
La logique du pendant (SCOOP !)
On pourrait croire à deux moments d’une scène de vaudeville (le mari légitime est retardé derrière la porte, puis il réussit à entrer tandis que l’amant se réfugie derrière le paravent) ; mais l’inversion des décors et du sein visible de la jeune femme, les couleurs différentes de la chaise renversée et du ruban dans les cheveux, indiquent que ce n’est pas le cas.
Le titre à double-sens des gravures incite à les considérer comme les métaphores de deux stades d’un processus plus anatomique : celui où l’intéressé est dans la place (« Poussez ferme ! ») et celui où il doit la quitter. Dans les deux cas, le « vieillard » symbolise ce qui peut gêner la plaisir : le manque de vigueur et l’interruption prématurée.
L’amante déçue Le vieillard jaloux
Boilly, vers 1791, autrefois dans la collection Paul Sohège [5]
Dans cette autre pendant, Boilly modifie Le Vieillard jaloux pour l’apparier avec une toile bien différente.
En rentrant chez elle (la cape jetée sur la table), la dame a trouvé une lettre de rupture. De rage elle piétine le portrait de l’amant et arrache son médaillon qu’elle portait au cou. Mais par la porte de droite la servante, l’esprit pratique, amène l’écritoire pour raccommoder les choses.
En rentrant chez lui, le vieux mari a trouve sa femme lisant une lettre d’amour. De rage il piétine le médaillon et laisse tomber sa canne. Mais à droite l’alcôve ouverte laisse entendre qu’une réconciliation sur l’oreiller est possible.
Là encore, il ne s’agit pas malgré les apparences d’un histoire en deux temps, mais de la mise en parallèle ironique d’une même situation : la lettre qui déclenche la colère.
Les commandes de tableaux de genre se raréfiant durant la Révolution, Boilly se lance dans toute une série de gravures alimentaires de qualité très variables, souvent vendues en pendants.
Voilà ma mère, nous sommes perdus ! Jouir par surprise n’alarme pas la pudeur
Boilly, date inconnue, gravures de Beaublé
Dans ces deux scènes très convenues, l’effet comique tient à la figure qui apparaît à l’arrière plan, par la porte ou le rideau :
- la vieille mère interrompt les ébats à peine amorcés sur la chaise (le corsage pend mais le lit n’est pas défait) ; les linges posés sur les différents ustensiles signifient, comme dans les tableaux flamands, le ménage négligé ; mais ils évoquent aussi comiquement, par une métaphore visuelle, la situation du galant réfugié sous le couvre-lit ;
- le voyeur, en revanche, « n’alarme pas » (ne gêne pas) la jeune fille qui lace sa jarretière (les chaussons plats qu’elle porte encore montrent qu’elle est en train de s’habiller, et donc que le jeune homme a déjà assisté au meilleur) ; le minou – comme souvent au XVIIIème siècle, effectue à l’intérieur de la gravure le rôle espéré par le galant : attraper le ruban et empêcher le rhabillage.
« Ah, Qu’il est gentil ! » (La Cocarde Nationale)
« Ah, Qu’elle est gentille ! »
Boilly, 1791, gravures de Bonnefoy
- D’un côté, une jeune femme au buste avantageux ajuste un bicorne républicain sur un séduisant militaire, en lui tenant le menton.
- De l’autre, un jeune mari au jabot avantageux ajuste une couronne de rose sur un séduisante mère en lui tenant le menton.
Le petit garçon vient, par une sorte d’automatisme d’Ancien Régime, classer ce pendant dans la catégorie Amourette/ Amour durable.
La Précaution L’Amusement de la Campagne
La Solitude La Jarretière
La Jardinière L’Attention dangereuse
Entre 1789 et 1793, Boilly réalise une série de six jeunes filles en extérieur, destinées à être gravées par Tresca. Les appariements proposés ici sont arbitraires, les motifs étant conçus pour se répondre à volonté. A noter, dans la dernière gravure, le détail qui suscite l’attention de la demoiselle, et que nous allons tout de suite retrouver.
Les pendants grivois
La serinette, 1791, Boilly, Collection privée
Ce tableau détourne un thème déjà traité par Chardin (voir La douce prison) : le serinette, boîte à musique destinée à entraîner les oiseaux à chanter, les incite ici à copuler, et leur maîtresse toute émotionnée à dégrafer son corsage.
Le tableau a été gravé par Honoré, avec pour pendant « Ils sont éclos » de Van Gorp, qui montrait visiblement le résultat de l’opération
La dispute de la rose La rose prise
Boilly, 1791, gravures de Eymar
Le sujet de la rose à défendre contre les avances masculines était un poncif de l’époque (voir 4 La cruche cassée (version révolutionnaire) ):
Le corsage dégrafé de la fille, sa main entre les cuisses, son sourire plus satisfait que moqueur, et la rose posée maintenant sur l’entrejambe du garçon, invitent à une lecture Avant-Après qui laisse deviner ce qui s’est passé entre les deux (voir Une transformation).
