Magazine Cinéma
Giorgio Stegani
1967
Avec : Anthony Steffen, Eduardo Fajardo, Benito Stefanelli
Attention aux gâchages (spoilers) honteux qui émaillent ce texte.
Une petite bourgade sans moyen a le malheur d’être à la frontière américano-mexicaine. Quelque part, des huiles papotent pour décider du sort de ladite bourgade : soit elle reste américaine, soit elle devient mexicaine. Mais en attendant, les tuniques bleues qui assuraient la défense de la ville contre les bandits mexicains foutent le camp, laissant un seul capitaine sur le pont. Arrive un dandy joueur de cartes qui n’a pas froid aux yeux (et c’est normal, car il s’agit des yeux tout plissés d’Anthony Steffen).
Pour une fois que je reconnais des trognes dans un western spaghetti, je ne vais pas me priver. Les amoureux du genre se feront donc une joie de reconnaître Eduardo Fajardo – vu pour la dernière fois par l’auteur de ces lignes dans Et viva la révolution – et Benito Stefanelli, le Rubio de Pour une poignée de dollars, et le barbu qui regarde Terence Hill enquiller ses verres dans Mon nom est Personne. Pour le reste, il y a également la trogne d’Anthony Steffen, qui pour le coup est moins reconnaissable que d’habitude car il est rasé de près, et c’est d’ailleurs une curiosité suffisamment remarquable pour que ce film soit connu quasiment uniquement pour ce haut fait épilatoire. Anthony Steffen est rasé !!! Boudiou, et en plus il a troqué sa veste maronasse usée de partout pour un costume « à la dernière mode » !! Sur ce dernier point d’ailleurs, le réalisateur ne va pas jusqu’au bout de son idée initiale, puisque comme l’a fait remarquer un membre de Western Movies, le personnage de Dandy est exploité en tout et pour tout une dizaine de minutes. Steffen devient ensuite une sorte de sniper qui se déguise en capitaine de l’armée, la mise en pli reprend son aspect broussailleux usuel, mais le menton reste impeccablement rasé !
Loin d’être anecdotique, cette histoire de barbe permet en fait au réalisateur de livrer une réflexion sur le poil dans le western italien. Depuis 1964 on a vu en effet les pistoleros ténébreux devenir des sex-symbols par le biais de leur barbe de trois jours et de leur sueur sous les aisselles. Dans Gentleman Killer, l’entremetteuse de Saloon admet d’ailleurs que – bien qu’elle apprécie un homme rasé de frais de temps en temps – les vrais hommes sont en général ceux qui ne se rasent pas. Et pour cause, le Dandy vient de démontrer sa lâcheté – apparente – aux yeux de tous. Pourtant quand Steffen retourne la situation à son avantage, le réalisateur nous montre la revanche du savon sur la sueur, et par là même, la revanche du western américain sur le western italien. En une petite scène, c’est tout un poncif fondateur du western spaghetti qui est démonté. Amusant en tout cas.
Mais Gentleman Killer ne saurait se résumer à une histoire de rasage de l’interprète principal. Car il y a mieux, on découvre en effet que Anthony Steffen sait parler. Et oui, il a – au début en tout cas – des lignes de dialogues assez nombreuses et un jeu pour le moins correct. Rien de révolutionnaire, mais ça fait un choc quand même aux habitués. D’ailleurs, si on continue dans le genre de raisonnement précédent, ce point pourrait aussi être un pied de nez aux conventions du western italien qui veulent que les héros soient d’une fierté telle que condescendre à parler à l’un de leurs semblables leur paraît intolérable, mais là, je sens qu’on va me dire que j’ai fumé un truc pas légal. Steffen retourne d’ailleurs assez vite à un jeu assez monolithique, sans passion et sans réelle vivacité. En attendant, ces deux éléments (l'absence de barbe et les dialogues) provoquent néanmoins une légère rupture de ton bienvenue dans cet univers formaté.
Pour le reste, le film n’est quand même pas exceptionnel. C’est bien mené, mais sans génie, sans réel enthousiasme, avec des moyens suffisants pour une crédibilité correcte malgré de nombreux passages (les baddies qui fouillent la ville) où l’on sent bien que c’est toujours la même demi-douzaine de figurants qui s’agite. Mais le scénario est suffisamment original pour être accrocheur, en particulier cette stratégie du héros de sniper les hommes du bandit Mexicain les uns après les autres. Notons que dans les scénarios de western spaghetti, c’est invariablement ce qui se passe : le héros décanille les hommes de main avant de faire son affaire au chef. Mais ici, c’est la première fois que c’est élevé au rang de stratégie, et surtout sans héroïsme aucun, le « héros » descendant les gars de loin ou par derrière (le coup de la corde).
Impossible de parler de ce film sans parler de la fin, attention donc au spoiler qui suit. Le héros se retrouve donc en fort mauvaise posture, on anticiperait presque une mort sans gloire, Grand Silence style, quand soudain, un clairon se fait entendre. Les villageois qui assistaient impuissants à l’exécution de notre chien battu adoré sont fous de joie, les tuniques bleues reviennent pour les sauver !! Patatras, l’armée salvatrice n’est pas américaine, mais mexicaine, le sourire des americanos se fige comme le sourire de Juan qui ouvre une porte de banque de Mesa Verde, leur village vient de passer sous juridiction mexicaine ! Les bandits mexicains jubilent. Puis, deuxième coup de théâtre, l’armée mexicaine abat sans sommation tous les bandidos, assurant ainsi protection et justice dans le pueblo, et sauvant du même coup notre héros. Mine de rien, cette séquence est gonflée, Stegani retourne le poncif des tuniques bleues salvatrices, puis il retourne le poncif de l’armée mexicaine menaçante. Le procédé est habile et plaisant.
La séquence précédente était aussi surprenante – mais là plutôt dans le mauvais sens – le héros meurtri échappant au réglementaire passage à tabac, remplacé ici par une beuverie forcée. Les effets de la beuverie sont les mêmes que le passage à tabac : lenteur extrême du cheminement, difficulté à tirer, mais sans les ecchymoses. L’idée est en soit plaisante, mais le mec bourré étant en général source de comédie, on a du mal à souffrir pour le héros qui vient de se prendre la cuite de sa vie et qui ferait bien de cuver son vin sous la paille d’une étable en attendant de retrouver ses esprits. Une fausse bonne idée, mal exploitée et très peu crédible, le tout détérioré encore un peu plus par le non-jeu de Steffen.
Coté réalisation, c’est soigné, ça essaye de faire bien (le catalogue de trognes mexicaines du début, pendant que l’armée est prête à partir, avec cut en intérieur sur les americanos qui cogitent et sortent au moment où l’armée s’en va pour se retrouver face aux trognes mexicaines précitées…), mais sans y parvenir totalement. Pas de démesure ici, pas de séquence époustouflante de ralentis baroques, pas d’extase propre au genre. A certains moments, la musique de Bruno Nicolaï parvient à élever l’ensemble, comme par exemple ce plan sur Steffen avec sa winchester, regardant de loin ses cibles, l’œil dur, tout en enfilant sa veste de capitaine de l’armée. Pour la majorité des spectateurs, ça passera inaperçu. Pour le fan de spaghetti, c’est l’essence même du style, une beauté formelle à deux doigts de couper le souffle. Malheureusement, Gentleman Killer, bien que satisfaisant, manque cruellement de ces moments trop rares.
Où le voir: DVD Seven 7. Je ne sais pas ce qu'il vaut car je me contente de mon enregistrement TPS. Il paraît que la qualité de l'image est très bonne.