Les réseaux sociaux sont des lieux propices au storytelling, tant de conversations s'y déroulent. Mais ils auraient tort de ne pas en faire eux-mêmes, pur leur propre promotion. C'est ce que fait LinkedIn dans ses campagnes de publicité. Etude de cas.
Ce sont des chercheurs de la Sam Ratulangi University de Manado en Indonésie qui se sont penchés sur la question. Leurs travaux ont été publiés dans la revue scientifique Jurnal EMBA en octobre 2019. Je précise bien "revue scientifique", parce que cela signifie que les articles publiés font état de véritables travaux universitaires, d'une parution après relecture et validation par des scientifiques et non d'opinions lancées à la cantonade. Accessoirement, ce n'est pas parce qu'on n'a jamais entendu parler de cette revue qu'elle ne vaut rien ! Si on n'est pas dans le milieu universitaire, il est même plutôt normal qu'elle nous soit inconnue.
Un peu de débroussaillage du branding et du storytelling :
L'intérêt d'une marque, aujourd'hui est d'apporter un gain de temps et une réduction du risque (économique, fonctionnel, psychologique, expérientiel, social) pour le consommateur. Ce dernier entend donner du sens à son action de consommation. Les marques correspondent alors à une spiritualisation des objets qui en sont les supports, pour qu'elles transcendent effectivement ces objets qui, sans marque, ne peuvent pas par eux-mêmes avoir cette dimension signifiante. Mais c'est bien, de nos jours, les consommateurs qui définissent la valeur et l'intensité de leur engagement avec les marques. Ils ont le contrôle sur le processus. Et comme j'ai déjà pu le dire, les marques doivent à présent une dimension d'utilité pour les consommateurs, dans l'accomplissement de leurs objectifs de vie. C'est la condition pour que la marque puisse espérer faire partie de l'identité personnelle du consommateur.
Le storytelling répond à ce besoin d'interaction consommateur - marque dans la publicité. Il faut néanmoins que la marque soit un personnage qui véhicule la valeur de la marque. C'est la rencontre entre ce personnage archétypal et l'idéal (perçu ou inconscient) du consommateur qui crée le moment magique de l'intégration de la marque à la vie de celui ou celle à qui elle s'adresse.
Il y a aussi, dans tout cela, une dimension de ce que l'on appelle le branding émotionnel, la prise en compte des émotions comme part intégrante de la décision, ou non, d'intégrer la marque dans sa vie.
Le cas LinkedIn : quelle efficacité pour le storytelling publicitaire ?
La campagne publicitaire étudiée par les chercheurs indonésiens se nomme "In it Together" (où que vous vous trouviez, dans quel projet que ce soit, nous sommes avec vous).
Quelques images de la campagne labellisée storytelling de LinkedIn "In it Together" :
Les chercheurs ont réalisé une analyse du texte des publicités de la campagne pour les besoins de leur étude. Ils ont utilisé un triple codage du texte : thématique, en termes d'archétypes de personnages de marques et d'intrigue.
Les thèmes majeurs identifiés dans la publicité : en tête le thème de l'opportunité, en second la passion, et en troisième position on trouve l'attention portée aux autres, l'empathie (50% ou plus de présence dans la campagne pour chacun de ces thèmes).
En termes d'intrigues : l'intrigue majeure peut être identifiée comme étant celle de la quête (dans 65% de la campagne), en deuxième position arrive l'ascension (sociale, financière), et en troisième position, c'est l'histoire d'obstacles majeurs surmontés qui se positionne. La quête est celle d'utilisateurs de LinkedIn confrontés à un obstacle. La marque s'associe à cette quête.
L'archétype de marque incarné par LinkedIn dans cette campagne est : "le soigneur", une personnalité altruiste. Elle est protectrice, elle apporte une aide, est tout le contraire d'une marque égoïste, ingrate. Elle veut faire des choses pour autrui. Elle est généreuse, compatissante.
A travers les expériences de vies d'utilisateurs de LinkedIn, et les challenges auxquels ils sont confrontés, ces différentes valeurs s'expriment dans la campagne. L'intrigue correspond aux différentes lignes directrices des histoires véhiculées dans la campagne, avec une identité unique comme apport de la marque. La marque est positionnée comme aidante pour face à tous ces défis individuels et atteindre des objectifs de vie ambitieux.
Alors quoi, que peuvent faire les marques en matière de storytelling ?
- Avoir une démarche rationnelle de storytelling : cela peut paraître antinomique, tant l'émotionnel est important dans le storytelling. Mais qui dit émotions ne dit pas "faire n'importe quoi", marcher au feeling. Tout comme un scénario de film ou même un roman se construit suivant des codes précis, un storytelling de marque obéit à une recette. Pour LinkedIn, cette méthode est perceptible à travers l'analyse faite par les chercheurs, autour des thèmes, des intrigues et de l'archétype.
- Avoir une posture d'humilité : accepter ce rôle nouveau de facilitateur, accepter, donc, de ne pas faire la star (certains diraient "le kéké"). La star, le héros de l'histoire, c'est à présent (et vraiment, pas que dans les paroles) le consommateur. C'est comme ça, et ce n'est pas réversible, du moins aucun signe n'annonce de retour en arrière dans les temps (même lointains) à venir. Donc, il faut en prendre son parti, sous peine d'être cataloguée comme marque indigne d'intérêt car inutile.
A travers cette étude de cas, c'est le mécanisme du storytelling que j'ai voulu décrypter de manière concrète. Pour aller encore plus loin dans le décryptage et la construction d'un storytelling efficace, je ne peux que vous recommander quelques saines lectures : sur le storytelling du luxe, pour rester dans le champ du storytelling appliqué au marketing, ou sur le storytelling de manière plus transversale (mais avec quand même pas mal de marketing dedans !).