Esther Lederberg

Publié le 09 décembre 2019 par Taupo

Une nouvelle chronique pointe le bout de son nez sur Podcast Science : "Not Just The Wife", [Pas seulement “femme de”], qui est une traduction des épisodes du Dr Kat Arney du Podcast Genetics Unzipped, le podcast de la Société de Génétique du Royaume Uni. Genetics Unzipped est produit par First Create The Media. Retrouvez Kat Arney, Genetics Unzipped et First Create The Media sur twitter (@Kat_Arney @geneticsunzip @FirstCreateMe). La traduction a été réalisée par Élise et Pierre Kerner et son incarnation par la jolie voix d’Élise Kerner. Cette première chronique s’intéresse à l’histoire d’Esther Lederberg (Épisode Originel).

Transcription de la chronique :
New York, 1922. Le temps des bars clandestins, de la prohibition et des petits porte monnaies… vides. C’est la semaine qui suit Hannukkah dans le Bronx et Pauline et David Zimmer viennent de donner naissance à Esther.
La famille Zimmer vit avec peu de moyens mais la jeune Esther excelle à l’école, et parvient à intégrer le Hunter College qui fait partie de l’université publique de New York City. Mais au lieu d’étudier les langues ou la littérature, comme le souhaitaient ses professeurs, elle se consacre à la Biochimie. Ce n’est vraiment pas un sujet pour une jeune fille juive, et certainement pas une discipline permettant de faire carrière. Science, schmience…
Esther devient pourtant une superstar universitaire et sera diplômée, avec les honneurs, à tout juste 20 ans. Elle occupe alors un poste d’assistante de recherche pour Alexander Hollaender, dans un laboratoire de l’État de New York, le futur célèbre Cold Spring Harbor. Elle y publie son premier article sur la génétique de Neurospora, un champignon qui cause les moisissures pourpres sur le pain.

Quelques années plus tard, en 1942, elle remporte une bourse pour intégrer l’Université de Stanford en Californie, et entame ainsi sa carrière de chercheuse indépendante, chez George Beadle - retenez ce nom.
Issue d’une famille pauvre, dans l’incapacité de la soutenir financièrement, Esther doit compléter son maigre salaire en travaillant comme assistante d’enseignement et parvient à négocier un logement gratuit en échange des corvées ménagères de sa propriétaire. Elle se résigne parfois à manger des cuisses de grenouilles…  issues de ses classes de dissection!
1946 représente une année importante pour Esther Zimmer : non seulement elle obtient son diplôme de Stanford, mais elle se marie aussi à Joshua Lederberg. Et c’est là que les choses se compliquent.
A ce moment, Lederberg, de trois ans son cadet, a déjà obtenu un poste de Professeur Assistant à l’Université du Wisconsin, alors qu’il n’a même pas achevé son doctorat. Sa jeune épouse quitte donc la Californie pour le rejoindre et travailler sur sa propre thèse en génétique bactérienne.

Pendant son doctorat, Esther réalise la découverte la plus importante de sa carrière : le phage lambda, un nouvel exemple d’une famille de virus appelés les bactériophages, et dont le matériel génétique se cache dans l’ADN des bactéries.

Ces virus se multiplient et font exploser leurs hôtes lorsque ceux-ci perçoivent signaux déclencheurs comme par exemple la lumière UV. Esther se plonge dans le monde des Lambda, ainsi que son mari Joshua et le reste de leur équipe. Leurs recherches portent notamment sur la manière dont le matériel génétique des virus est transféré d’une bactérie à l’autre. Cela les mène à la découverte d’un élément clé, fondamental dans la sexualité des bactéries : le facteur F, aussi connu sous le nom de facteur de Fertilité.
Au cours de ses recherches, Esther développe une technique particulièrement importante en microbiologie : la réplication de culture bactérienne. Cette méthode, encore employée aujourd’hui dans les laboratoires du monde entier, permet de réaliser une copie parfaite de colonies bactériennes cultivées sur gélose nutritive dans une boîte de Petri. Esther invente un système ingénieux : elle applique un tampon recouvert de tissu en velours sur la surface d’une  boîte de Petri où poussent des bactéries, qu’elle réapplique ensuite sur une boîte vierge. Dans cette procédure, les fibres du tissu agissent comme de minuscules seringues, récupérant juste assez de bactéries pour démarrer une nouvelle colonie, sur le milieu de la nouvelle boîte de Petri. Une idée simple, mais que personne n’avait eu jusqu’alors, et qui a révolutionné la discipline de la microbiologie.

