Séjour dans les Monts Fuchun – Paysages humains

Par Le7cafe @le7cafe

Et au milieu coule une rivière.

J'ai pris un peu de retard, à cause d'examens et autres rendus de projet, mais me revoilà ! Près de trois semaines après la fin du Festival International du Film d'Amiens, et après avoir parlé du cinéma soudanais avec le superbe documentaire Talking About Trees (qui sort la semaine prochaine en salles), partons faire un tour en Chine avec un film qui a, avant son passage à Amiens, eu l'honneur de clôturer la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes. Fais ta valise Billy, nous partons en Séjour dans les Monts Fuchun !

SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN

Réalisateur : Xiaogang Gu

Acteurs principaux : Qian Youfa, Wang Fengjuan, Sun Zhangjian, Sun Zhangwei

Date de sortie : 1er janvier 2020 (France) - Projeté le 22 novembre 2019 au Festival International du Film d'Amiens

Pays : Chine

Durée : 2h34

PREMIER TABLEAU

Séjour dans les Monts Fuchun avait déjà piqué ma curiosité lors de son passage à Cannes, d'une part pour les retours dithyrambiques auxquels il a eu droit, d'autre part pour la majesté des quelques images que j'avais pu en voir. Ainsi, quand j'ai vu qu'il serait diffusé pour le Festival du Film d'Amiens, en compétition dans la catégorie Long-Métrage de Fiction, j'ai profité d'une petite fenêtre dans mon emploi du temps limité pour aller enfin découvrir ce fameux film, en tant que ma deuxième et dernière séance du festival. Ticket en poche, vert et non plus jaune cette fois-ci, je m'installe dans la nouvelle salle festival du Gaumont Amiens, et c'est parti.

Avant toute chose, il convient de savoir que le film s'inspire, et tire son titre ( en VO), d'une œuvre traditionnelle chinoise datant du XIVème siècle ; une peinture sur rouleau de l'artiste Huang Gongwang, représentant les monts et la rivière Fuchun (sans blague), se situant dans une province à l'est du pays, quasiment à la verticale de Taïwan. L'œuvre, monumentale, s'étend sur quasiment 7 mètres de long pour un peu plus de 30 centimètres de hauteur, et marque par sa beauté et son harmonie, simple, humble, mais envoûtante. Elle sera d'ailleurs citée explicitement dans le film par un des personnages pendant une leçon.

La volonté de Xiaogang Gu avec Séjour dans les Monts Fuchun (le film, pas la peinture, tu suis ?) est de transcender l'essence de cette œuvre en lui ajoutant une dimension temporelle, passant alors de la peinture au cinéma, de l'image fixe à l'image en mouvement. Du rouleau, il conserve l'ampleur écrasante et la magnificence des paysages, s'adonnant régulièrement à des plans-séquence ou des panoramas absolument ahurissants, dont la merveille ressortait déjà des quelques images qui m'avaient attiré vers ce film - sur ce point au moins, je ne fus pas déçu. Il conserve également la rivière Fuchun comme cadre de son récit ; l'histoire d'une famille de quatre fils dont la mère, après un accident lors de ses 70 ans, tombe malade et perd peu à peu ses capacités physiques et intellectuelles. Les destins des fils, des oncles, des tantes, des nièces, des cousins, de la grand-mère et de tant d'autres personnages se croisent et se recroisent durant quatre saisons - chacune centrée sur un des quatre fils -, et le temps passe comme l'eau coule dans la rivière.

TRADITION ET MODERNITÉ

Le film est une exploration des liens et oppositions entre tradition et modernité. Il y a dans la Chine dépeinte par le réalisateur une cohabitation presque oxymorique, où les pagodes traditionnelles surplombant les berges du fleuve font face aux immeubles modernes sur la rive opposée, où les uns se déplacent sur d'anciens bateaux de bois à fond plat tandis que les autres roulent en grosse berline, où l'on croise un arbre séculaire au détour d'un chemin tout en ayant son téléphone portable à la main.