C’est alors qu’un alibi purement graphique et parfaitement hypocrite vient démentir la lecture séquentielle : l’inversion des décors, les deux races de chiens, la modification de la statue de l’Amour (qui fait le geste de la discrétion, puis celui de la douleur) prétendent qu’il ne faut pas lire le pendant comme une histoire en deux temps, mais comme une opposition parfaitement morale : la Fille sérieuse et le Galant puni (qui s’y frotte se pique… le doigt).
Ce pendant audacieux, mais pas encore osé, va laisser place à des productions de plus en plus grivoises.
Le Modèle disposé, Schall Le Prélude de Nina, Boilly
1790, gravures de Chaponnier
Tandis que Schall peint une scène galante, mais prosaïque (la chaufferette ne sert qu’à réchauffer), Boilly met en musique, de manière aussi inventive que suggestive, un véritable vocabulaire sexuel des objets (voir Surprises et sous-entendus).
La comparaison des petits pieds L’amant favorisé
Boilly, 1791, gravures de Chaponnier
Les deux scènes sont surtout des prétextes à montrer une poitrine dénudée et des petits souliers pointus. Le pendant se justifie, faiblement, par le rôle des portes :
- dans la première gravure, elle laisse passer le voyeur qui se faufile au ras du sol :
- dans la seconde, l’une favorise la fuite de l’amant et l’autre retient le mari (ou plus probablement un autre amant, vu l’expression peu effrayée de la fille) ;
Mais le vrai sujet, sous-entendu par les titres, est celui de la comparaison et du choix : les deux filles échangent leurs souliers, la fille a choisi l‘amant qui lui va le mieux.
La comparaison des petits pieds
Boilly, vers 1791, Collection privée
Boilly a réalisé en peinture une version plus décente, où les couleurs montrent bien l’échange de souliers et où le voyeur, moins audacieux, est un abbé poudré qui reste derrière la porte. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce sujet est décrit en bien plus scabreux par le bienséant Calvet de Lapalun au N°9 de « Sujets pour des tableaux » sous le titre « L’abbé, juge des petits pieds » : il y rajoute une soubrette qui se moque de la « coquetterie » de l’homme efféminé, « avec sa frisure avec art arrangée… une fleur à la boutonnière et un éventail à la main » [6]
Çà ira Çà a été
Boilly, vers 1792, gravures de Texier
Ici seule l’inversion de la position du lit et de la source de lumière s’oppose encore faiblement, comme par un reste de convention bienséante, à la lecture Avant-Après, confortée par la crudité des titres. Plus tard, le second sera d’ailleurs modifié, par prudence, en « Le lever des époux » ([7] , p 49).
La douce résistance On la tire aujourd’hui
Boilly 1794, gravures de Tresca.
Autant la première estampe est dans la droite ligne des gravures galantes de l’Ancien Régime, autant la seconde est provocante par son titre à double-sens, qui prend comme prétexte les billets de loterie du jeune homme pour suggérer le geste que la jeune femme au téton baladeur ne fait pas (pour plus de détails sur cette estampe, voir Surprises et sous-entendus). Il est possible également que la licence, coutumière côté aristocrate emperruqué, ait été jugée transgressive côté bourgeois en chapeau.
Quoiqu’il en soit, sous la Terreur, en avril 1794, Bailly fut dénoncé pour immoralité devant la Société Républicaine des Arts, pour les estampes dont aucun alibi ne voile l’intention érotique, telles justement que On la tire aujourd’hui ou La comparaison des petits pieds .
Défends-moi La leçon d’union conjugale
Boilly, date inconnue, gravures de Petit
Ce pendant un peu plus acceptable renoue avec la veine Amourette – Amour stable : à gauche la fille fait mine de pousser son bichon à attaquer le jeune homme qui dénoue sa jarretière, mais le geste de sa main tendue est toujours aussi suggestif. A droite l’union stable est sanctifiée par les deux tourterelles et les deux gants blancs (voir Les oiseaux licencieux).
Défends-moi Tu saurais ma pensée
Boilly, date inconnue, gravures de Petit
La gravure la plus osée, « Défends-moi », était parfois contrebalancée par cette autre gravure, à la moralité irréprochable : les deux prennent le café, et la belle superstitieuse refuse de boire dans la tasse de son soupirant, ce qui lui révélerait ses pensées. En illusionniste confirmé, Boilly attire l’oeil sur la main qui refuse et laisse dans l’ombre celle qui traîne au dessous de la table.
