Quelques dollars pour Django

Par Tepepa

Pochi dollari per Django
1966
Leon Klimovsky

Avec : Anthony Steffen, Frank Wolff
Deux couteaux plantés sur la table, deux mecs patibulaires qui se mettent au bras de fer entre les deux couteaux, ben oui, c’est du spagh’, ils allaient pas non plus se faire une belotte. L’ambiance est tout de suite placée, histoire d’être sûrs de ne pas s’être trompés de salle. Les deux bras des deux gars et la table forment un triangle, et la caméra vient se placer pile où il faut pour qu’un cavalier lointain se positionne au centre du triangle. C’est vieux comme Leone et ça fait sourire aujourd’hui, sauf qu’en 1966, c’était aussi innovant que le bullet time en 99 ou le « filmé saccadé » des années 2000. Histoire de ne pas gâcher un si bel effet, le réalisateur nous replace le cavalier lointain entre les jambes d’un autre type patibulaire. Ça pourrait rappeler certains cadrages tarabiscotés de Castellari, certains prétendent d’ailleurs que c’est lui qui a fait le film et non pas le falot Klimovski. Le cavalier lointain est en fait un miteux péon qui va s’en prendre plein la gueule le pauvre, sauf que le péon nous fait le « coup du chapeau spagh », le bougre baisse la tête face caméra pour la relever lentement et révéler son véritable visage de pistoléro ténébreux.
Alors évidemment, en 2008, après s’être farci des dizaines de spaghetti qui comportent presque tous, soit un pistolero déguisé, soit un « coup du chapeau spagh », on en a marre des poncifs, on le sait d’avance que le péon il va tous les dézinguer les patibulaires après avoir révélé lentement sa trogne taciturne. Mais en 1966, c’était aussi surprenant qu’un twist de Shyamalan en 1999, c’était l’extase du nouveau western où on ne perd pas de temps en blabla pour décimer les troupes. Les sonorités des coups de feu, si caractéristiques, claquent dans les oreilles comme une musique connue et sont enrobées par le vent qui souffle, si caractéristique lui aussi de la grammaire sonore spaghettienne.
Le péon, on a eu le temps de le voir, c’est Anthony Steffen. Anthony Steffen, même avec la voix française de Clint Eastwood, ça reste Anthony Steffen, c'est-à-dire un Clint Eastwood à deux pesos. Peu de parlotte, il balance de la dynamite qui n’explose pas (waouh le coup de la bougie) et s’en sert pour allumer son cigare. En 2008, ça ne surprend plus personne, mais en 1966, c’était aussi nouveau que de tenir son flingue de biais dans les années 90.
Avec tout ça, il est temps de se faire un bon petit générique parsemé de coups de feu comme il se doit, avec une bonne chanson cheezy à la Django, mais avec des chevaux sauvages qui courent et un arc-en-ciel pour ne pas trop faire comme tout le monde quand même. Le réalisateur aurait sans doute voulu montrer du bétail pour inscrire le film dans le registre guerre éleveurs/colons qui va suivre, mais du bétail typique américain, c’est dur à trouver en Europe.
Cette guerre des barbelés ne sera pas le seul élément typique du western américain à se retrouver dans ce petit spagh’ sans fioriture. On aura aussi droit à un old timer totalement ridicule de par son manque total de crédibilité, qui – comme il se doit – tire par erreur sur notre shérif à travers la porte, fait de la bouffe infecte et finit par y laisser sa peau. On a aussi l’antédiluvien poncif du héros qui va chez le barbier mais qui n’a pas le temps de se faire raser parce qu’il doit sauver quelqu‘un, ici une jeune donzelle dont il va tomber éperdument amoureux jusqu’à la folie. A noter que tomber éperdument amoureux jusqu’à la folie dans la grammaire spagh’ se traduit par un regard ténébreux benoitement moins sec que d’habitude et une ébauche de sourire timide. De même, un personnage pacifiste (Frank Wolff excellent) qui ouvre un coffre en bois à l’aide d’une clé en sort forcément : des révolvers…
Mais on ne va pas oublier pour autant tous les poncifs des westerns al’italiana : lors d’une fusillade, le type se met toujours grossièrement à découvert avant de se faire descendre, lorsqu’on ouvre une porte de diligence fantomatique, il y a forcément un type mort qui tombe, lorsqu’on pend quelqu’un, il y a forcément une bonne âme pour couper la corde au fusil, et lors d’un échange de coups de feu, les armes tirent forcément deux à trois fois plus de munitions que ne le leur permettent leurs capacités.
Et pour clore le tout, un cliché qui n’est même pas propre au western : un frère jumeau n’est jamais celui qu’on croit. Heureusement, sur ce coup là, le réalisateur ne cherche pas à faire durer un suspens intolérable ni à jouer la carte de la subite découverte : Steffen soupçonne le truc dès le début, ce qui permet à Klimovski/Castellari de s’attarder un peu sur les tourments/hésitations du personnage joué brillamment par Frank Wolff. Ancien desperado qui devient le poncif du bandit qui veut se racheter, qui ne veut plus avoir recours à la violence, mais que la violence rattrape et découvre, Frank Wolff joue avec Gloria Osuna le seul duo vraiment intéressant du film, avec un chouia d’émotion qui passe. Frank Wolff a droit également à une belle fusillade, bien menée, contre les éleveurs. Steffen, qui arrive un peu tard, contemple les cadavres éparpillés sur la plaine, et a bien du mal à croire que c’est la chance qui lui a permis de s’en tirer comme ça. Ce serait presque bien didon !
Mais même si on a passé un bon moment, même si on est toujours à l’aise dans les conventions du spaghetti, on ne peut pas, non, on ne peut pas recommander ce film aux profanes. En réalité, c’est très mauvais, certains dialogues sont ridicules, le scénario, bien que cohérent, ne tient pas la route (en particulier la pendaison de Steffen), la réalisation est honnête mais de nombreuses situations manquent de crédibilité ou de moyens. Pour les fans, ce film est de niveau moyen moins, il ne provoque aucun enthousiasme, mais ils s’en contentent largement. Pour les étrangers au genre, il vaut mieux passer son chemin, certains pourraient y laisser leur peau.