Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 331

Publié le 08 décembre 2019 par Antropologia

Quotidien de misère

Samedi dans un rayon de supermarché.  Un homme, la soixantaine, et une employée conversent. Lui parle de son genou douloureux et de la mutuelle ʺ qu’ « ils » nous ont changé sans rien nous direˮ ! Elle acquiesce, je comprends qu’ils sont collègues. Il continue :

  • Il faut que j’y aille, parce que celle-là, elle ne vaut rien !

Elle acquiesce encore. Il reprend :

  • C’est mon dernier jour aujourd’hui, je suis rentré en 1985 !
  • Moi j’aurais pu partir à 60 aussi mais je me suis arrêtée quelques mois, du coup je dois aller jusqu’à 62 ans… répond-elle d’une voix lasse.

Plus tard, j’attends à la caisse et la même vendeuse arrive derrière moi, un misérable sandwich emballé à la main. Sa journée de travail est sans doute terminée. Elle prend des nouvelles de sa collègue caissière :

  • Ça va mieux toi ?
  • Non. J’ai dû prendre froid !
  • Oui, c’est comme moi avec mes cervicales…

Merci les jours de carence… Elle salue enfin l’autre caissier :

  • A demain !
  • Non ! Demain c’est mon jour de repos !

Sa voix exprime un triomphe dérisoire.

Jeudi, ils ne seront pas à la manif. Quoi que l’on essaie de nous faire croire, ce ne seront pas les privilégiés qui y seront mais ceux qui ont encore les moyens de défendre les droits de tout le monde.

Colette Milhé