Cela s'exprime également à travers les histoires des différents personnages, notamment par le biais de Guxi, la fille du premier fils, qui est tiraillée entre le mariage arrangé par ses parents d'un côté et son amour pour un enseignant de l'autre. Mais aussi par les liens familiaux entre les quatre fils et leur mère sénile, dont ils prennent la charge tour à tour comme le poids des traditions anciennes qui pèse constamment sur leurs épaules, qui n'a pas toujours de sens mais dont on ne sait trop que faire d'autre.

Comme le montrait déjà Hu Bo plus tôt cette année dans An Elephant Sitting Still, la modernité chinoise rime aussi avec pauvreté. Loin du faste des palais impériaux et du rouge opulent et des dorures des pagodes médiévales, la Chine moderne est aussi misérable, polluée, et gangrénée par la mafia. Certes, on n'atteint ici jamais les tréfonds de ce que pouvait montrer le film de Hu Bo, mais il n'en demeure pas moins qu'il y a matière à s'attrister de voir les conditions de vie de nos personnages - immeubles miteux, travail modeste, quartiers abandonnés...

Finalement, le film lui-même est représentatif de ce prisme entre tradition et modernité lorsqu'il est mis en parallèle avec la peinture de laquelle il découle. Qu'est ce qu'un séjour dans les monts Fuchun en 2019 par rapport à la même chose presque sept siècles plus tôt ? Comment l'essence de ce que capturait la majestueuse peinture sur rouleau s'exprime-t-elle encore à travers la pellicule ; ou à l'inverse comment a-t-elle été détruite par le monde moderne ? Ou encore, que reste-t-il d'hier dans le monde d'aujourd'hui et que restera-t-il d'aujourd'hui dans le monde de demain ?

L'HISTOIRE DE LA VIE

Dans le fond, Séjour dans les Monts Fuchun est un ambitieux agrégat de paysages humains ; mais ce qu'il réussit à merveille en termes de paysages, il le manque effroyablement dans l'humain. On a peine à s'investir dans les histoires banales de cette famille trop nombreuse pour qu'on puisse réellement s'intéresser aux personnages. Il en va de la volonté du réalisateur de s'être rapproché de la réalité en déroulant les destins de la famille, mais le problème de la réalité c'est que c'est bien souvent prévisible. Tout est déjà vu ou réchauffé, les dilemmes amoureux, les disputes familiales, etc, etc... Et il apparaît évident dès même la première scène que la grand-mère ne survivra pas au film. En bref, les 2 heures 34 du film m'ont paru bien plus longues que les 3 heures 50 d'An Elephant Sitting Still. C'est dire.

À un moment du film, le troisième fils découvre par hasard dans un appartement en voie de démolition une valise poussiéreuse remplie de vieilles photographies. De la vie des anciens occupants de l'immeuble, il ne reste que ces quelques souvenirs figés sur papier. Et en fin de compte, cette valise est un peu comme la vie, en ce sens qu'on ne retient que les moments importants, que les moments qui comptent - comme ces photos - et pas tous les moments de vide où il ne se passe rien dont la vie est aussi faite. Il en va de même pour Séjour dans les Monts Fuchun. C'est un grand ensemble de rien et de flottement, clairsemé de plans magnifiques et de brefs instants mémorables. Et c'est sans doute comme ça qu'on peut le mieux l'apprécier : en photo.

En plus, c'est censé être le premier volet d'une trilogie. Et bah les suites se feront sans moi...

LE MOT DE LA FIN

Séjour dans les Monts Fuchun se caractérise par un formidable travail esthétique prenant source directement de la peinture traditionnelle dont il est inspiré, peinte plusieurs siècles auparavant. Mais au delà de ça, le film peine à exploiter ses thèmes en profondeur et à consolider l'intérêt du spectateur pour la famille dont il suit les destin le long de la rivière et d'une année. On en retiendra tout de même de belles images...

Note : 5,75 / 10

" GUXI - C'est long, une vie. "

- Arthur

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