J'ai eu le plaisir il y a quelques jours de collaborer avec F, le supplément du Figaro. Pour ce numéro consacré au champagne, j'ai été contacté pour raconter les liens entre le stade de Reims, club phare du foot français dans les années 50 et les maisons de champagne de la région de Reims. Le numéro étant déjà sorti depuis plus d'une semaine, je me permets de vous mettre ici le texte intégral (il a été un peu coupé dans le magazine... ok, j'avais fait un peu long... comme d'habitude depuis 30 ans que je fais ce métier).
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Football champagne
Les destins du champagne et du Stade de Reims, club phare du football français dans les années 50, ont longtemps été liés. Souvent pour le meilleur, parfois pour le pire.
Dans son abbaye Saint-Pierre, à Hautvillers, petit village au cœur du vignoble champenois, sur les hauteurs de la vallée de la Marne, le moine Dom Pérignon ne pouvait imaginer, à la fin du XVIIe siècle, que son « invention » allait traverser les siècles et voyager à travers le monde. Que sa méthode champenoise de vinification des vins effervescents, ramenée d’un voyage à Limoux, allait influencer de nombreux aspects de la société. Y compris dans des domaines insoupçonnés à l’époque.
Deux siècles plus tard, à la fin du XIXe siècle, des Anglais eurent la drôle d’idée de transformer la soule, le jeu traditionnel du moyen-âge, et de ne plus utiliser que les pieds pour se passer le ballon. Ainsi naissait le football. Exporté en France un peu plus tard (premier club au Havre en 1894), ce nouveau jeu séduisit vite les masses populaires à un moment où l’activité sportive commençait à entrer dans les usages. A Reims, un lien très fort va se créer entre le football et le champagne.
Le comte Maxence de Polignac, dont la famille dirige la maison de champagne Pommery et Greno, décide de faire réaliser à proximité de ses caves un grand parc pour permettre aux familles de se promener, mais aussi de faire du sport. Ouvriers du vignoble, vignerons et cavistes se rassemblent et composent l’équipe de football de la Société Sportive du Parc Pommery (SSPP), avec ses maillots or, ses culottes et bas verts foncés, couleurs choisies pour rappeler celles du champagne.
Pour développer les ventes, les équipages des paquebots transatlantiques sont régulièrement invités au domaine Pommery. Anglais et Américains sont conviés à de fastueuses réceptions avec l’espoir de les voir reprendre la mer avec des bateaux remplis de caisses de champagne. Dans le même temps, des rencontres de football sont organisées entre les matelots anglophones et la SSPP qui devient vite le club phare de la ville. Au fil des ans, ce club se transforme et, le 18 juin 1931, la sous-préfecture de la Marne enregistre la création d’un nouveau club : le Stade de Reims. Au sortir de la guerre, la fusion avec le Sporting de Reims, en plus d’apporter le Rouge et Blanc comme nouvelles couleurs des maillots, amène aux commandes du club deux nouveaux dirigeants qui vont une fois encore rassembler champagne et football.
Victor Canard et Henri Germain sont les deux nouveaux hommes forts du Stade de Reims. Le premier est le petit-fils de Victor Canard, tonnelier, et Léonie Duchêne, fille de vigneron, fondateurs en 1868 de la maison Canard-Duchêne dont la production était particulièrement appréciée à la cour impériale de Russie du tsar Nicolas II. Le blason de la marque reprend d’ailleurs l’aigle bicéphale de la famille impériale russe. Henri Germain est né en 1906 à Ludes-le-Coquet, à une quinzaine de kilomètres au sud de Reims. Lui aussi est à la tête d’une maison de champagne à Rilly-la-Montagne. Après une brouille entre les deux hommes, Germain prend seul les rênes du club, en 1953. A l’exception d’un court intermède entre 1966 et 1970, il restera « Monsieur le Président » jusqu’en 1977. Sous son ère, le Stade de Reims remportera six titres de Champion de France de 1949 à 1962, deux Coupes de France en 1950 et 1958, et disputera deux finales de la Coupe d’Europe des Clubs Champions (1956 et 1959, battu les deux fois par le Real Madrid). Ses joueurs, Albert Batteux, Raymond Kopa, Roger Piantoni, Just Fontaine, etc. formeront pendant plus d’une décennie l’ossature de l’équipe de France, avec comme coup d’éclat la troisième place de la Coupe du