La leçon de dessin, la leçon de musique
Boilly, date inconnue, dessin, collection privée
Après toutes ces scènes tendancieuses, ce pendant de couple frappe par l’absence de tout sous-entendu : l’homme est simplement un maître de dessin et de musique, son crayon n’est qu’un crayon et son archet qu’un archet.
Le repos durant la Leçon de Musique Boilly, date inconnue, dessin, collection privée
Il existe néanmoins une version plus intrusive, dans laquelle le chien a sauté du tabouret sur les cuisses de sa maîtresse, et où la main a abandonné l’archet on ne sait où.
Le Sommeil trompeur Le Réveil prémédité
Boilly, 1796, collection privée
Cet autre pendant très sage est sans doute le dernier de Boilly dans le style Ancien Régime :
- une jeune femme qui rentre de promenade (avec sa canne et à demi gantée) récupère le livre que le musicien endormi allait laisser tomber par terre ;
- une jeune femme sur le point de sortir est soudainement enlacée par le musicien, qui faisait semblant de dormir, et le livre tombe quand même.
Le grand intérêt de ce pensant est qu’il nous livre une autre raison de la réticence de Boilly à traiter dans un même décor et avec les mêmes personnage deux scènes clairement conçues pour être consécutives (comme le prouve le détail du livre). Il ne s’agit pas ici d’éluder une scène intermédiaire scandaleuse mais, dans une optique d’artisan consciencieux, de justifier ses prix en livrant une composition graphiquement complète, couleurs chaudes contre couleurs froides, cheveux blonds contre cheveux bruns : deux types de beauté féminine.
La préférence pour la richesse visuelle contre la vérité narrative est une convention raffinée, dont la mode touche à sa fin.
Les pendants sentimentaux
Boilly a fort peu exploité la veine du sentimentalisme à la Greuze et, lorsqu’il le fait, c’est avec une forme de crudité visuelle, d’alternance du chaud et du froid, qui confine à la Cruauté.
La crainte mal fondée La tourterelle
Boilly, vers 1785, collection privée
Ce pendant non daté remonte probablement aux premières années de Boilly à Paris, à la fin du règne de Louis XVI.
Dans le premier tableau, la grande soeur console son petit frère, effrayé par le chien (qu’elle s’est sans doute amusé à exciter contre lui). Dans le second, pour se faire pardonner, elle se laisse bécoter les lèvres par l’oiseau sorti de sa cage.
Sous une apparence charmante, le pendant n’est pas exempt d’arrières-pensée : encore à l’âge tendre, la fillette s’exerce déjà à son métier de femme (sur le thème du baiser de l’oiseau, voir L’oiseau chéri).
L’Affligeante Nouvelle Les Coeurs reconnaissants, The Ramsbury Manor Foundation
Boilly, 1791
Le pendant existe en couleur, et en imitation d’estampe (j’ai ici mélangé les deux).
Dans l’ordre d’accrochage optimiste :
- le malheur : un curé, suivi par son bedeau, vient apprendre à une mère de famille le décès de son époux ;
- le bonheur : sous l’oeil approbateur d’une bonne soeur, une dame riche, suivie d’un laquais, offre une bourse à une famille méritante.
Mais un détail – la brouette-jouet avec le tambour cachés sous la table – nous indique que la femme en deuil est riche. Du coup vient l’idée d’un accrochage pessimiste :
Les Coeurs reconnaissants, The Ramsbury Manor Foundation
L’Affligeante Nouvelle
La riche dame a beau faire la charité aux pauvres, elle aussi finira frappée par le malheur.
Références : [1] Henry Harrisse « L. L. Boilly, peintre, dessinateur, et lithographe; sa vie et son œuvre, 1761-1845; étude suivie d’une description de treize cent soixante tableaux, portraits, dessins et lithographies de cet artiste » https://archive.org/details/gri_33125003381288/page/n165 [2] Catalogue de quatre tableaux célèbres par L.-L. Boilly.- COLLECTION PAUL SOHEGE – 1900Pour la suite de la carrière de Boilly, voir 2 Les pendants de Boilly : du Directoire à la Restauration
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k12483698.texteImage [3] A. M. de Poncheville « A L’EXPOSITION BOILLY », Revue des Deux Mondes, SEPTIÈME PÉRIODE, Vol. 58, No. 1 (1er JUILLET 1930), pp. 224-229
https://www.jstor.org/stable/44850579 [4] Susan L. Siegfried, « The Art of Louis-Leopold Boilly – Modern Life in Napoleonic France » [5] Catalogue de quatre tableaux célèbres par L.-L. Boilly.- COLLECTION PAUL SOHEGE – 1900
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k12483698.texteImage [6] John S. Hallam, « Boilly et Calvet de Lapalun », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1985, Page 177 et ss [7] André Mabille de Poncheville, Boilly, 1931