Détail savoureusement féminin de cette histoire : elle teste pour la première fois son idée en utilisant l’applicateur de son nécessaire de maquillage et passe ensuite un temps conséquent à chercher la marque de maquillage offrant le meilleur applicateur pour une telle procédure, mais aussi à expérimenter le protocole idéal pour laver ce matériel afin d’obtenir le meilleurs résultats. Au point de réaliser des comparaisons entre les différents détergents à utiliser.
1958 est une autre année importante pour les Lederbergs - Joshua gagne un prix Nobel récompensant son travail de recherche sur la manière dont du matériel génétique peut être transféré entre bactéries, mais aussi sur la manière dont les gènes bactériens sont régulés.
De nombreux prix Nobel sont partagés entre les différents chercheurs impliqués dans les recherches estimées révolutionnaires. Et dans notre cas, qui donc a partagé ce Prix Nobel avec Joshua Lederbergs ? Certainement pas sa femme, alors que son travail sur les phages Lambda et les bactéries a été crucial pour le succès des recherches de son mari. C’est Edward Tatum mais aussi George Beadle, le précédent directeur de recherche d’Esther à Stanford, qui se sont vus récompensés. Esther n’a pas même été mentionnée une seule fois durant le discours de ces trois messieurs.
Les Lederbergs prennent ensuite la route vers Stanford où Joshua a été invité à créer et diriger un nouveau Département de Génétique. Alors qu’ils ont sensiblement le même âge et des capacités intellectuelles identiques, la carrière des deux époux a été nettement différente. Joshua a cumulé les postes, d’enseignement, de direction de Départements Scientifique jusqu’à son élection à la prestigieuse Académie Nationale des Sciences.
Mais alors que la carrière de son mari poursuit son ascension, en partie grâce à son travail, Esther lutte pour trouver un emploi à Stanford. Avec deux autres chercheuses, elle sollicite le Doyen de l’université pour exiger qu’au moins une femme soit admise parmi les équipes scientifiques. Elle réussit finalement à obtenir un poste, pour lequel elle est surqualifiée, et qui ne lui a été proposé que parce qu’il n’était pas payé.
Sans grande surprise, les Lederbergs divorcent en 1966, et Esther fonde rapidement à Stanford un groupe de soutien pour femmes divorcées, parait-il très animé.
Enfin indépendante, Esther brigue la direction du Centre de Référencement de Plasmides de Stanford.

Les plasmides sont de petites molécules circulaires d’ADN pouvant être transféré dans des bactéries pour accomplir toute sorte de protocoles de microbiologie. Elle poursuivra cette activité bénévolement après sa retraite, en 1985, l’année où enfin, Stanford lui décerna le titre honorifique de Professeur Émérite.
La Science n’était pas la seule passion d’Esther, qui était également grande amatrice de musique médiévale, baroque et de renaissante. Elle a même fondé un orchestre de flûtes à bec, encore actif aujourd’hui dans le parc de Menlo, dans la Baie de San Francisco. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle a rencontré son second mari, Matthew Simon, qu’elle a épousé en 1993, alors âgée de 70 ans.
Esther est décédée en 2006, à l’âge de 83 ans. Comble de la frustration, sa nécrologie dans le New York Times mentionne 4 fois son ex-mari, évoquant sa présidence de l’Université Rockefeller et le fait qu’il venait d’obtenir la médaille de la liberté, décernée par George Bush. Même après sa mort, elle restait dans l’ombre de l’homme dont elle avait divorcé 40 ans plus tôt.
L’chaim, Esther! Que ta propre histoire soit désormais transmise !

Montage par Pierre Kerner, la musique est un enregistrement datant de 1924 du Rhapsody In Blue, de Gershwin.

Références et Liens:
Nécrologie The Guardian
Nécrologie The New York Times
Invisible Esther, JAX
Microbioly Pioneer, Stanford Magazine