monde 1958, en Suède.Dans le stade Auguste-Delaune bâti le long de la Vesle au milieu des années 30, avec son vélodrome qui accueillit le Tour de France à quatre reprises, l’époque n’est pas encore aux loges, aux VIP et aux petits fours. Mais le champagne est un invité permanent. Dans les brasseries de la Place d’Erlon, au siège du club rue Buirette, ou encore à l’Idole Bar, le quartier général des joueurs rémois, il accompagne également toutes les festivités. Pour les dirigeants, les joueurs, les dirigeants et même les journalistes. « Aller à Reims était toujours un grand plaisir, racontait Max Urbini, grande plume de L’Equipe et de France Football, toujours très ému quand il évoquait le Stade de Reims. Immanquablement, Albert Batteux ou Henri Germain venait nous chercher à la gare. Nous n’étions pas reçus, nous étions accueillis. Nous refaisions le monde autour d’une coupe. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir bu autre chose que du champagne à Reims. A Noël, nous recevions toujours à la rédaction une caisse de champagne Henri Germain. La tradition voulait qu’on en recommande une deuxième. C’était un vrai cadeau d’amitié. » Le sens du savoir recevoir, une constante dans l’ADN du Stade de Reims. « A la fin du match, les joueurs de l’équipe adverse trouvent traditionnellement six bouteilles et douze sandwiches, lit-on dans l’Equipe au milieu des années 60. Les arbitres sont également soignés. Tout le monde, à l’arrivée, aime venir à Reims. » Le champagne offert aux adversaires, une tradition rémoise encore d’actualité aujourd’hui. Avec parfois quelques effets secondaires. Comme en 1957, à l’occasion d’un seizième de finale de la Coupe de France.
Préposée au tirage au sort, Elyane Celis, chanteuse belge populaire au milieu des années 50, avait comblé les amateurs du club algérien d’El-Biar, en leur désignant pour adversaires les stars internationales du Stade de Reims. A la mi-temps, l’euphorie règne dans les vestiaires des amateurs qui mènent 2-0 à la surprise générale. Au point de vouloir ouvrir le champagne offert par le président Germain avant la rencontre. « Les dirigeants nous ont dit, vous êtes fous, racontait Roland Almodovar, un des buteurs d’El-Biar, il y a quelques années. Ils nous ont convaincus que nous pouvions tenir. » Et ils ont tenu pour signer un des plus grands exploits de l’histoire de la Coupe de France. Cette fois-ci, le champagne du président n’a pu sauver le Stade de Reims.
L’industrie du champagne ne le sauvera pas plus dans les années suivantes. Malgré ses bons résultats, les tribunes sonnent souvent creux. Les maisons de champagne ont les moyens d’apporter des moyens financiers au club. Mais elles n’en ont pas ou peu la volonté. Trop populaire, trop éloigné de l’image de luxe que les grandes marques veulent véhiculer. La voile, le golf, les concours équestres ont davantage leur préférence. « Robert Jonquet m’a dit un jour ‘’si les maisons de champagne reversaient un seul centime par bouteille de champagne vendue, le club serait sauvé’’ », se souvient Richard Gaud, joueur amateur du Stade de Reims à la belle époque, devenu ensuite journaliste au quotidien L’Union. Hélas, ce ne fut jamais envisagé. »Comme un symbole, la première publicité à apparaitre sur les maillots de Division 1, en décembre 1968, est celle de Vittel. Une marque d’eau… un comble au pays du champagne.
La loi Evin, promulguée en 1991, avec son encadrement très strict de la publicité pour les boissons alcoolisées a rendu encore plus discrète la collaboration des maisons de champagne. Une liquidation judiciaire du club sera même prononcée par le tribunal de Reims en octobre 91. Présente depuis l’origine sur l’écusson du club, la bouteille de champagne disparait du nouveau logo dessiné en 1999. Comme un symbole. Les temps ont changé mais les traditions, elles, continuent d’être respectées. Aujourd’hui encore, dans les nouvelles loges d’un stade Auguste-Delaune complètement rénové depuis 2008, les flutes remplies des plus prestigieuses cuvées continuent d’être les témoins de toutes les discussions. Et nul doute que le champagne continuera d’accompagner encore longtemps la destinée des Rouge et Blanc. Avec peut-être même pour certaines grandes occasions, le plaisir de déboucher de grands crus. Un millésime Dom Pérignon, par exemple.