J'ai été interviewée à la rentrée 2019 par un étudiant en journalisme préparant un dossier sur les "Nouvelles féministes", voici ses questions et mes réponses :
On voit émerger depuis plusieurs années, un militantisme féministe toujours plus actif sur internet. Comment le décririez-vous ?
Les réseaux sociaux ont été une aubaine pour les activistes et la militance en général, les féministes ne sont pas une exception. Leurs modalités d'action ne sont pas non plus spécifiques, il s'agit de trouver des messages simples et de les répéter ad nauseam. De ne pas véhiculer des arguments, des outils pour la pensée, l'échange, le dialogue, mais des éléments de langage et du débat préfabriqué. Ce n'est pas un monde, ce ne sont pas des codes qui m'intéressent.
Comment internet a t-il (ou non) participer au renouvellement des idées féministes ?
Je ne vois pas de renouvellement, mais une sorte d'éternel retour du pire. Les « débats » qui semblent aujourd'hui hyper « actuels » sur l'écriture inclusive, les prétendues attaques contre la « dignité » féminine dans l'art / la publicité ou la soi-disant « invisibilisation » du clitoris, on les entendait déjà chez les suffragettes ou sur les campus nord-américains des années 1960 et 1970. La seule différence, à mon sens, avec des époques antérieures, c'est l'ampleur qu'a pris la propagande. Sa maintreamisation. Si les réseaux sociaux y sont pour quelque chose, c'est dans le sens où ils offrent aux journalistes une réserve quasi infinie de contenus très faciles et économiques à produire en masse, avec un taux de viralité souvent assez élevé.
Quelles sont les courants dominants qui s’expriment sur internet ?
Ce sont les mêmes courants dominants que partout ailleurs. Du victimaire, du constructionnisme, de la théorie du complot à peine déguisée en lutte contre le grand Satan patriarcal, sans compter l'émergence d'un courant anti-science et anti-raison gravitant autour d'une valorisation de la figure de la sorcière. On voudrait faire passer les femmes pour des décérébrées, réactiver les pires clichés misogynes, on ne s'y prendrait pas autrement. C'est navrant.
Quelle vision du féminisme défendez-vous de vôtre côté ?
Pour tout vous dire, vous tombez à une période où j'ai de moins en moins envie de défendre quoi que ce soit en général et un quelconque féminisme en particulier. La profonde bêtise de bien des débats estampillés « féministes » m'épuise et je n'aime pas être épuisée. Mon prochain livre n'en parle quasiment pas. Il est bien possible que le suivant n'en parle pas du tout. Avant d'être féministe – c’est-à-dire de défendre une égalité en droits absolue des hommes et des femmes – je suis pacifiste et rationaliste. Le féminisme que je soutiens étaye la concorde civile et s'intègre dans une vision rationnelle du monde. Celui que je critique sème des graines de guerre civile et se gave d'obscurantisme.
Que pensez-vous des pratiques militantes telles que le « public shaming » ?
Beaucoup de mal. Comme de l'ostracisme en général, dont le public shaming n'est qu'un échantillon. Dans son dernier livre, Dominion, Tom Holland voit dans le féminisme dénonciateur un avatar d'une antique culture chrétienne et son argumentation est très convaincante. Le tour profondément religieux que prend le féminisme depuis plusieurs années n'est pas à sous-estimer, il me semble. Et c'est d'autant plus cocasse que « la sorcière » soit désormais une figure tutélaire, car personne n'est meilleure en « chasse aux sorcières » qu'une féministe des réseaux sociaux...